Les films de Pierre Carles connaissent désormais un succès en salles tout à faire remarquable, avec une moyenne de 100 000 entrées pour des films tels que la Sociologie est un sport de combat (sur Pierre Bourdieu) ou Enfin pris ? (sur Daniel Schneidermann). Comme Michael Moore (Bowling for Columbine), Pierre Carles pratique un genre de documentaire impur mêlant à la fois l'enquête et la satire, la déconstruction des valeurs majoritaires et le micro-trottoir insolent dans l'esprit du Vrai Journal de Karl Zéro. Déjà, dans Enfin pris ?, l'enquête à charge contre le désormais ex-chroniqueur télé du Monde se transformait en psychanalyse loufoque de Carles lui-même, cuisiné sur sa monomanie médiatique.
Le nouveau, Attention danger travail, coréalisé avec les documentaristes Christophe Coello et Stéphane Goxe, met bout à bout des images de différentes provenances (interviews, pub d'entreprise, clip...) sur un même sujet : la dictature idéologique du travail comme seul et unique mode d'épanouissement social. Donnant la parole à une dizaine de chômeurs ayant décidé de ne plus travailler, le film est un éloge du temps libre et de l'accomplissement de soi en dehors des geôles salariales. Ainsi qu'une attaque en règle contre la secte patronale du Medef et son gourou, l'amusant baron Ernest-Antoine Seillière.
Branli-branlo. Partant du constat que, pour le bon fonctionnement de la société, le chômeur est forcément un individu déprimé, souffrant d'être un assisté et de ne pouvoir participer aux forces vives du pays, Pierre Carles et ses acolytes montrent que c'est surtout le travail à la chaîne, le travail précaire ou tout sim plement débile (l'ouverture sur les nouvelles recrues hu miliées de Domino's Pizza est éloquente) offerts aux gens sans qualification qui est dégradant.
Pierre Carles soumet aux patrons réunis à l'université d'été du Medef le souhait de certains citoyens de refuser désormais le travail. L'incrédulité totale de la plupart d'entre eux permet éventuellement de mesurer à quel point le désoeuvrement actif est une arme politique que les grèves à répétition n'ont encore qu'à demi dégoupillée. « On se rend maintenant très bien compte, à l'aspect du travail - c'est-à-dire de ce dur labeur du matin au soir - que c'est là la meilleure police, qu'elle tient chacun en bride et qu'elle s'entend vigoureusement à entraver le développement de la raison, des désirs, du goût de l'indépendance », écrivait Nietzsche dans Aurore, penseur qui est, avec d'autres, sollicité sur le site www.rienfoutre.org pour appuyer intellectuellement cette heureuse offensive du branli-branlo généralisé.
Profit comique. Ces chômeurs ravis de l'être, RMistes à perpétuité, sont-ils une nouvelle forme de parasites profitant des aides de l'Etat ? Pas plus en tout cas, selon l'un des intervenants à la coule, que les militaires ou les mecs de la pub : « Si j'ai besoin d'un yaourt, je n'ai pas besoin d'une pub pour me dire d'en manger », philosophe notre glandeur professionnel « très apprécié dans son quartier » et qui fait la fête tous les soirs avec ses potes.
Il y a évidemment un grand profit comique à rapprocher ces figures du refus de bosser avec le discours d'un Raffarin dopé à l'amour du travail et encourageant les entrepreneurs à sourire davantage face aux caméras de télévision. Le brillant exposé du sociologue Loïc Wacquant (auteur des Prisons de la misère), une chanson du groupe Dupain et le témoignage d'un ouvrier de chez Peugeot aux mains disloquées à la tâche (extrait d'Avec le sang des autres de Bruno Muel, 1974) sont quelques-unes des étapes d'un prochain film qui verra, en 2004, son développement dans un projet intitulé Volem rien foutre al païs.