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Nous,
lecteurs du Monde, et par ailleurs écrivains, artistes, critiques,
enseignants, étudiants — ou autres —, suite à la mise en
demeure adressée à Pierre Jourde par Maître Pierrat, mandaté par Mme Savigneau
et M. Douin (Le Monde des livres), tenons à vous faire
part de notre vive indignation. Nous ne pouvons croire qu'un journal
qui prône la liberté d'expression — proposant, d'ailleurs, une
rubrique « Horizons/Débat » (à laquelle certains d'entre
nous ont déjà collaboré) — et que quelqu'un qui s'est rendu au
procès Houellebecq pour défendre cette liberté (Mme Savigneau) puissent
attaquer pour diffamation un écrivain qui n'a fait qu'exercer librement
son esprit critique avec les moyens de son art.
Les
faits
Sont
essentiellement incriminés les passages suivants :
- article de Chronic'art : « Le
Monde des livres publie non seulement de nombreux textes dudit
Sollers, mais, avec constance, de copieux articles sur son œuvre,
généralement remplis de dévotion. L'entité Savigneau dirige Le
Monde des livres. Il est donc à supposer qu'elle a quelque responsabilité
dans cette situation. Cette situation est-elle normale et saine ? »
- essai La Littérature sans estomac (L'Esprit
des péninsules, 2002) :
Page
41 : « Qui déplaît à Philippe Sollers ou à Josyane Savigneau,
quelle que soit la qualité de son œuvre, n'aura pas les honneurs du
Monde des livres » ;
Page
42 : « En revanche, dès qu'il s'agit du Grand Libérateur
Sollers, aucun encens n'est trop précieux, aucune flagornerie n'est
assez appuyée. Les hommages se succèdent dans l'organe officiel du
Parti ? Josyane Savigneau se prosterne régulièrement. L'infatigable
militante transmet au peuple culturel les intuitions géniales du Grand
Libérateur. Les autres membres du Comité central se bousculent pour
monter à la tribune » ;
Page
61 : « Quant au Monde des livres, dirigé par Josyane
Savigneau, il offre un bon exemple de collaboration avec la « grande
tyrannie », pour reprendre l'expression pompière de la même Savigneau.
Enfermé dans des questions d'intérêt, de vengeances et de manipulations,
claquemuré dans une représentation irréelle du monde, il élabore un
modèle de pensée obligatoire et contribue à l'étouffement de talents
véritables ».
Même si les écrits de P. Jourde suscitent chez certains d'entre nous
quelques réserves, il nous paraît scandaleux de voir diffamations
et injures là où il n'y a que critique de certaines pratiques journalistiques,
par ailleurs maintes fois dénoncées (complaisance, renvois d'ascenseur,
tactiques diverses...) — critique qui s'appuie sur des procédés
satiriques (métaphore, hyperbole,...).
Cette offensive sur le terrain juridique est d'autant plus surprenante
que l'article de M. Douin dans Le Monde des livres est, de
ce point de vue, beaucoup plus condamnable : il évoque la « respiration
catarrheuse » de l'écrivain et son « manque de rigueur »,
et cite entre guillemets des termes prétendument extraits du livre,
mais qui n'y figurent pas...
Il nous semble donc que la réputation de votre journal
aurait à pâtir d'une telle procédure judiciaire, laquelle ne manquerait
pas de déclencher de vives actions de protestation à l'échelle nationale.
En espérant que la raison l'emporte,
Comité
national de soutien à Pierre Jourde
Quotidienne
L'autre
Monde
Par
Pierre MARCELLE, Libération, jeudi 21 novembre 2002.
Et voici qu'en matière de France moisie comme dit l'autre, il est
bien plus tard encore que nous ne le pensions.
Passe encore que Blandine Kriegel aille flirter à l'Elysée et Antoine
Gallimard au rapport Place Beauvau, ce sont affaires de commerçants
petit et grand. Mais que Mme Josyane Savigneau, critique littéraire,
envoie (1) du papier bleu à Pierre Jourde, écrivain, voilà qui bouscule
tous les entendements. C'est arrivé, pourtant, après la publication,
dans la livraison de septembre de la revue Chronic'art, d'un papier
de Pierre Jourde en lequel celui-ci évoque la façon dont le supplément
Livres du Monde (que dirige Savigneau) traita de son ouvrage critique
la Littérature sans estomac (2) — charge en règle contre
toutes les sortes de connivences qui organisent l'exercice des pouvoirs
au sein de la si mal dite « république des lettres » :
des apparentements de « Jo.S. » avec l'éditeur Sollers (3)
et avec la télé où elle reçoit sans vergogne son patron Edwy Plenel,
en passant par de plus discrets exercices de promotion dont le plus
spectaculaire restera celui consacré à l'œuvre de Mazarine Pingeot,
quiconque bricole dans le milieu sait cela. Sauf, semble-t-il, l'avocat
Pierrat, dont il est à craindre que les diverses « mises en demeure »
qu'il a envoyées à Jourde et à son éditeur le mettent demain dans
la très inconfortable situation de devoir aller au bout de son propos
— sauf à se dégonfler. Le risque de ce procès, dont il menace
en des termes qui font se tordre de rire tout le mundillo,
sera d'y voir traiter d'un magistère, et de mille petits arrangements
avec la morale, la déontologie, l'éthique — toutes ces choses
qui ronflent si bien dans les très vertueuses proclamations d'intentions
et qui sont si allègrement foulées au pied dans leur quotidien exercice.
Je crois qu'on va bien se marrer.
(1) Et ce, par l'intermédiaire de son conseil, le bavard Emmanuel
Pierrat, qui se pique d'être l'arbitre de toutes les mondanités juridico-éditoriales
(en cette matière, il défend tout ce qui bouge). Plus drôle :
Me Emmanuel Pierrat a un jour écrit un roman.
(2) Edité à l'Esprit des péninsules.
(3) Et accessoirement éditorialiste copyrighté au Monde.
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