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Anthropologie - En vrac
    

 

 

 
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  STRUCTURE DE LA SOCIÉTÉ MUNDUGUMOR.  
  MARGARET MEAD

Mœurs et sexualité en Océanie, CHAPITRE X, Collection Terre Humaine, Éditions Plon, 560 p., 1963 [1935].

 
    

il n'existe pas de véritable communauté mundugumor. En des lieux-dits, les individus possèdent des terres, sur lesquelles ils résident plus ou moins régulièrement dans de petits groupes d'habitations éparses, qui rassemblent ainsi, mais jamais de façon très durable, des mâles consanguins ou des hommes apparentés par mariage. La société n'est pas organisée en clans, comme chez les Arapesh, chez qui un groupe d'individus apparentés les uns aux autres forme une unité permanente que cimentent un sang commun, un nom commun, des intérêts communs. L'organisation sociale des Mundugumor est au contraire fondée sur la conception qu'il existe une hostilité naturelle entre tous les individus d'un même sexe et que seuls ceux du sexe opposé constituent un lien entre eux. Au lieu, donc, d'être organisés en groupes patrilinéaires ou matrilinéaires —où les frères appartiennent au même groupe que leur père ou leur oncle maternel— les Mundugumor pratiquent un système qu'ils appellent une " corde ". Une " corde " comprend un homme, ses filles, les fils de ses filles, les filles de ses fils de ses filles. etc.; ou bien, si l'on compte à partir d'une femme, ses fils, les filles de ses fils, les fils des filles de ses fils, etc. Tout bien, à l'exception de la terre, qui est abondante et a peu de valeur, est transmis suivant l'ordre de filiation de la " corde ". Ce sont les filles qui héritent même des armes paternelles. Un père et son fils n'appartiennent pas à la même " corde ", ni ne respectent le même oiseau ou animal totémique. Le père ne laisse rien en héritage a son fils, si ce n'est une part des terres qui se transmettent en ligne patrilinéaire. C'est la fille qui hérite de tout le reste. Frères et sœurs n'appartiennent pas à la même " corde ". Les premiers reconnaissent l'autorité de leur mère. les secondes, celle de leur père.

L'idéal social est la grande famille polygame, qui peut compter jusqu'à six ou sept épouses pour un homme. Cette famille est très nettement divisée en deux groupes, celui composé du père et de toutes ses filles, et celui qui comprend les mères et leurs fils. Entre frères germains, l'attitude est toute de rivalité et de méfiance. Dès l'adolescence, ils doivent obligatoirement s'éviter au maximum, adopter l'un envers l'autre un comportement formaliste à l'extrême, s'abstenir entre eux de toute conversation légère ou même banale. Il n'est pour eux qu'une seule forme possible de contacts étroits : ils ont le droit de se battre et de s'injurier en public. Les demi-frères doivent observer les mêmes règles, quoique d'une façon un peu moins rigoureuse. Mais ils sont divisés aussi par la rivalité, l’hostilité féroces qui existent entre les épouses de leur père —leurs mères. Cette rivalité est telle qu'une femme refuse de donner à manger à l'enfant de son mari né d'une autre épouse qu'elle-même. Pères et fils sont, d'autre part, séparés par une hostilité précoce, que la société s'entend à entretenir. Lorsqu'un garçon a dix ou douze ans, sa mère est déjà vieille et n'est plus, en tout cas, l'épouse favorite. Son père cherche une autre femme, plus jeune. Si l'épouse délaissée proteste, elle est battue. Le petit garçon est censé défendre alors sa mère, défier et injurier son père.

Telle est l'atmosphère qui règne dans la famille de l'homme qui a réussi, de celui qui a pu réunir un grand nombre d'épouses. Car c'est là un signe de richesse et de puissance. Un homme peut exiger certains services des frères de ses femmes, et —ce qui est plus important— les femmes elles-mêmes, en cultivant et traitant le tabac, sont une source de richesse, car le tabac est l’article de troc le plus important. Les enclos familiaux ne sont pas situés dans un village, mais dissimulés dans la brousse, et leur chef envisage toujours avec la plus grande méfiance les visites de tout adulte mâle, à moins qu'il ne vienne traiter une affaire bien définie.

Bien que frères et sœurs n'appartiennent pas à la même "corde" et soient dressés dès l'enfance à ne se soumettre qu'à l'autorité de leur mère ou de leur père, selon le sexe, il existe une autre institution qui va à l'encontre de l'organisation en "corde". C'est celle du mariage, fondée sur l'échange de la sœur contre l’épouse du frère. Chaque homme est censé obtenir une épouse en donnant sa sœur en échange de la sœur d'un autre homme. Théoriquement, il n'existe pas d'autre moyen de se procurer légalement une épouse. Dans la pratique, cependant, on peut parfois acquérir une femme contre une flûte précieuse. Les frères ont donc un droit de préemption sur leurs sœurs, et leurs mères ne manquent pas de leur faire apprécier la pleine valeur de ce droit. Les hommes qui n'ont pas de sœur doivent se battre pour trouver une épouse, et une famille composée d'un grand nombre de fils et d'aucune fille, est vouée à de longues années de luttes. Il faut qu'une fille se soit enfuie, et qu'il y ait eu combat, pour que l'on puisse proposer un accommodement et compenser le vol de la femme par une flûte sacrée. Comme le nombre de frères et sœurs dans une famille est rarement équilibré de façon que chaque homme puisse échanger une de ses sœurs contre une épouse d’âge approprié, les frères sont continuellement en désaccord les uns avec les autres pour faire valoir leurs droits sur telle ou telle de leurs sœurs. Un frère aîné, surtout si son père est mort, peut échanger toutes ses sœurs contre autant d'épouses et laisser ses frères cadets sans ressources. Comme, d'autre part, l'idée de puissance est associée au nombre d'épouses, les conflits entre frères sont inévitables. quel que soit le nombre de leurs sœurs. Moins celles-ci sont nombreuses, plus les conflits sont violents. Cette rivalité se complique du fait que les hommes déjà âgés ont le droit d'épouser de jeunes femmes. En théorie, il n'est pas permis de se marier en dehors de sa génération. Mais les Mundugumor ne respectent aucune de leurs propres règles. Accoutumés qu'ils sont à réagir avec violence à toute situation sociale, ils laissent s'établir une rivalité directe, d'ordre sexuel, entre le père et le fils. Certes le fils peut échanger sa sœur contre une épouse : avec sa sœur, il peut acheter une partenaire sexuelle. Mais son père le peut aussi. Au lieu d'autoriser son fils à se servir de sa sœur pour se procurer une épouse, il peut se réserver ce droit à lui même: il peut échanger sa fille adolescente contre une jeune épouse. Chez lui s'est déjà développé un vif sentiment de possession à l'égard de sa fille. Elle appartient à sa " corde ", non à celle de son frère. Elle jardine avec lui, travaille avec lui dans la brousse, emploie les termes de parenté qui sont les siens, porte le nom d'un de ses ancêtres féminins. Il jouit sur elle d'un droit de surveillance des plus stricts. Il peut dormir dans la même moustiquaire-lit jusqu'à ce qu'elle se marie, et l’accompagner si elle se lève la nuit. Il en est venu à la considérer comme sa propriété. dont il peut disposer à son gré. Tout garçon, en grandissant, sait —sa mère lui en a rebattu les oreilles— que son père risque de lui voler sa sœur, et, par conséquent, sa future épouse. Et la mère a d'abondantes raisons pour préférer que sa fille soit échangée contre une épouse pour son fils, plutôt que contre une nouvelle épouse pour son mari. Depuis longtemps sa fille ne dépend plus d'elle; avec un petit sourire effronté, la fillette s'est mise à employer les termes de parenté que son père lui a appris.

   

 
    

   
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