Société |
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Anthropologie
- En vrac |
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Les gènes n'ont
pas de race. Le point de vue d'un biologiste. |
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André Langaney Généticien, professeur au Muséum d'histoire naturelle, où il dirige le laboratoire d'anthropologie biologique. Propos recueillis par LUCIEN DEGOY, LHumanité, 10 Septembre 96. |
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Quand vous entendez dire « je crois à l'inégalité des races », comme réagissez-vous? Je bondis car, moralement, ces propos tombent sous le coup de la loi. Je trouverais normal que des poursuites judiciaires soient engagées par le gouvernement. Du point de vue biologique en revanche, on ne doit parler ni d'inégalité ni d'égalité. Ce sont des catégories philosophiques et juridiques, pas des termes biologiques. En matière de patrimoine génétique, les individus ne sont ni égaux ni inégaux, ils ne sont pas pareils. Pourquoi? D'une part parce que, au sein de la même population, le hasard de la sexualité et de la répartition des gènes dont dispose un être humain fait qu'on ne rencontre JAMAIS le même individu. D'autre part parce les différences mesurées entre les populations sont peu de choses à côté des différences entre les individus. Il existe en réalité très peu de différences systématiques d'une population à l'autre. Bien sûr, ici on est plus grand, là on a la peau plus foncée, mais ces disparités concernent l'apparence de la carrosserie. Dans tout ce qui fait le fonctionnement de l'organisme, elles disparaissent. Et si l'on pénètre plus avant dans la réalité, les groupes sanguins par exemple, ou les gènes, on s'aperçoit qu'il est impossible de constituer des groupes qui aient une apparence extérieure commune, comme il est impossible à partir d'une réalité géographique donnée de repérer des gènes spécifiques. Des populations qui ont vécu isolées les unes des autres depuis des dizaines de milliers d'années possèdent à peu de nuances près le même capital génétique. Mais ce mot de race a-t-il un contenu scientifique? Entendons-nous bien. « Race » : on prétend par ce terme évoquer des caractères physiques différents entre des groupes de personnes. Scientifiquement, pourtant, on n'a pas mis en évidence des caractères « raciaux » qui soient génétiquement repérables. Quel que soit le système génétique étudié, on n'a jamais pu isoler de phénomènes qui soient présents à la fois chez tous les Noirs et absents chez tous les Blancs, etc. Il n'y a pas, montrent aujourd'hui les biologistes, de marqueur génétique de la race. Tous les gens que l'on range par exemple dans la catégorie « à peau noire » n'ont pas les mêmes gènes. Certains Africains seront plus proches des Européens que les Mélanésiens, les Indiens seront encore plus proches des Européens et beaucoup moins que les Asiatiques, etc. On peut toujours classer. C'est arbitraire. Les gènes, eux, n'ont pas de race. C'est une idée difficile à admettre tant elle est contraire à notre habitude de décrire nos semblables par des caractères approximatifs et apparents. C'est dire si certains préjugés sont tenaces. Des préjugés raciaux? Des stéréotypes racistes venus de loin. La société colonialiste par exemple s'est longtemps efforcée de faire passer l'idée de « race » hiérarchisée pour une notion scientifique afin de justifier les inégalités sociales et les oppressions économiques. Mais pourquoi aujourd'hui encore tant d'ignorance? Je ne crois pas que la vérité scientifique puisse à elle seule mener le combat contre les préjugés sociaux, soient-ils racistes. Toutefois elle y contribue. Pendant longtemps, l'Education nationale, notamment, n'a pas porté le niveau de la bataille où il fallait. « Les races, me suis-je entendu dire par de hauts responsables, c'est de la politique, donc on n'en parle pas à l'école. » Quelle erreur! Au nom de ce qui s'était passé sous les nazis on avait décidé de se taire. Eh bien non, les « races » c'est de la biologie et il faut précisément qu'on en parle dans la société et notamment à l'école.
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