Le magazine de l'Homme Moderne Chapitre 1 - Révérence devant le pouvoir | ||
[...] epuis des années, TF1 confie l'information télévisée du week-end à Claire Chazal. Biographe d'Édouard Balladur, cette dernière admet être « comme frère et sœur » avec Renaud Donnedieu de Vabres, ministre UMP de la Culture : « On partage les bons moments de la vie, on se soutient dans les coups durs (1). » C'est ce ministre libéral qui remit à la présentatrice ses insignes de chevalier de la Légion d'honneur en 2004 à l'occasion d'une cérémonie à laquelle assistèrent Mme Chirac, M. et Mme Raffarin, Nicolas Sarkozy ainsi que quelques autres de moindre acabit. Quatre ans plus tôt, Le Parisien avait publié un article : « Claire Chazal s'est mariée ». Le lecteur y apprenait que « Claire Chazal 44 ans, a épousé Xavier Couture, 48 ans, directeur de l'antenne et des sports de TF1, hier après-midi à Paris. La cérémonie civile a eu lieu à 15 heures, à la mairie du VIIe arrondissement. La journaliste portait un tailleur de chez Dior, couleur crème. Tandis que son mari était habillé par Lanvin. Parmi les personnalités présentes : Jack et Monique Lang, Nicolas Sarkozy et sa femme, Martine Aubry, Michel Field, témoin du marié. » Il n'est pas certain non plus que ce soit uniquement l'exceptionnelle qualité de ses romans qui ait valu à Claire Chazal de recevoir en 1998, des mains du maire de Paris, le prix Roland-Dorgelès des écrivains combattants. On objectera que nul n'est obligé de regarder TF1 le week-end. C'est certain. Mais, sur France 2, le journal est présenté par Béatrice Schönberg, épouse de Jean-Louis Borloo. Un ministre UMP lui aussi. D'ailleurs, si, contre toute vraisemblance, les ministres redoutent de devoir affronter les questions insolentes des journalistes de TF1, ils peuvent recourir, moyennant finance, à un training télévisuel assuré par... Jean-Claude Narcy, directeur adjoint de l'information, puis responsable des opérations spéciales de TF1. Le Parti socialiste ne doit toutefois pas être trop mécontent du sort qui lui échoit sur la chaîne de Bouygues puisque Robert Namias, directeur général adjoint en charge de l'information de TF1, dont le vieil ami Jack Lang évoque la « voix très prenante » et la « grande rigueur intellectuelle », a été promu au grade d'officier de l'Ordre national du Mérite. Par un Premier ministre nommé Lionel Jospin. [...] De cette collusion entre pouvoir politique et médias haut perchés, le présentateur du journal de France 2, David Pujadas, a avancé une explication assez naturelle, plus pertinente encore pour sa génération que pour celle des vieux routiers qui l'ont précédée : la proximité sociale qui soude les enfants de la bourgeoisie entre eux longtemps après qu'ils ont folâtré dans les mêmes amphithéâtres. « Regardez, plaida Pujadas, je sais pas moi, j'ai des copains, ils étaient à Sciences-Po avec des hommes politiques. Ils ont connu les mêmes filles. Ils ont bon... L'un devient journaliste, l'autre devient homme politique. Ils vont quoi, arrêter de se voir? C'est dur aussi (2). » Cela le sera d'autant plus que Sciences-Po, déjà marche-pied vers l'ENA, le business et le pantouflage organisé, vient d'ouvrir une école de journalisme qui formera, prenons-en le pari, peu de trublions irrécupérables, de plumes qui plongent dans la plaie. Ses premiers lauréats ont d'ailleurs dédaigné Albert Londres ou Ernest Hemingway pour nom de promotion. Ils leur ont préféré celui de... Michèle Cotta. En France aujourd'hui, quel journaliste influent, quel directeur ou propriétaire de publication ne tutoie pas « Sarko », dauphin impatient que la presse paraît avoir sélectionné pour l'Élysée? Jean-François Kahn a confié que le patron de l'UMP compterait même quelques soupirants à Marianne : « Quand je dis que Sarkozy a mis dans sa poche les médias, je parle en connaissance de cause puisqu'il a mis dans sa poche un certain nombre de gens chez nous aussi. [...] Nicolas Domenach est en effet séduit par le personnage (3). » La même séduction a depuis longtemps fait son office dans le cas de Martin Bouygues : c'est « notre meilleur copain : il vient avant tous les autres », avait assuré Cécilia Sarkozy. Le propriétaire de TF1, parrain du fils de Nicolas Sarkozy, appellerait le ministre tous les jours au téléphone. Et, en novembre 2004, il ne put s'empêcher d'assister au « sacre » du patron de l'UMP. Ce genre d'intimité, personnelle et politique, rendrait décidément bien inutile la vieille sonnette d'Alain Peyrefitte. La plupart des auditeurs du principal journal télévisé de France s'en sont sans doute convaincus depuis longtemps. Mais la chose est-elle anodine quand le « 20 heures » de TF1 compte davantage de téléspectateurs (environ 9 millions) que la somme des lecteurs de tous les titres de la presse nationale, L'Équipe et Paris Turf compris? Le plus gros actionnaire de Libération, Édouard de Rothschild, et Nicolas Sarkozy sont également amis. Ils ne le sont sans doute pas autant que ce dernier et Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde. Mais l'essayiste de la « mondialisation heureuse » n'a eu nul besoin de brutaliser le quotidien du soir pour le voir spontanément adopter une orientation « réformatrice », anti-chiraquienne et libérale. Minc sert aussi à l'occasion de conseiller en communication de Nicolas Sarkozy (pourtant orfèvre en la matière) (4). De son côté, Bernard Arnault, PDG de LVMH, actionnaire de TF1 et propriétaire de La Tribune, ne saurait s'exclure du nombre des amis du ministre, lequel a assisté en septembre 2005 au mariage princier de Delphine Arnault (vingt-deux pages dans Paris Match, six membres du gouvernement, un camion pour transporter sans la froisser la robe de la mariée). Nicolas Sarkozy était également présent un an plus tôt, en compagnie de Serge Dassault, à la remise de la Légion d'honneur à Vincent Bolloré. Enfin, et on en oublie dans le tableau de notre information indépendante, Arnaud Lagardère prit la parole lors du meeting de Nicolas Sarkozy animé par Michel Field en mai 2005. Le patron d'Hachette précisa ce soir-là le sens de son engagement : « Quand il y a un but à marquer, je préfère être dans l'équipe que dans les vestiaires. » (1) Le Nouvel Observateur, supplément télévision, 3 juin 2004. |
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