La culture...

 

La culture comme vocation
Vincent Dubois

   Dans un sondage établissant « les métiers préférés des jeunes de 18 à 25 ans », celui de « manager culturel » arrive ainsi en 7e position (acteur et chanteur occupant respectivement les 1re et 4e places). Et dans les collectivités territoriales, les postes « culturels » sont généralement parmi les plus demandés. Certains métiers semblent attirer pour leur image plus que pour la stabilité d’emploi ou le niveau de revenus qu’ils garantissent. Ce sont des métiers dits « vocationnels », c’est-à-dire des activités professionnelles reposant sur un fort engagement personnel, qui peut être subjectivement vécu sur le double mode de la passion et du désintéressement. On n’y entre pas pour l’argent, mais pour la beauté du métier ou par amour de l’art.

   Qu’est-ce qui rend ces métiers de la culture si attractifs ? C’est à cette question que ce livre propose de répondre.

   Sur la base d’une enquête originale sur un échantillon d’étudiants qui se destinent à l’administration de la culture, Vincent Dubois répond à cette question en analysant les transformations depuis les années 1960 de l’espace des gratifications symboliques associées à ces métiers, transformations liées à la constitution d’un secteur public de la culture et des formations qui y mènent.

   Ce faisant, le livre rompt avec une lecture individualisante et psychologisante, faite de passion et de désir, pour mettre en évidence la logique et la dynamique d’un univers de positions sociales construites par la politique culturelle de l’État. Les métiers de la culture se trouvent ainsi bien ajustées aux attentes et aux aptitudes professionnelles des générations issues de la deuxième explosion scolaire. Le système universitaire lui-même invite ainsi à concevoir l’orientation vers les métiers de la culture comme une manière d’optimiser le rendement professionnel d’un capital scolaire (notamment littéraire et artistique) dévalué.

   Deux facteurs ont un rôle prépondérant. La chronologie du développement de ces métiers, initié au milieu des années 1960 et amplifié à partir du début des années 1980, fait que ceux qui s’y destinent dans les années 2000-2010 sont les enfants des générations qui occupent aujourd’hui une part importante des postes, voire les petits-enfants des « pionniers » parmi les premiers à les occuper. La « passion » pour les métiers de la culture peut donc bien être héritée, et correspondre à un mécanisme classique de reproduction professionnelle. Si les métiers de la culture sont « attractifs », c’est donc aussi qu’ils peuvent être envisagés comme une voie de salut dans un contexte de massification de l’enseignement supérieur et de fort chômage des jeunes. Les filles connaissant cette situation davantage que les garçons, elles sont, pour cette raison également, plus nombreuses à viser de telles positions.

   Ainsi est-on dans le cas qui nous intéresse conduit à retourner le syntagme habituel : ce n’est pas à une « crise des vocations » que l’on a affaire mais à des « vocations de crise ».

Vincent Dubois, sociologue et politiste, est actuellement membre de l’Institute for Advanced Studies à Princeton et professeur à l'Institut d'études politiques de Strasbourg. Ses travaux de sociologie de l'action publique portent sur les rapports entre le champ culturel et l'État et sur le traitement bureaucratique de la misère. Il a notamment publié sur ces questions La Politique culturelle (Belin, 1999) et La Vie au guichet (Economica, 2e éd., 2003).

 
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