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our ouvrir le débat, quelques questions posées par Jean-Luc
Giribone ( seuil ).
Quelle est la genèse de ce livre ?
Deux logiques
m'ont conduit à écrire ce livre : tout d'abord ma recherche sur le pouvoir.
Il me semble que la domination masculine était l'illustration la plus accomplie de la
violence symbolique, une forme de violence douce qui s'accomplit dans une certaine mesure
avec la complicité de ceux qui la subissent et c'est une forme de domination dans
laquelle on peut ranger :
- la domination coloniale quand elle
existait,
- la domination impérialiste qui existe
toujours et en particulier dans la domination intellectuelle,
- la domination culturelle qui s'exerce dans
une société...
Toutes ces formes de domination me paraissent ressortir de la même catégorie ou classe
logique. La domination masculine étant la forme la plus accomplie à propos de laquelle
l'analyse doit et peut se déployer avec tout son raffinement.
La deuxième raison.
Il existe une recherche abondante et immense liée à l'émergence du mouvement féministe
qui fournit un matériel très précieux à propos duquel on peut exercer l'analyse
théorique.
Le sujet est difficile comme je l'ai dit dans mon livre dès la première phrase pour des
raisons intellectuelles et sociales qui tiennent en partie à la réception.
De la
difficulté d'écrire la sociologie...
Ecrire sur ce
sujet quand on est un homme ce n'est pas facile à deux titres :
La domination concerne les femmes, celles qui la subissent et celles qui la
font subir et on ne peut jamais être certain d'avoir explorer à fond les arcanes de ces
structures inconscientes à travers lesquelles la domination s'exerce à la fois sur le
dominant et le dominé.
La sociologie est très difficile à écrire car les sociologues doivent
produire les conditions de leurs propres réceptions chez les auditeurs et les
lecteurs.
Ils doivent produire les instruments de compréhension sans supposer que ces instruments
sont là. Au contraire, ceux qui sont déjà là sont des instruments de méconnaissance
et d'incompréhension triomphante.
Le
sentiment, que tout un chacun a des rapports hommes femmes, est-il forcément un sentiment
erroné que le sociologue doit mettre en question ?
Le sociologue
doit mettre en suspend ses propres présupposés et doit s'armer de tous les instruments
théoriques, techniques, empiriques, pour mettre en suspend ses propres présupposés.
Ainsi que les présupposés inscrit dans le langage.
Les sociologues se battent avec le langage, et c'est une des raisons pour laquelle la
sociologie est si difficile à écrire. Dès que les sociologues se laissent aller aux
automatismes verbaux, ils produisent de la sociologie spontanée, c'est à dire de
l'anti-sociologie.
Ils doivent se battre avec les idées reçues, les représentations communes, avec ce
qu'ils lisent dans les journaux, et une part de ce qui s'écrit même sous couvert d'une
lutte féministe.
C'est un sujet difficile d'autant qu'il
n'est pas certain que la réception sur laquelle les sociologues pourraient compter, celle
de ceux qui subissent la domination masculine, soit acquise.
C'est un des paradoxes de la violence symbolique.
Lorsque j'ai travaillé sur l'Algérie en voie de décolonisation je ne pouvais pas
compter sur la compréhension immédiate de ceux au nom de qui j'aurais pu penser que je
parlais.
Il est donc très difficile d'écrire sur ces sujets à moins que d'avoir une confiance
triomphante dans le pouvoir de ce que l'on écrit, en son propre verbe.
Quelle
est la spécificité de la forme de domination masculine par rapport aux autres ?
La recherche
procède de cette façon : il faut construire inévitablement des concepts.
Un concept est une classe logique à l'intérieur de laquelle on va classer un certain
nombre de personnes, d'individus, de propriétés, on peut ensuite travailler à
spécifier...
Par exemple, un des intérêts de la domination masculine comparé à la domination
symbolique telle qu'elle s'exerce sur les noirs aujourd'hui des Etats Unis c'est que c'est
une domination particulièrement subtile et invisible. Celle qui de toute les dominations
se cache le mieux dans l'insignifiant, le banal, le quotidien, le je ne sais
quoi...
C'est une chose importante à la fois politiquement et scientifiquement pour faire
entendre que la domination masculine plus encore que pour les autres formes de dominations
symboliques passent par le presque rien. Il faut être attentif dans l'observation, c'est
pourquoi les travaux d'une fraction de la littérature féministe sont très
précieux.
Dans mon travail j'essaie de redresser les
torts, de redistribuer les récompenses symboliques autrement qu'elles sont spontanément
distribuées par la loi sociale qui distribue les récompenses y compris les récompenses
scientifiques et pas nécessairement justes.
Si je devais dire "citez-moi 5 noms de travaux féministes", il est probable que
ceux que vous citeriez ne sont pas ceux de mon livre et il est probable que ceux que je
cite ne sont pas connus de vous.
Parmi ces travaux il y en a un remarquable, paru dans une revue obscure au Etats Unis dans
laquelle une femme rend compte, à partir d'un travail fondé sur l'observation et
minutieux, et décrit la fonction sociale de l'usage différentiel du téléphone par les
hommes ou par les femmes. On peut dire le bavardage féminin est un stéréotype et ce
n'est même pas faux.
Pourquoi
dans la division du travail entre les sexes, ce qui est appelé du bavardage par la vision
dominante, incombe aux femmes et en particulier l'usage du téléphone ?
Dans la division
du travail entre les sexes à l'intérieur de la famille, l'entretien du capital social du
réseau de relation de la famille de l'époux et de l'épouse incombe à la femme, cela
fait partie de ces tâches statutaires.
Sur la base de travaux empiriques, d'observations, cette femme montre que les femmes dans
beaucoup de cas entretiennent leur propre parenté mais aussi la parenté de leur
mari.
Cette observation qui n'a l'air de rien, est très importante, car elle raffine les
analyses de la division du travail, et met en question les stéréotypes, les idées
reçues qui comme toujours ne sont même pas fausses. S'il suffisait de prendre l'inverse
des idées reçues, le travail du sociologue serait le plus facile du monde, ce serait
simple.
En fait, très souvent les idées reçues contiennent une part de vrai, et il est vrai que
si on compte le temps passé au téléphone ce sont les femmes qui parlent le plus dans la
vie familiale.
L'usage particulier que les femmes font du téléphone n'a pas du tout le sens que le
stéréotype leur donne lorsque on couple cette manifestation de sa fonction et de sa
signification à l'intérieur de l'unité domestique.
Ce presque rien qui peut ne pas être vu par le dominé lui-même.
Peut-on
imaginer que le dominé, quoique le sociologue le décrive en situation de domination, ne
se sente pas lui-même en situation de domination ?
J'ai beaucoup de
témoignages (qui peuvent être contestés) de femmes qui ayant lu mon livre, ou des
versions antérieures (il y en a eu beaucoup), m'ont dit avoir éprouvé un effet de
révélation, alors qu'apparemment on pouvait penser qu'elles étaient bien placées pour
les connaître.
C'est une chose banale, qu'on accorde pas aux sociologues mais aux philosophes, mais les
sociologues apportent aux gens une révélation des choses sur leur
expérience.
Dans les luttes théoriques actuelles à
l'intérieur de l'univers sur la recherche des femmes, un des courants insiste sur le
prima absolu de l'expérience.
C'est un postulat méthodologique qui exclut les hommes, qui par définition ne peuvent
pas avoir l'expérience de domination. Je trouve cela suspect car je crois à
l'universalité de la science. Il n'est pas certain que cette expérience enferme sa
propre vérité, et que
l'introspection soit une voie d'accès nécessaire à la vérité de ce qui est
éprouvé.
C'est un vieux topique qui remonte à Auguste Comte, mais bizarrement les mouvements
scientifiques à dimension politique comme le mouvement féministe repasse souvent par des
erreurs anciennes. C'est une fonction de la culture de permettre d'évoquer la logique des
précédents.
Les questions
du public.
La
violence symbolique est constituée à partir d'une violence de domination bien réelle ce
n'est pas une entité platonicienne mais cela correspond à une structure sociale ou il y
a une violence et une domination qui n'ont rien de symbolique ...
J'ai longuement
développé après hésitation, dans mon livre, les malentendus probables sur la notion de
symbolique.
Parmi les lectures probables de l'idée symbolique il y a : c'est de l'ordre de l'idéel,
du spirituel, donc c'est pas sérieux.
Une des hypothèses centrales que je crois fortement validées dans ce livre c'est qu'en
un sens il n'y rien de plus réel que la violence symbolique. Une des lacunes tragiques du
mouvement social du XIX siècle, et en particulier celui qui se réclamait du marxisme,
c'est que l'on faisait cette opposition entre le matériel et le spirituel, entre le
vraiment sérieux (les femmes battues) et la violence qui sous prétexte qu'elle est
symbolique et qu'elle ne passe ni par la force économique, ni par la force des
baïonnettes ou des canons, ne serait pas sérieuse.
Ce n'est pas parce que l'on ne peut pas la montrer et qu'elle ne s'exerce pas à travers
des effets physiques (l'échange de coups), le rapport de force physique, qu'elle n'est
pas tout aussi violente sinon plus. Je pourrais dire qu'elle est d'autant plus violente
qu'elle n'en a pas l'air.
C'est un défi politique et scientifique,
les deux sont inséparables.
S'il est vrai que la violence symbolique mène le monde pour une grande part il est
important de la réintroduire dans une recherche qui prétend comprendre comment marche le
monde.
Vous avez, dans votre question, fait
l'opposition entre le matériel et le symbolique...
En fait je pense que l'on est passé d'une
histoire matérialiste un peu courte, à une histoire spiritualiste qui s'appelle
l'histoire des idées et qui se présente comme une révolution intellectuelle alors
qu'elle est une régression par un simple renversement.
Alors qu'il ne suffit pas de renverser une erreur pour tomber dans le vrai.
Je pense que la notion de violence
symbolique est extrêmement importante pour échapper à cette alternative : violence
matérielle sérieuse et force des idées. Celle que l'on veut reconnaître, la seule,
entre gens biens nés et bien élevés.
Je pense qu'il y a une force qui n'est pas
la force des idées, qui n'est pas la force intrinsèque de l'idée vraie dont parlait
Spinoza. Ce n'est pas la force de démonstration, de la logique, de l'économie
mathématique. C'est la force douce et subtile d'une persuasion.
On pourrait sur ce sujet, invoquer Pascal qui est le premier théoricien sur la violence
symbolique. Une force qui s'exerce à travers la connaissance. La connaissance est une des
médiations à travers lesquelles on manipule le monde.
Chacun de nous a, dans son esprit ou
son cerveau, des structures cognitives qui sont le produit d'un apprentissage social. Ce
ne sont pas des structures cognitives universelles comme le prétendait Kant, ce ne sont
pas les catégories de l'entendement ou des formes d'appriori de la sensibilité
universelle. Ce sont des catégories historiques, des structures, des préférences comme
: blanc noir, hommes femmes, chaud froid, soft hard.
Ce sont des structures, des principes de division qui permettent de rendre le monde
intelligible, qui font que le monde a du sens.
Ces structures cognitives sont le produit d'un apprentissage social. Elles sont donc
associées à des conditions historiques, elles sont variables selon les moments et les
positions dans l'espace social etc... et c'est sur la base de ces structures, en
manipulant ces structures historiques que du pouvoir symbolique peut s'exercer comme la
démagogie.
On en parle depuis Démosthène.
C'est une définition moderne, rationnelle, et on arriverait très vite à la
télé. La démagogie c'est l'art de manipuler, de toucher, d'agir sur les
structures cognitives des personnes à qui l'on s'adresse, et l'on va dire : "dans
ces matières c'est un peu soft ". On va utiliser cette opposition hard soft, sans
voir que c'est l'opposition masculin féminin déguisée.
Et l'on va retrouver dans la distribution selon les disciplines : du côté du hard, on
aura des garçons du côté mathématique probablement, pas en terme de fatalisme ni de
déterminisme, et du coté du soft, des filles.
Quelqu'un qui sait manipuler l'opposition comme celle du hard soft peut exercer un pouvoir
insensible, invisible et peut être inconscient de l'exercer. Les pires pouvoirs sont ceux
que les puissants exercent sans même le savoir.
On voudrait analyser le racisme, il faut
commencer par ce que je suis en train de dire et je pense que mon travail est une
contribution contre le racisme.
Le sexisme est une sous-catégorie du racisme, et les discours xénophobes racistes sont
l'illustration parfaite de ce que je viens de dire. Je pense que c'était une des
faiblesses historiques et de la science et de la politique qui se réclamaient de la
science que d'être enfermées dans l'alternative du matériel et du spirituel.
Alternative qui règne encore en
histoire.
J'ai pris cet exemple de ceux qui réhabilitent l'histoire des idées et c'est proprement
grotesque. C'est une régression vers l'archaïsme, pensant qu'ils ont fait un grand
progrès.
Ils ont entendu dans leur jeunesse des historiens de la révolution française un peu
courts
Cette faiblesse de la pensée de la science est aussi une faiblesse de la
politique.
Nous sommes dans une société ou les forces économiques les plus brutales doivent une
part de leur efficacité historique à la médiation symbolique à travers laquelle elles
s'exercent.
Le rôle que peuvent modestement jouer les chercheurs dans le mouvement social consiste à
apporter des éléments d'analyse pour comprendre ces forces.
Les publicitaires, les spécialistes de relations publiques, ont une connaissance pratique
du pouvoir symbolique, bien supérieure à celles des consommateurs sur qui s'exerce leur
talent. Mais aussi aux gens chargés de résister à leurs pouvoirs dans les syndicats,
dans les partis. Les manuels de relations publiques sont ce qu'il y a de plus près de la
théorie de la violence symbolique telle que je la décris.
Avec Pascal je dis : "si vous voulez savoir ce que c'est que la violence symbolique
prenez un manuel de relations publiques qui vous expliquera la différence entre la
publicité et les relations publiques".
En publiant je sais que je m'expose à ce
qu'on dise : "enfin Bourdieu c'est pas sérieux, qu'est-ce qu'il raconte il y a le
F.M.I, les luttes, le salaire unique, le chômage, qu'est ce qu'il va nous chercher avec
le symbolique, c'est de la foutaise
".
Je pense que nous allons de plus en plus vers des sociétés ou le pouvoir passe par le
symbolique, la culture, l'éducation, le cinéma, la littérature.
Je pense et je le dis dans ma collection Liber raisons d'agir, je brûle d'avoir un
travail sur la lutte récente à propos de l'art moderne qui est une lutte foncièrement
politique mais tellement euphémisée. Quand c'est dans les mains de Domex ça ne l'est
pas trop.
Mais il y en a d'autres qui sont plus raffinées que ça et ce n'est plus politique.
Aux gens qui trouvent votre sociologie pessimiste vous dites en fait qu'elle contribue à
défataliser le monde...
Je pense que
l'analyse historique, sociologique des bases sociales de la reproduction des rapports
masculins-féminins loin de paralyser..., c'est un vieux reproche que l'on me fait
toujours et quand je pense à ce que sont devenus ceux qui me faisaient ces reproches sur
l'éducation, je pourrais rire ... si il y avait de quoi rire, beaucoup de ces gens sont
au ministère de l'Education Nationale et qui autrefois faisaient la révolution...
Je pense qu'on me disait exactement la même chose : " vos analyses sur l'éducation
vont désespérer" non pas Billancourt, mais
C'était l'époque où pour la première fois les fils d'ouvriers accèdaient aux études
secondaires et on me disait : "c'est au moment même ou l'éducation devient
accessible à tous, que vous dites que
"
Ce reproche de démobiliser, de détruire les convictions était totalement
injuste.
Et injuste ça n'a aucune importance, ce reproche est faux et il n'a aucun sens.
La domination masculine est très difficile
à dépasser.
La prise de conscience n'y suffit pas. C'est un point de désaccord que j'ai avec les
travaux féministes dont je me sens le plus proche comme ceux de Mme Mathieu.
Le
sociologue est-il le seul à pouvoir échapper à la domination ?
Le sociologue
n'a pas l'illusion d'être le seul à pouvoir échapper à la domination.
Il a, en tant que membre d'une communauté savante qui collectivement fait avancer la
recherche, des armes que le commun des mortels peut ne pas posséder.
Il fait tout ce qu'il peut pour divulguer ses armes. C'est une chose importante.
L'ambition de tout sociologue qui se respecte, est de dissiminer les armes qu'il produit
et de les fournir à tout le monde
Je dis souvent : "la sociologie c'est un sport de combat", dont on ne se sert
pas dans la vie comme les judokas, mais ça arrive quand on est trop énervé.
Le sociologue distribue la pratique, la connaissance avec l'espoir
qu'en se servant de ces armes les simples citoyens qui n'ont pas le
temps de faire de la sociologie pourront mieux se défendre contre
les différentes formes de domination et en particulier contre la domination
symbolique.Le sociologue n'a pas le monopole de la lucidité même pas
la communauté sociologique.
La
domination masculine est elle indépassable ?
Non, pas du
tout.
Un des progrès... pardonnez-moi de parler ce langage mais après tout, on n'écrit pas un
livre si on ne pensait pas qu'il apporte un progrès, tout le monde le pense, peut être
qu'en le disant naïvement je peux apparaître arrogant et dominateur, bon c'est comme
ça,
... un des progès que je pense avoir apporté dans ce livre par une analyse abstraite de
la domination masculine et des mécanismes à travers lesquels elle se reproduit, c'est la
possibilité d'une action politique sur les mécanismes qui tendent à reproduire la
domination masculine.
Autrement dit, et c'est une des choses que l'on peut reprocher à la tradition féministe,
c'est qu'en partie..., c'est très très moche de caractériser un mouvement très divers,
plein de conflits qui est un champ de lutte,... malgré tout une chose n'est pas fortement
représentée dans toutes ces analyses, c'est l'analyse des mécanismes de conservation de
la relation de domination.
En deux mots, l'idée qui me paraît
importante et dont je suis un petit peu fier, parce qu'elle fut difficile à trouver,
c'est que je ne dis pas que la relation masculin-féminin est éternelle, je dis qu'elle
est éternisée.
Il y a des mécanismes très puissants qui sont à l'uvre, le plus souvent ils sont
invisibles, et ils tendent à la rendre durable, à la perpétuer. Ces mécanismes
d'éternisation sont inscrits dans les structures mentales, objectives, dans les
structures de la famille, les structures scolaires. Par exemple : la hiérarchie et la
discipline scolaire sont habitées par l'opposition entre maculin et féminin. Lorsque les
filles vont en toute liberté faire des études de lettres, appelées par la vocation,
elles ne font que suivre un rail socialement constitué. Si par hasard elles s'en
écartent il y a des rappels à l'ordre constant.
Dans les entretiens il y a des choses
absolument pathétiques. Des jeunes filles de quinze ans qui découvrent les rails, pour
moi il n'y a rien de plus tragique... peut-être suis-je trop sensible, mais des filles
vous disent : "quand j'ai appris à douze ans que je ne pouvais pas jouer au football
avec des garçons"
Il y a des structures qui se reproduisent par toutes sortes
de mécanismes. Et découvrir que ces structures sont inscrites : dans la famille, les
écoles, les églises (il suffit de penser au PACS, pas besoin de faire de
démonstration), mais aussi dans l'état, c'est donner des orientations possibles à une
action politique.
Il y a à faire et à faire collectivement, et les femmes dans ces luttes ne sont pas
seules.
Je dis en passant que l'opposition..., que j'ai faite il y a longtemps dans un entretien
que j'avais donné au Monde sur l'état de la main droite (les finances) et de la main
gauche (les ministères sociaux),... est dans l'objectivité et, je n'avais pas vu à
l'époque que cette opposition était liée à la relation masculin-féminin.
Les ministères sociaux sont ceux où on trouve le plus de femmes et qui sont le plus
utilisés par les femmes.... statistiquement... Faire apparaître des choses comme ça
c'est dire grosso modo que les femmes ont intérêt au WellFare State. C'est un peu
simpliste mais c'est une ligne politique. Ca veut dire, la dissolution libérale de
l'état qu'on vous prêche, réfléchissez-y deux fois.
Est-ce
que mettre au centre de manière aussi radicale la domination dans le système social tout
en affirmant que le discours sociologique contribue à armer les luttes sociales est-ce
que ce n'est pas nier l'histoire et le politique justement ?
On ne sort pas
de la domination masculine par la prise de conscience, pas plus qu'on ne sort de la
domination culturelle par la prise de conscience.
Dans la mesure où les structures de la domination masculine sont incorporées très
profondément, enfouies profondément hors des prises de la conscience. Pour faire
comprendre à ceux qui douteraient de ce que je dis je donnerais deux exemples : il ne
suffit pas de savoir que la timidité est liée à une trajectoire sociale particulière
pour être libéré de la timidité. Tout ce que disaient les classiques sur les passions,
les cartésiens, et dieu sait qu'ils étaient rationalistes et qu'il croyaient au pouvoir
absolu de la raison sur le corps, ils disaient : on ne triomphe pas des passions par les
armes de la raison.
Liebniz avait une très belle formule, il disait : il faut lutter contre une passion par
une autre passion et il faut lui opposer des volontés obliques, il faut ruser avec les
passions. Or, ce que nous appelons passions, ce sont des dispositions, ces choses que nous
avons acquises et incorporées, c'est la disposition à aimer
On ne s'en sort pas par la seule prise de conscience. Cela dit ca ne fait pas de mal, et
d'autre part sur la base d'une prise de conscience il y a des actions possibles de lutte
contre les organismes, les institutions qui contribuent très fortement à perpétuer la
domination. J'ai pris l'exemple du PACS, et on le voit bien, l'église n'est pas morte
sous ce rapport là. Elle se perpétue dans les cerveaux parce que la distribution des
opinions sur le PACS n'est pas distribuée aléatoirement selon la pratique
religieuse.
Une
question courte : considérez-vous le pouvoir comme intrinsèquement mauvais ?
Non, je ne pose
jamais le problème dans ces termes.
Je pense que..., c'est peut-être un biais inhérent au fait d'appartenir à un univers
scientifique dans lequel on se pose un certain type de problèmes qui sont le produit
d'une histoire... à travers ce que je vous dis c'est : Marx, Durkheim, Goffman, Weber,
des tas de noms propres qui parlent. Je pourrais sous chaque phrase, c'est d'ailleurs une
difficulté de la communication esotérique, il faudrait dire ici je passe chez Kant, là
je suis...
L'avancée de ce que j'appelle un champ scientifique consiste à écarter les problèmes
comme celui-là. On ne pense plus à ce genre de problème. Alors, il peut arriver que ça
soit une nécessité collective, mais je pense que dans beaucoup de cas c'est un
progrès.
Nous avons réélaboré une problématique de telle manière que ces problèmes sont
écartés.
Ce qui pose un très difficile problème de communication entre professionnels et
profanes, car après tout, on accorde le statut professionnel à n'importe quel
mathématicien ou géographe, pourquoi ne pas l'accorder au sociologue.
Ce qui sépare les professionnels des profanes ce n'est pas la compétence. C'est les
problèmes. Je disais à l'un de mes fils physicien de haut niveau, si je voulais rentrer
dans ton labo : "qu'est ce qui serait difficile pour moi ? Est-ce que tu crois que se
serait possible ?
Franchement ce serait pas facile, facile.
Sans rien lui avoir soufflé, je ne lui est jamais parlé de sociologie à table, il m'a
dit : "ce qui serait difficile c'est les problèmes, tu ne verrais pas les problèmes
qu'on se pose, et j'aurais des problèmes pour t'expliquer mes problèmes".
Nous, sociologues, nous sommes dans une situation tout à fait analogue, nous passons
beaucoup de temps, nous nous armons de textes classiques et d'instruments statistiques
pour briser des problèmes. Ensuite on nous dit : "pensez vous que l'on doivent
supprimer les grandes écoles ? Etes-vous pour ou contre...? en gros c'est ça les
questions.
Je ne veux pas être méprisant, loin de là, mais je pense que nous devons avoir le
courage de dire que nous avons nos problèmes. Mais vous êtes dans le droit de dire que
vous ne reconnaissez pas vos problèmes dans ceux des sociologues. Et de dire, ils sont
dans la lune, dans la tour d'ivoire, enfermés dans des problématiques historiques. C'est
tout à fait légitime. Mais, il est légitime pour nous, et je pense que les rapports
entre les journalistes et les chercheurs en sciences sociales feraient un bond en avant s'
il était admis qu'une question de journaliste ça ne va pas de soi.
Et il n'y a aucune espèce de mépris de ma part. Il y a des gens qui voudraient faire
croire qu'i y a du mépris dans cette phrase, pour pouvoir récuser ce que je dis. Au
contraire c'est du respect.
(Il y a des cyniques dans toutes les professions qui font semblant que la question du
problème ne fait pas problème, et les journalistes les adorent... je ferme la
parenthèse).
Est-ce
que la sociologie de "l'immédiaté" opposé à la sociologie distanciée de son
sujet ne pose pas problème ?
C'est la
première fois que j'entends parler de la sociologie de "l'immédiaté" à
propos de mon travail. Vous renverseriez vraiment l'image dominante. Enfin, si c'est votre
image, vous avez le droit. Je pense que vous invoquez sous une forme euphémisée le dogme
que nous appelons dans notre jargon le dogme de la neutralité axiologique, qui est une
invention de Max Weber, et qui a beaucoup circulé parce que les professeurs de sociologie
racontent ça, c'est plus facile que de faire de la vraie sociologie.
Il n'y a pas de corrélation entre la neutralité et la scientificité. Il y a des gens
qui parfaitement neutres et pour cette raison même n'apportent rien sur le monde social.
Et des gens qui très investis sous réserve de se soumettre à des contrôles
proportionnels à leur investissement apportent beaucoup sur le monde social.
Au Etats Unis, il y a eu dans les années
72 toute une campagne pour discréditer Foucault, en mettant son oeuvre en relation avec
le fait qu'il était homosexuel... Vous savez on n'y va pas avec le dos de la cuillère
quand il s'agit de démolir quelqu'un qui dérange. ... et même qu'il était de tendance
sado-masochiste. Il y a des livres de cette veine, de cette farine. Je pense que je
pourrais plaider, même si je ne suis pas un des plus intimes, mais je le connais assez
bien. Je pense que si Foucault n'avait pas été homosexuel on aurait pas la plus grande
oeuvre contemporaine, car il n'aurait pas rencontré les problèmes dramatiques posés par
son statut d'homosexuel. Si Foucault n'avait été qu'un homosexuel, il y en a beaucoup,
il n'aurait pas fait du Foucault.
Comme l'a dit un jour un sociologue, pour critiquer Foucault il faut aller à la
bibliothèque il faut se lever de bonne heure. C'est un aveu extraordinaire qui a 20 ans,
aujourd'hui on ne dit plus ça. On peut passer une heure à lire un type et le descendre
en flamme. C'est vrai que si Foucault s'était contenté d'être homosexuel il ne nous
aurait pas apporté des révélations ni sur les prisons, l'enfermement, le
pouvoir...
Il avait, du fait de sa position particulière des problèmes particuliers qu'il a
sublimés scientifiquement au prix d'un travail énorme sur lui-même.
Est-ce
que le fait de vous investir personnellement dans les thèmes que vous traitez ne remet
pas en cause la pertinence de vos travaux, d'autant que vous parliez de la nécessité
pour le sociologue de se défaire de certains présupposés ?
Alors je peux
m'étendre en me mettant sur les ailes de Foucault.
En deux mots je peux dire que le travail de la domination masculine c'est un travail sur
moi-même, un travail au sens de la psychanalyse, qui est très difficile a écrire parce
que c'est un travail d'anamnèse pour faire sauter des refoulements, des censures, des
refus de savoir... Les Allemands ont beaucoup parler de ce refus de savoir à propos
de l'holocauste, et bien je pense que dans les sciences sociales il y a du refus de
savoir.
Et parmi les moteurs qui font sauter les verrous du refus de savoir il y a des
passions.
Si ce sont des pures passions, ça devient des insultes : " à bas les ci, à bas les
ça..."
Ces passions deviennent moteurs de science, lorsqu'elles s'incarnent dans des gens qui par
ailleurs font beaucoup de mathématique, de philosophie, font beaucoup de travail, et qui
peuvent sur la base d'une pulsion, reposant sur des principes affreux comme une curiosité
malsaine, font avancer le savoir.
Pour aller jusqu'au bout je pense que, plus on a des problèmes avec le monde social plus
on a de chance d'être un bon sociologue. Alors du coup j'inverse votre proposition
implicite.
Dans
cette salle tous les intervenants, moi compris, sont des hommes...
Pratiquement, qu'est-ce que vous pensez pouvoir faire pour changer cette situation ?
Est-ce que vous vous engagez vous-même dans l'action politique comme c'est, me semble
-t-il, la direction que vous prenez dans votre collection Liber Raison d'Agir ?
Votre position d'intellectuel se borne t-elle comme en 95 à éclairer les gens dominés
du discours des dominants ?
Vous réveillez
des dichotomies que le travail de recherche amène à dépasser.
Des dichotomies entre pensée/action, connaissance/action.
Je pense que Raisons d'Agir, le nom le dit, est une entreprise, une collection
dont l'objet est d'élaborer, de formuler des raisons d'agir, de donner à ceux qui
veulent agir des raisons. Vous allez dire : "on peut agir sans raison".
Je pense que les chercheurs peuvent dire : "mon travail c'est la connaisance pour la
connaissance", et les raisons de mon existence, ma raison d'être c'est de trouver
des vérités". Et d'éventuellement (certains s'arrêteraient là) les divulguer, en
pensant que la vérité est comme la philosophie "off clairon" : "la
vérité est toujours bonne à dire, parce que la vérité apporte la lumière, et est par
soit libératrice". Et je n'en suis pas toujours sûr.
Ce serait un débat très difficile.
Je ne suis pas toujours sûr que la
vérité..., si on le dit dans les journaux demain je serais obligé de démentir, ...mais
je ne suis pas toujours certain que la vérité soit toujours bonne à dire. Ce qui ne
veut pas dire que je méprise les gens.
Par le simple fait d'analyser la domination, la violence symbolique, le sociologue
agit.
S'il est vrai que la domination symbolique est pour une partie le résultat de l'ignorance
des mécanismes par lesquels elle s'exerce, le fait de rendre conscient des mécanismes
cachés, c'est déja une action.
De plus s'il est vrai que les sociologues s'inquiètent de mettre dans leur préoccupation
de recherche..., et c'est très difficile parce qu'ils ont leur logique de recherche,
leurs problèmes, ...il ne faut pas croire que le sociologue n'attend qu'un appel pour
aller faire de la solidarité avec les grévistes. C'est très très embêtant... toute la
solidarité que l'on puisse éprouver, toute la conviction que l'on a, c'est très
important.
Il y a aussi la recherche qui a sa logique, qui est urgente. On a pas assez de 24 heures
par jour pour lire une revue scientifique, pour apprendre les dernières méthodes
etc.
Il est vrai que c'est un choix quasiment existentiel. A un certain moment, on se dit
:
"est ce que, ce que j'ai fait, a vraiment tout son sens si je ne le fais pas un tout
petit peu connaître" ?
Ce n'est pas un choix métaphysique, c'est faisable, mais c'est difficile.
C'est difficile parce que c'est mal compris.Parce qu'on pense : "s'il ne dit rien, il
est dans sa tour d'ivoire. S'il dit quelque chose, il veut donner des leçons au peuple,
il se prend pour le führer, qu'il est totalitaire, qu'il veut que la science soit au
pouvoir. Vous avez pu lire ça ces jours-ci.
C'est très difficile, un des gros problèmes pour Raison d'Agir, pour le collectif de
chercheurs que nous avons constitué, c'est de trouver des solutions pratiques à cette
alternative : que les jeunes chercheurs qui sont souvent les plus pétulents, qui ont
envie que leur science serve à quelque chose ne se détruisent pas intellectuellement à
s'investir dans le mouvement militant, et du même coup à perdre leur intérêt pour le
mouvement militant à condition que ces mouvements aient un intérêt bien
compris...
Et faire en sorte que les vieux n'aillent pas pontifier au détriment de ce qu'ils
pourraient faire, il y a des problèmes concrets...
Il y a des chose très importantes :
comment donner à cette parole scientifique à prétention scientifique..., alors
évidemment lorsqu'on dit "science" cela veut dire discutable, provisoire..., il
faudrait faire un cours d'épistomologie obligatoire pour tous les journalistes avec
interrogation écrite..., évidemment quand on dit science cela veut dire par définition
discutable. C'est même la seule chose qui soit discutable. Il y a des gens qui au 18
siècle, sont morts pour que l'on substitue des vérités discutables à des vérités
indiscutables : l'obscurantisme c'est les vérités indiscutables...
Alors en disant que je prétends faire de la science, je dis la chose la plus modeste du
monde et il faut des imbéciles.... mais je m'enflamme...
Un des problèmes concrets : comment faire pour parvenir à dire ces choses-là dans un
monde si difficile ?
Avec des journalistes, qui non seulement ne font pas le relais mais font écran autant
qu'ils peuvent...qui lorsqu'on envoie une page Rebonds mettent 15 jours à la
passer, et demandent absolument à ce qu'elle soit signée d'un nom connu sinon ... toutes
sortes de choses que vous pouvez lire entre les lignes dans mes écrits...
Comment arriver à faire passer cela en échappant à ce mythe du führer théorique
?
Alors on a travaillé, on a des commencements de solutions. On a dit : "c'est
pas l'intellectuel total à la Sartre, c'est pas l'intellectuel spécifique à la
Foucault", et Foucault travaillait en ce sens. L'intellectuel spécifique cela veut
dire : "le type parle de ce qu'il connaît". C'est l'intellectuel collectif qui
peut être un peu plus total car, si on met un économiste, plus un historien, plus un
sociologue, c'est un peu moins mal. Et, étant collectif il échappe à la
personnalisation.
Avant de venir ici, j'ai travaillé longuement avec un ami allemand qui m'a dit : "je
suis allé vous représenter là au groupe untel... et je leur ai dit d'emblée, voyez je
suis porte parole d'un collectif, je ne suis pas M. Bourdieu que vous aviez invité, mais
je suis M. "Y" qui vient au nom d'un collectif..." Il m'a dit qu'ils
avaient parfaitement compris ça, ça été formidable ils ont eu des discussions...
On s'efforce de trouver des solutions.
C'est un collectif modeste, un collectif c'est modeste, il faut réfléchir la-dessus,
c'est presque par définition modeste. C'est un collectif qui propose des contributions
garanties par le collectif, c'est à dire soumises à la critique collective et à travers
ce collectif il y a toute la communauté scientifique. Voila, on essaie mais c'est
très difficile. En partie parce que les structures mentales des gens qui reçoivent sont
anciennes.Un des gros obstacles c'est la personnalisation des collectifs par le
journaliste. Les journalistes disent le patron du parti communiste, le patron du RPF, dès
qu'il y a un groupe il faut un patron.
Essayez de faire un collectif dans ces conditions... On veut tout de suite que ce soit un
nom propre, le plus connu parce que ça apporte l'audimat, des lecteurs... quoiqu'on
dise... Il y des obstacles sociaux très difficiles à surmonter à la construction d'un
collectif, de chercheurs et non de militants, qui ne soit à la botte de personne. C'est
très important.
Si vous relisez dans Contre Feux,
dans tous mes textes, c'est une chose..., je me suis fait traité de populiste à la gare de Lyon, le lieu par excellence du populisme, où les
moins populistes que je connaisse auraient fait du populisme ...tout le dernier paragraphe
est contre les dangers du populisme. Vous pouvez relire, et le texte n'a pas été
trafiqué.
Les conditions de réception sont très difficiles et j'espère que le travail que je fais
ce soir fait avancer cette idée d'une nouvelle forme de travail politique qui n'est pas
antinomique au travail scientifique, qui n'est pas personnel, qui n'est pas hétéronome,
on ne prend pas une carte et après on dit que tout ce fait assez bien, etc...
Tout ça il faut le mettre en pratique et évidemment dans l'état actuel des choses c'est
extrêmement difficile. Donc on est modeste...
Question
d'internaute : Vous venez d'écrire : "la domination masculine."
Envisagez-vous d'écrire aussi sur "la domination féminine" ?
C'est une jolie
question mais ce n'est pas une question pour sociologue. Pour ma part je n'ai pas ce
projet. Mais, pour répondre sérieusement, dans domination masculine ce qui est important
ce n'est pas le mot masculin mais la relation de domination.
Parler de domination masculine, c'est dire que l'objet réel de ce travail c'est une
relation.
C'est un des axiomes de la sociologie telle que je la conçois, mais je ne suis pas seul
et je peux invoquer des gens différents : Durkheim, Weber, Marx et d'autres...
L'objet propre des sciences sociales c'est : les relations, et la relation de domination
est une de ces relations extrêmement importante. Dès lors que vous étudiez la relation,
vous étudiez les deux termes de la relation. J'avais pensé à d'autres titres comme
:
l'éternel masculin, la relation masculin-féminin.
Ce qui est important c'est la relation. Il n'y a pas de privilège à l'un des deux termes
de la relation.
M.
Bourdieu,
Une journaliste d'origine algérienne, rédactrice en chef du tabloïd ICI de Montréal, a
rapporté à la télévision, lors d'une émission culturelle très en vue critiquant
entre autres nouvelles parutions "La domination masculine", que c'avait été
les femmes berbères qui prirent le leadership de la résistance contre l'invasion arabe,
démontrant par là qu'elles n'étaient pas si écrasées par le système symbolique
auquel vous faites référence, qu'au contraire, selon elle, elles détenaient de tout
temps le pouvoir de tous les pouvoirs, c'est-à-dire le pouvoir domestique, le pouvoir de
la vie même, quand leurs hommes devaient se contenter, eux, de "symboles et
d'oripeaux". Qu'en pensez-vous, cela dit de la bouche d'une féministe manifeste? Ne
croyez-vous pas que nous sommes en train d'assister à un vaste retournement des choses
dans la dialectique homme-femme?
Vous avez plus
raison que vous ne le savez et moins que vous ne le croyez.
Une des vertus majeures, quand j'ai commencé ma première enquête en Kabylie, elle
portait sur le sentiment de l'honneur. La femme d'honneur est celle qui sait protéger
l'honneur de son mari. Il y a des figures idéales qui sont célébrées
unanimement.
On célèbre les femmes qui sont assez habiles pour ne pas laisser apercevoir à leur mari
à quel point elles les protègent.
Dans Virginia Wolf, Mme Ramsay passe son temps à protéger son mari de la découverte
qu'il est un fantoche allumé qui récite un poème de Tenyson de façon enflammée, qui
s'identifie au héros qui meurt l'épée à la main et qui mêle le poème de Tenyson avec
sa propre représentation de la carrière littéraire sans même trop le savoir. Il se
demande si son uvre lui survivra, question typiquement masculine.
En un sens Mme Ramsay sait mieux que lui ce qui se passe. Elle passe son temps à le
protéger contre sa lucidité ayant elle-même assez de lucidité pour masquer sa
lucidité.
Maintenant que j'ai dit ça vous allez en voir dans la vie quotidienne, dans les réunions
de travail au CNRS, dans le comité de rédaction dans un journal, si vous savez regarder
vous verrez ce que je viens de dire.
Des femmes qui sous apparence de fuir dans la féminité bavarde ou dans la futilité
laissent aux hommes les jeux à la fois sérieux socialement et frivoles
intrinsèquement.
Alors vous avez raison et à la fois tort.
Allez invoquer le rôle des femmes dans la guerre d'Algérie oui d'accord mais j'ai envie
de dire c'est pas de jeu. C'est pas de ça dont il s'agit...
Votre question sous-entend que ce sont les femmes qui gouvernent et qu'il faut être un
ringard un peu paumé pour ne pas savoir que par les temps qui courent tous cela est fini
et que le pouvoir est passé entre les mains des femmes...
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