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Libre parole, libres media : des droits menacés - Audition publique - Commission
des affaires étrangères, de la sécurité et de la politique de défense -
Sous-commission des droits de l'homme - Parlement européen, Bruxelles, 25 avril 1996.
i nous avons créé le Parlement
International des Ecrivains en juillet 1994, c'était dans le double but d'organiser, face
à la multiplication des atteintes à la liberté de créer et de penser, une solidarité
active entre intellectuels et écrivains du monde entier, mais aussi pour inventer de
nouvelles formes d'intervention des intellectuels dans l'espace public.
C'est pourquoi, dès notre première rencontre à Lisbonne en septembre 1994, nous avons
appelé à constituer un vaste Réseau de Villes Refuges, afin d'accueillir les écrivains
persécutés à travers le monde. Jamais en effet, les conditions de la libre création et
de la pensée libre n'ont été aussi menacées, par la violence politique ou religieuse.
Face à cette violence, les écrivains et les intellectuels ne peuvent plus se contenter
de pétitions de principe et de protestations. Leur tâche prioritaire est aujourd'hui de
répliquer à la censure en créant de nouveaux espaces de liberté, d'échange et de
solidarité. C'est le sens du projet des Villes Refuges.
Défendre la liberté de créer
Multiplier les Villes Refuges, c'est redonner droit de
cité aux créateurs frappés d'interdit, briser leur isolement en créant autour d'eux de
nouvelles solidarités, prendre en charge la défense non seulement des individus mais
aussi de leurs oeuvres, en favorisant lectures, traductions, diffusions. Mais c'est aussi
affirmer une autre conception de la démocratie et de la citoyenneté. Multiplier les
Villes Refuges, ce n'est pas seulement faire acte de solidarité, c'est aussi affirmer
qu'il existe des lieux dans le monde où la citoyenneté et la démocratie sont
indissociables de la liberté de créer. Et c'est pourquoi ce mouvement en faveur des
Villes Refuges n'est pas seulement un mouvement d'intellectuels, il engage aussi une
responsabilité politique.
Le 31 mai dernier, plus de quatre cents villes européennes réunies en congrès ont
rédigé et voté une Charte des Villes Refuges. Déjà Berlin, Strasbourg, Caen et
Valladolid ont accueilli cette année leurs premiers écrivains; bientôt, ce sera Arles,
Barcelone, Copenhague, Dombirn, Ferney-Voltaire, Göteborg, Graz, Helsinki, La Rochelle,
Lausanne, Orléans, Saint-Jacques-de-Compostelle, Salzburg, Séville, Sintra, Stavanger,
Venise, Vienne...
Le 21 septembre 1995, votre Parlement européen a adopté une importante résolution
soutenant le Réseau des Villes Refuges, appelant les villes européennes à le rejoindre
et demandant à la Commission européenne de prendre toutes les mesures pour soutenir
financièrement ce réseau dès le budget 1996.
Tâches multiples pour l'avenir
Enfin, les 21 et 22 mars dernier, le premier congrès des
Villes Refuges réunissant les représentants de 25 villes européennes s'est tenu à
Strasbourg.
Ce congrès a permis à la fois de préciser et d'améliorer les conditions d'accueil des
écrivains en Villes Refuges et les modalités de sélection de ces écrivains. Il s'est
doté d'un groupe de contact permanent, embryon d'une future Association Internationale
des Villes Refuges, chargée :
- d'intensifier les relations entre les différentes Villes
Refuges et de faciliter le montage de projets culturels communs,
- d'élaborer une politique d'édition et de diffusion des
textes écrits par les écrivains dans les Villes Refuges et d'une façon plus générale
de toute oeuvre ou produit artistique censuré,
- de fixer les statuts et le siège de la future Association
Internationale des Villes Refuges, financée pour une part par les cotisations des Villes
Refuges et d'autre part par des subventions de la Communauté européenne,
- de mettre en place un Observatoire de la Liberté de
Création à Barcelone.
Une instance vigilante
Cet Observatoire a pour objectif principal d'analyser et de
faire connaître les nouvelles formes de censure et d'atteintes à la liberté de
création. En effet, si la censure change, les instruments qui permettent de la mesurer
sont restés les mêmes. Ce que recensent les statistiques existantes concerne
essentiellement des atteintes à la liberté d'expression. (Ce qui explique que les listes
du Writers in Prison Committee concernent à 80 % des journalistes et non des écrivains).
Actuellement, aucune banque de données ne recense les atteintes à la liberté de
l'imagination, les censures portant spécifiquement sur des oeuvres littéraires,
scientifiques ou artistiques.
Les objectifs de cet Observatoire peuvent être définis comme suit :
1) Créer les outils d'une banque de données (accessible par Internet) recensant les
atteintes à la liberté de création grâce à un réseau d'informateurs répartis sur
l'ensemble de la planète. Ce réseau existe déjà en partie autour du P.I.E.
2) Grâce à cette information en temps réel, permettre la mise en alerte de l'opinion
sur les cas les plus importants.
3) Doter le Réseau des Villes Refuges d'un système d'information fiable afin de mieux
connaître la situation des écrivains susceptibles d'être accueillis au sein du
réseau.
4) Publier un rapport annuel sur l'état de la liberté de création dans le monde et
éventuellement des études et monographies permettant d'approfondir et d'analyser les
données fournies par l'Observatoire.
Mesdames et Messieurs, si nous
avons répondu aujourd'hui à votre invitation, c'est pour vous lancer un
appel.
La défense de la libre création et de la libre pensée, l'intensification des relations
entre intellectuels et écrivains européens sont indissociables du combat pour la
démocratie. A tous les avocats du repli sur soi, nous devons inlassablement expliquer que
la liberté d'écrire et de créer n'est pas une tolérance concédée aux écrivains et
aux artistes, mais l'oxygène même de la démocratie. La façon dont une société
protège la fiction, l'art, l'imaginaire est aussi importante pour évaluer la vitalité
d'une démocratie que le taux de participation aux élections, la pluralité des partis ou
la simple liberté d'information.
C'est pourquoi, si nous souhaitons consolider le travail accompli, l'appui du Parlement
européen et de la Commission de Bruxelles nous est indispensable.
Je vous remercie.
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