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Bordelais d'origine et installé dans l'Hérault, le réalisateur Pierre Carles, 40 ans, rendu célèbre. par le film « Pas vu, pas pris », présente, avec les cinéastes catalans Stéphane Goxe et Christophe Cuello, une galerie de portraits de « déserteurs du monde du travail ». Intitulé « Danger travail », ce document vidéo montre des gens qui ont décidé de tourner le dos à un univers du travail qui ne leur a pas fait de cadeau. Explication. ous vous intéressez à des gens qui ont volontairement cessé toute activité professionnelle pour toucher le RMI. D'où vient l'idée de ce documentaire ? Les films que nous faisons relèvent tous de la même logique : faire entendre un autre discours, un autre son de cloche, que celui véhiculé par les médias dominants. Ici, en l'occurrence, donner la parole à des gens refusant le travail et qui préfèrent vivre pauvrement, avec 2 600 F de RMI par mois, plutôt que d'occuper les emplois dégradants qu'on leur propose. Le postulat selon lequel les gens qui ont du boulot ont de quoi s'estimer heureux ne fonctionne plus. L'idée du film est partie de là : combattre cette idée reçue car le bonheur et l'existence sociale ne sont pas forcément liés au fait de travailler. Alors qu'elle est toujours présentée comme une bonne nouvelle, la baisse du chômage coïncide en réalité avec une forte dégradation des conditions sociales, avec l'explosion de la précarité, de la flexibilité, de la productivité maximale et avec de nouvelles formes de travail à la chaîne dangereuses pour la santé. Depuis 1970, 70 000 personnes sont décédées d'accidents du travail en France. Et ce chiffre n'inclut pas les maladies professionnelles. Voilà la véritable insécurité : l'insécurité salariale. On montre par exemple comment fonctionnent les centres d'appel téléphoniques, lieux assez peu filmés par les équipes TV. La séquence est incroyable : les employés sont comme des poulets en batterie, soumis à la pression insupportable d'un petit chef, et travaillent dans un état de stress épouvantable. Dans ce film, on donne pour la première fois la parole à des gens normaux, bien dans leur peau, des gens comme vous et moi, qui n'adhèrent pas au discours dominant sur le travail, et qui répondent : « Les boulots merdiques payés des miettes, non merci, j'ai déjà donné, je préfère déserter le marché du travail ». Ce ne sont ni des fous furieux, ni des irresponsables. L'originalité du documentaire vient de là. On ne se pose pas la question de savoir si ce que disent ces hommes et ces femmes est bien ou non, on montre simplement qu'ils méritent d'être entendus et qu'ils constituent une part de plus en plus importante de la population. D'ailleurs, beaucoup de gens nous ont remerciés, à l'issue des projections-débats de « Danger travail », de les déculpabiliser en laissant dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. « Poulets en batterie, soumis à la pression de petits chefs Comment jugez-vous les efforts des entreprises pour que leur personnel s'épanouisse au travail ? J'ai tourné un documentaire diffusé dans l'émission Strip-tease en 1994 montrant la vie d'un contremaître d'une chaîne de livraison de pizzas à domicile. Un type qui vivait 7 jours sur7 par, et pour son travail. Apparemment, il n'est pas malheureux, il est juste aliéné. Les techniques de management poussent les gens à se donner à leur travail, à épouser les valeurs et la culture de l'entreprise, sans qu'il soit nécessaire d'avoir recours à la coercition, en jouant sur la motivation. Dans un documentaire pour l'instant non-diffusé par la Cinquième, on voit comment un ouvrier de Peugeot-Sochaux a pourri la vie de ses collègues grâce à la fameuse boîte à idées. Il avait trouvé le moyen de réduire la fréquence de certains allers-retours sur la chaîne d'assemblage des voitures. Le gars a touché une prime intéressante pour son idée qui a permis d'améliorer la productivité, il était content. Mais la conséquence, c'est que la cadence de la chaîne a été augmentée et le système a abouti à monter les gens les uns contre les autres. Contrairement aux idées reçues, les conditions de travail se dégradent, en particulier dans le secteur tertiaire où le productivisme et les conditions d'emploi sont parfois pires que tout ce qu'on avait connu. De nouveaux ouvriers corvéables à merci ont succédé aux ouvriers d'avant. Les constructeurs automobiles utilisent un très fort contingent d'intérimaires pour casser la syndicalisation et faire miroiter une embauche définitive aux plus dociles. Et on peut remarquer que ces emplois d'intérimaires sont occupés désormais par des « beurettes », c'est-à-dire par des filles en mal d'ascension sociale au regard de la situation de leurs mères, qui acceptent les boulots dévalués dont leurs frères ne veulent plus. « Danger Travail » n'est-il pas aussi un film dont la critique reprend celles des années 68 puisqu'il prône, en quelque sorte, le droit à la paresse ? Aucune des personnes interrogées ne se réfère à 68. Elles disent juste qu'elles préfèrent se contenter du RMI plutôt que de perdre leur vie à la gagner dans des boulots pénibles et inintéressants, payés 5 000 F par mois. Au cours des projections, on a eu quelques réactions violentes de gens dénonçant ce choix de l'assistanat, le fait de profiter du système pour ne pas travailler. En réalité, qui sont les vrais profiteurs ? Les RMistes ou bien les types qui vivent de la bourse ? Les chômeurs ou les Messier, les Lagardère et leurs profits indécents ? Dans le film, les gens interviewés ont souvent travaillé en usine et cotisé pour l'assurance-chômage. Il y a même une ouvrière qui dit : avec tout ce que j'ai enduré pendant vingt-cinq ans dans le monde de l'entreprise, il est parfaitement légitime que je touche le RMI. Ce sont en général des gens qui n'ont pas d'enfant, pas de charges de famille et pour qui il est peut-être plus facile de faire ce type de choix. Et puis, cela ne veut pas dire qu'ils aspirent à ne rien faire, ils revendiquent simplement le droit de s'épanouir dans des activités qu'ils ont choisies, de vivre heureux. |
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