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'était
un très vieil ami, avec lequel j'aurai tant partagé !
Notre amitié a été une relation toujours intense,
et très riche, tendue, parfois difficile il est vrai. Je suis
bouleversé par cette nouvelle. Nous nous sommes connus en khâgne
à Louis le Grand en 1949, puis nous étions ensemble
à l'École Normale, il n'était pas encore sociologue
alors, nous parlions de philosophie, surtout de Leibnitz et de Heidegger.
Nous nous sommes retrouvés en Algérie, où je
faisais mon service, lui faisait ses débuts de sociologue.
Mais nos échanges ont véritablement repris à
la fin des années 60, lorsqu'il a mis en chantier son projet
de refonte de la sociologie, en inaugurant un travail qui intégrait
la philosophie pour produire une "sociologie de la sociologie". C'était,
dans le monde entier, une grande et originale figure de la sociologie
contemporaine.
Il
avait l'ambition de rendre compte de tous les champs de l'activité
sociale, y compris les champs intellectuels, et y compris la sienne
propre. Cette construction "hypercritique", autour d'un de ses mots
préférés, "objectiver" (analyer et rendre
objectif ce qui est à l'œuvre dans toute pratique spontannée)
est au centre de sa démarche, et en fait le prix. Nous avons
eu des débats, et des des désaccords, sur son approche
du champ philosophique, mais nous nous sommes souvent retrouvés
côte à côte dans des projets militants, en particulier
à propos de la situation des immigrés. Parmi ces actions
communes figurent la fondation du Parlement des écrivains à
Strasbourg en 1994. À partir de 1995, l'intellectuel engagé
qu'il a toujours été a pris sur les luttes sociales
des positions radicales, assez solitaires. Je me suis senti assez
proche au moins de ce qui l'inspirait, même si nous n'avions
pas les mêmes gestes et si nos façons d'approcher les
choses ne se ressemblaient pas. Mais je perds un témoin et
un ami irremplaçable."
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