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« Militant scientifique » ou « chef de secte », le sociologue
Pierre Bourdieu se retrouve au coeur d'une polémique médiatique qui repose la question
de la place des intellectuels dans la vie publique.
e « CAS BOURDIEU » fait les choux
gras des hebdomadaires et quotidiens nationaux qui servent le plat de la controverse
accomodé selon diverses sauces : le soutien sans condition, la haine franche, le
règlement de compte grossier, plus rarement l'analyse rigoureuse du phénomène en
question. Double prétexte à ce déferlement médiatique : d'une part la parution du
dernier livre de Pierre Bourdieu, « La domination masculine », d'autre part la sortie
d'un pamphlet « anti-Bourdieu », « Le savant et la politique », signé par Jeannine
Verdès-Leroux. Mais qui est Pierre Bourdieu ? Que dit-il dans ses livres ? Quel est le
sens de ses irruptions dans le débat public ?
Jusqu'à l'orée
des années 80, la réputation de Pierre Bourdieu était principalement assise sur ses
travaux de sociologue, publiés dans quelques ouvrages considérés comme des
références. Né en 1930, Pierre Bourdieu, après avoir été pendant 16 ans, directeur
d'études à l'Ecole pratique des hautes études, est élu au collège de France en 1981
où il tient la chaire de sociologie.
DOMINANTS,
DOMINÉS ET « HABITUS »
Il s'intéresse dans ses écrits à divers champs sociaux qu'il définit comme des espaces
structurés où « il y a des dominants et des dominés (...) des rapports constants,
permanents, d'inégalité qui s'exercent à l'intérieur de cet espace - qui est aussi un
champ de luttes pour transformer et conserver ce champ de force. Chacun, à l'intérieur
de cet univers, engage dans sa concurrence avec les autres la force (relative) qu'il
détient et qui définit sa position dans le champ et, en conséquence, ses stratégies
». Une grille de lecture qu'il applique à divers domaines comme par exemple les
mécanismes scolaires de la reproduction sociale (Les héritiers et La reproduction),
ou l'économie des échanges linguistiques (Ce que parler veut dire). Il définit
par ailleurs par le terme d'« habitus » les schémas qui, dès l'origine, déterminent
socialement les modes de perception, de pensée et d'action. Sociologue le plus lu à
l'étranger, Pierre Bourdieu quitte le cercle des initiés du « bourdivisme » pour
franchir le rubicon de la médiatisation hexagonale en 1993 avec la publication de La
misère du monde, une enquête sur la « souffrance sociale » dans les banlieues.
ANTI-LIBÉRAL
En 1995, on le retrouve aux côtés des cheminots en grève. Peu à peu, le scientifique
se fait militant. Et figure de proue d'une gauche « à gauche de la gauche » qui
s'oppose à la pensée néolibérale.
«
ANTI-PENSÉE UNIQUE »
Ce qu'il nomme « l'utopie du néolibéralisme » viendrait donc remettre en cause tout ce
qui peut « faire obstacle à la logique du marché pur : nation, dont la marge de
manoeuvre ne cesse de décroître ; groupes de travail, avec, par exemple,
l'individualisation des salaires et des carrières en fonction des compétences
individuelles et l'atomisation des travailleurs qui en résulte ; collectifs de défense
des droits des travailleurs, syndicats, associations, coopératives ; famille même, qui,
à travers la constitution de marchés par classes d'âge, perd une part de son contrôle
sur la consommation ».
Bourdieu c'est
« l'anti-pensée unique contre la pensée unique » qui peut séduire les déçus d'une
gauche convertie à l'économie libérale. Certains ont même espéré que Bourdieu mène
une liste aux européennes, ce qu'il a entre temps refusé. « Certains se battent, mais
du point de vue du pouvoir symbolique global, c'est malheureusement le journal de 20 h qui
commande le reste de l'information », constate Bourdieu dans Sur la télévision.
C'est pourtant aujourd'hui dans la presse écrite que la polémique vient relayer la
stratégie « d'effraction » qu'il prône. Alors, pour ou contre, posons-nous la
question, à l'instar de Coluche dont Bourdieu soutint jadis la candidature aux
présidentielles : « Est-ce que ça fait avancer le schmilblik?»
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