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ANTOINE DE GAUDEMAR
Les petits pavés de Bourdieu
Libération,
le 16/04/98
À la tête d'un
réseau de chercheurs, de revues et maintenant d'une maison d'édition, le sociologue
Pierre Bourdieu veut se servir du travail scientifique comme d'une arme politique. Cibles,
le néolibéralisme et les médias. Du militantisme de poche dans l'air du temps.
Ce sont des
petits livres à chaud sur des sujets chauds, d'allure élégante et coûtant 30 francs.
Leur arrivée en librairie n'est pas passée inaperçue: sur trois titres à peine parus
en un an, deux on fait un tabac. Publié en janvier 1997, Sur la télévision, de
Pierre Bourdieu, s'attaquait à cet «instrument d'oppression symbolique» que
constitue, selon lui, le petit écran et dénonçait le «danger très grand»
qu'il fait courir non seulement à la sphère culturelle mais aussi à la vie politique et
jusqu'à la démocratie. Discuté, approuvé, réfuté, l'ouvrage incisif du sociologue se
vend à 95 000 exemplaires. Neuf mois plus tard, après un ouvrage collectif sur la crise
universitaire (Areser, Quelques diagnostics et remèdes urgents pour une université en
péril), les Nouveaux Chiens de garde, de Serge Halimi, amplifie cette critique
frontale de la société médiatique: 135 000 exemplaires vendus, et une grande
controverse autour du livre (lire ci-après). Ces jours-ci enfin, paraissent les deux
nouveaux titres de cette maison d'édition, au nom un peu obscur «Liber/Raisons d'agir»:
une analyse collective du Décembre des intellectuels français et un nouveau
Bourdieu, Contre-feux, qui rassemble la plupart de ses récentes interventions dans
le débat public (lire ci-après).
Succès
conjoncturel ou véritable attente du public? Dans son bureau moderne et lumineux du
Collège de France, Pierre Bourdieu, le maître d'uvre de l'entreprise, ne semble
pas surpris outre mesure par ce démarrage tonitruant. Cette réussite traduit pour lui un
profond besoin, auquel tentent de répondre ces «petits livres d'intervention»,
de comprendre la crise dans laquelle est plongée la société française. Le sociologue
définit d'ailleurs ce projet politico-éditorial d'une phrase: détruire la frontière
entre travail scientifique et militantisme, «réhabiliter la polémique» et
intervenir sur des problèmes politiques et sociaux d'actualité par des ouvrages denses
qui devraient former peu à peu, selon l'argumentaire de la collection, «une sorte
d'encyclopédie populaire internationale». Les temps ont changé: finie la «neutralité»
supposée de la science et la séparation entre l'objectivité du chercheur scientifique
et la conviction subjective du militant! L'heure est venue d'un intellectuel «collectif»,
qui combine l'engagement sartrien et la conception foucaldienne de l'«intellectuel
spécifique» en une figure originale, celle du «militant scientifique». Un
retour aux sources de la sociologie, assure Pierre Bourdieu, en renvoyant aux écrits
politiques de Marcel Mauss ou à la démarche de Durkheim lui-même pour qui les
sociologues devaient constituer un savoir réflexif qui permette à la société
d'intervenir sur elle-même.
L'idée a germé
il y a quelques années, quand Pierre Bourdieu et ses collaborateurs rédigeaient de
manière innovantela Misère du monde (Seuil, 1993, réédition Points, 1998),
vaste enquête sur les nouvelles formes de souffrance sociale en France. Elle a pris corps
quand Christophe Charle, Patrick Champagne et quelques autres sociologues plus jeunes,
tous influencés par Bourdieu, ont créé l'Areser (Association de recherche sur
l'enseignement supérieur et la recherche): pas de programme ni d'organigramme, juste un
lieu de libre discussion sur l'université, fréquenté depuis par plus de deux cents
enseignants et chercheurs. Les grandes grèves de décembre 1995, enfin, cristallisent,
chez Pierre Bourdieu le premier, l'envie d'intervenir. Une idée simple réunit alors la
trentaine de chercheurs en sciences sociales qui vont créer avec lui en 1996
l'association sans but lucratif «Raisons d'agir», dont le président actuel est
Frédéric Lebaron, maître de conférences de sociologie à l'université d'Amiens: ne
pas laisser le travail scientifique au vestiaire mais s'en servir comme d'une arme
politique. Au centre de la réflexion: une critique sans concession du «néolibéralisme»,
pensée économico-politique dominante, selon eux, à droite comme à gauche, coupée des
réalités sociales, et une solidarité active avec les mouvements de contestation
atypiques surgis depuis quelques années. Des groupes de travail sont constitués, sur
l'université, les médias, la protection sociale, la précarisation du travail, le
chômage... Les réseaux bourdieusiens fonctionnent à plein, du côté du Centre de
sociologie urbaine (CSU) de Gérard Mauger ou du Centre de sociologie de l'éducation et
de la culture (CSEC) créé par Pierre Bourdieu lui-même. Ce dernier dispose déjà de
revues, comme Actes de la recherche en sciences sociales ou Liber, naguère
publiée en coédition avec plusieurs journaux européens, aujourd'hui abritée par Actes,
et véritable foyer de collaboration internationale.
Mais, aux yeux
du groupe, cela ne suffit pas: il faut intervenir collectivement dans les journaux (comme
récemment dans le Monde et toujours sous la houlette de Bourdieu en faveur du
mouvement des chômeurs ou d'une «gauche de gauche»), mais aussi créer de
nouveaux supports. «La réflexion sur le monde social, estime Patrick Champagne, n'est
pas destinée à rester dans les cartons des universités ou des ministères. La
sociologie n'est pas de l'art pour l'art.» Cela prendra la forme d'une maison
d'édition, baptisée Liber/Raisons d'agir, par conjonction du nom de la revue déjà
existante et de l'association nouvellement créée. D'emblée, les livres sont définis
selon une «logique d'intervention»: il faut des textes courts, clairs,
accessibles, percutants, pas chers. «Militantisme de poche» pour Patrick
Champagne, tandis que Christophe Charle évoque la petite collection Maspero des années
60-70. Si les promoteurs de Liber/Raisons d'agir se disent surpris par la rapidité du
succès, leurs explications se recoupent. Crise de la représentation politique
traditionnelle, discrédit des élites technocratiques et des intellectuels médiatiques,
d'un côté; parallèlement, arrivée de nouvelles générations désorientées et en
quête de repères, floraison hors des sphères politico-syndicales habituelles
d'associations et d'organismes multiples, très motivés et ayant besoin d'outils de
réflexion. Sur les trois premiers titres, les deux «locomotives» sont consacrées aux
médias. Signe des temps ou stratégie marketing? «Il y a une crise profonde entre les
médias et leur public, explique Pierre Bourdieu. Les médias continuent sur leur
lancée sans s'apercevoir que les gens en ont marre et qu'une fraction de plus en plus
importante de leur public est déçue, méfiante, frustrée. Ils feraient bien de faire
attention. Ces livres ont marché parce qu'ils sont des livres-ralliements.» On
pourrait toutefois se demander comment ces titres fonctionneraient s'ils n'étaient pas
d'une certaine manière garantis par ce qui les propulse, à savoir la scientificité
qu'ils reçoivent par procuration des uvres théoriques menées en amont. En effet,
ils dénoncent la société médiatique et la façon dont on y produit de l'opinion, au
lieu d'un savoir, mais sont confectionnés selon des critères de rapidité, efficacité,
impact et généralisation que leurs auteurs reprochent aux médias (dire sans arrêt
«les journalistes» et «les médias» est aussi peu scientifique que dire, quand on est
sociologue, «les ouvriers» ou «les enseignants»).
La modicité du
prix des volumes a été assurément un autre argument de vente. Quel éditeur de sciences
humaines, secteur en crise endémique depuis plusieurs années, pourrait se permettre des
ouvrages à pareil prix? Pierre Bourdieu l'admet volontiers, mais justifie cette «concurrence
déloyale» au nom d'un «investissement militant» et d'une «ligne»
suivie depuis la création d'Actes. La structure de Liber/Raisons d'agir est basée
sur le bénévolat (les frais généraux sont quasi nuls), Rosine Christin, qui assure le
travail d'éditeur (elle est également la secrétaire de rédaction d'Actes et de Liber),
est détachée de la Maison des sciences de l'homme, les livres sont saisis, corrigés et
mis en page par les auteurs eux-mêmes, et les éditions du Seuil, qui diffusent et
distribuent, font bénéficier ces débutants de leur expérience. «J'avais proposé
à Pierre Bourdieu de publier ces livres au Seuil, où il publie ses propres travaux et
dirige une collection, explique Claude Cherki, PDG du Seuil, mais il a pensé qu'il
aurait plus de marge de manuvre s'il était seul maître à bord. Je ne partage pas
toutes ses opinions, mais il a senti quelque chose dans le public, notamment chez les
jeunes: un besoin de coups de gueule, un effet miroir de leur agacement et de leur
révolte qui n'est pas pris en compte par les éditeurs. Cette édition militante
manquait.»
Aujourd'hui,
l'écho rencontré par Pierre Bourdieu et ses amis n'existe pas qu'en librairie: le
courrier est abondant, comme les manuscrits et les demandes de parrainage. De nombreux
contacts sont pris avec des réseaux et des associations, en province et à l'étranger.
Des colloques sont en préparation. «L'effet de résonance est d'autant plus fort,
note Patrick Champagne, que nous gardons une approche la plus scientifique possible. En
ce sens, le travail d'équipe autour de la Misère du monde a été un événement
fondateur, même si nous avons besoin aujourd'hui d'une logique de production et de
diffusion beaucoup plus rapide.» Ce succès n'est-il pas un danger? «Nous n'avons
pas le syndrome du parti, rétorque Patrick Champagne, nous savons ce que nous
voulons. C'est comme un journal: il faut avoir une ligne rédactionnelle claire, et, si le
succès vient, tant mieux. Regardez la réussite actuelle de Charlie Hebdo... Nous
sommes dans le même état d'esprit: être là, dire ce qu'on pense, refuser le consensus,
jouer les emmerdeurs».
Dans ce mouvement, quel est le rôle de Pierre Bourdieu? Rêve-t-il de prendre la
succession, restée vacante, de Sartre et de Foucault dans le leadership des intellectuels
engagés? Tous, anciens élèves, collaborateurs plus récents et nouveaux venus, lui
reconnaissent une autorité morale et scientifique indiscutables un «capital
symbolique», pour parler comme eux, utile notamment pour ouvrir les portes dans les
médias , et un rôle déterminant, notamment dans le choix éditorial et le travail
sur les manuscrits (son nom n'apparaît toutefois dans aucun organigramme, si bien qu'il
se dit en plaisantant «directeur littéraire occulte»). Pour autant, ils ne
veulent entendre parler ni de gourou ni de maître à penser: «Bourdieu a une
capacité d'écoute des jeunes intacte, affirme ainsi Christophe Charle, et il
accepte la contradiction. Beaucoup de gens ne l'aiment pas, parce qu'il dit ce qu'il
pense. Il croit à ce qu'il fait et surtout il pense que son travail a une utilité
sociale. Ce qu'il fait avec nous n'est pas un loisir d'un intellectuel à la retraite.
C'est un prolongement naturel de son travail personnel.» Quant à l'intéressé,
âgé de 68 ans, il estime qu'il a aujourd'hui une autorité qu'il n'avait pas et qu'il
peut se permettre un certain nombre de choses. «J'y crois!», dit Pierre Bourdieu,
et ce mot a chez lui, qui a toujours affirmé préférer la raison à la foi, quelque
chose de provocant, qui ressemble à un vrai désir de politique. Le succès des petits
livres de couleur semble lui donner raison. Raison d'agir.
EMMANUEL PONCET
Les cent mille amis d'Halimi
Comment «les Nouveaux Chiens de garde» sont devenus un best-seller sans passer par la
télé.
Libération, le 16/04/98
Peut-on vendre
un livre sans passer à la télévision, chez Bernard Pivot ou ailleurs? Peut-on vendre un
livre en refusant quasi systématiquement des interviews ou des débats dans les grands
médias? Peut-on vendre un livre consacré à un sujet aussi microcosmique, nombriliste
diront certains, que le milieu des journalistes, quand l'auteur est quasiment inconnu du
grand public? La réponse est oui. Le livre qui vient d'en faire la démonstration
s'appelle les Nouveaux Chiens de garde. Il a été écrit par Serge Halimi,
écrivain et journaliste au Monde diplomatique. Inspiré par une formule de Paul
Nizan de 1932 adressé aux philosophes académiques de l'époque, les Nouveaux Chiens
de garde dénoncent la trentaine de «journalistes de marché» qui, selon
Halimi, relaient «la pensée unique», squattent les antennes et les allées du
pouvoir, font mine de débattre, simulent l'affrontement alors qu'ils sont d'accord sur à
peu près tout. Sorti le 17 novembre 1997, ce pamphlet allègre s'est déjà écoulé à
plus de 135 000 exemplaires, soit douze réimpressions successives. Ce petit essai de 110
pages est installé au rang des succès inattendus tels que l'Horreur économique
de Viviane Forrester (près de 300 000 exemplaires), Ah Dieu, que la guerre économique
est jolie! de Philippe Labarde et Bernard Maris (80 000 exemplaires), deux livres en
révolte contre «l'idéologie économique dominante».
Selon Serge
Halimi, «ce succès est la démonstration qu'il est faux de dire que l'information sur
les médias n'intéresse pas les gens sous prétexte que cela n'intéresse que les
journalistes. Ensuite, il traduit un agacement du public à l'égard de ceux qu'on voit en
permanence et dont les livres intéressent de moins en moins de lecteurs. Enfin, il est
une preuve supplémentaire qu'un succès de librairie peut se construire en dehors du
système classique et obligatoire de notoriété médiatique». Depuis la sortie du
livre, Halimi a refusé toutes les invitations à des émissions, y compris Arrêt sur
images, l'émission de décryptage des médias de Daniel Schneidermann, sur la
Cinquième. «Dès le départ, je me suis fixé comme règle de n'accepter aucun débat
télévisé, explique Halimi, cela fut souvent mal accepté. On me disait souvent:
mais comment! Vous avez fait un livre vous devez en parler!» Faute d'exposition
audiovisuelle, le succès des Nouveaux Chiens de garde s'est donc construit sur un
bouche à oreille très efficace, facilité par «l'effet collection» de Pierre Bourdieu
et le prix modique du livre. Surtout, la conjonction d'un faible tirage initial (5 000
exemplaires seulement) et de quelques articles de presse au moment de la sortie (Charlie
Hebdo d'abord, Libération et Marianne ensuite) ont créé un «effet de
rareté», de frustration. Après un premier tirage épuisé en une journée, les
librairies sont restées dix jours sans exemplaire au moment où les premiers articles de
presse sortaient. Quand le Canard enchaîné et l'Humanité en rendent
compte, début décembre, que Daniel Mermet, sur France Inter y consacre une émission
entière, le 18 décembre, il n'est de nouveau plus disponible, jusqu'au 10 janvier,
notamment parce que l'équipe était partie en vacances! Quelques jours plus tard, Télérama
fait sa une sur les «journalistes suspects» et consacre une enquête aux Nouveaux
Chiens de garde. Les ventes décollent. Les éditions du Seuil, chargées de la
distribution des ouvrages de Liber-Raisons d'agir, prévoient d'atteindre les deux cent
mille unités. Ironie: le livre dépasse aujourd'hui largement des «ouvrages de
journalistes», plus médiatiques qu'Halimi et disposant, à ce titre, d'une exposition
audiovisuelle quasi garantie (1). Seul Deux ou trois choses que je sais d'eux, d'Anne
Sinclair (Grasset), consacré aux petits secrets des hommes politiques, fait à peu près
jeu égal (près de 150 000 ex.) avec l'ouvrage de Serge Halimi.
(1) Journal intime de Jacques Chirac, vol. 3:
Exil à l'Elysée, de Christine Clerc (50 000 exemplaires chez Albin Michel), Lettre
ouverte aux violeurs de vie privée, de Patrick Poivre d'Arvor (plus de 50 000
exemplaires), Nouveaux paysages de campagne, de Philippe Alexandre entre 50 000 et
75 000 exemplaires (Grasset), la Mémoire du cur, de Christine Ockrent (53
100) chez Fayard, Mitterrand, Portrait d'un artiste, de Alain Duhamel (57 500) chez
Flammarion. Source: Livres Hebdo, classement 1997 des meilleures ventes.
Antoine De Gaudemar
Décembre rouge
Se disant peu
enclin aux déclarations prophétiques, Pierre Bourdieu n'aurait pas rassemblé dans Contre-feux
la plupart de ses interventions publiques depuis 1995 s'il n'avait pas eu «chaque
fois, le sentiment, peut-être illusoire, d'y être contraint par une sorte de fureur
légitime, proche parfois de quelque chose comme un sentiment du devoir». À côté
de nouveaux commentaires sur le cynisme des médias ou sur l'«intellectuel négatif»
incarné selon lui par Bernard-Henri Lévy à travers ses reportages en Algérie,
l'essentiel de ces textes (dont deux ont été publiés dans Libération) concerne
la politique. On y trouvera notamment la déclaration de Pierre Bourdieu à la gare de
Lyon, lors des grèves de décembre 1995, dans lesquelles il voit «une chance
historique pour la France et sans doute aussi pour tous ceux, chaque jour plus nombreux,
qui, en Europe et ailleurs dans le monde, refusent la nouvelle alternative: libéralisme
ou barbarie.» Un an plus tard, à Athènes, devant la Confédération générale des
travailleurs grecs, il s'en prend à tous ceux, hommes politiques, journalistes,
intellectuels qui pensent «qu'il n'y a rien à opposer à la vision néo-libérale»,
alors que cette «inévitabilité» peut être combattue, à tous les niveaux, y
compris par les chercheurs. Car les tenants de la «révolution conservatrice»,
explique-t-il à la séance d'ouverture des Etats généraux du mouvement social en
novembre 1996, «s'arment de théories, et il s'agit, me semble-t-il, de leur opposer
des armes intellectuelles et culturelles». Cet oubli de la théorie serait une erreur
fatale, ajoute Bourdieu, surtout quand la pensée dominante habille son fatalisme
démoralisateur en discours scientifique. Il faut, en conséquence, «inventer des
formes d'expression nouvelle qui permettent de communiquer aux militants les acquis les
plus avancés de la recherche».
Les auteurs du «Décembre»
des intellectuels français, de leur côté, tentent de comprendre les enjeux qui se
sont cristallisés autour des deux pétitions signées par des intellectuels en décembre
1995: d'une part, la pétition dite «Réforme», soutenant les positions de Nicole Notat
à propos du plan Juppé sur la Sécurité sociale, et initiée par la mouvance Esprit,
la Fondation Saint-Simon, le Débat et le Nouvel Observateur; la pétition
«Grève» d'autre part, en faveur des grévistes, émanant des principales composantes de
la gauche critique, de la FSU à la LCR, en passant par les Verts et de nombreuses
associations de terrain et de lutte. Après avoir décortiqué la façon dont les deux
listes se sont constituées, comment on compte les noms tout en cherchant les noms qui
comptent, les auteurs analysent la façon dont les journalistes et les journaux (ici en
l'occurrence, surtout le Monde) rendent compte de ces appels et, tels des «signataires
invisibles», «en redéfinissent le sens d'une manière parfois peu conforme aux
intentions de certains de leurs signataires», imposant l'idée que les deux
pétitions étaient «en guerre» l'une contre l'autre. Or ce n'était pas tant une
guerre, estiment les auteurs, que «la forme cristallisée» que prennent des
clivages préexistants dans le champ intellectuel: «l'opposition entre deux
définitions des intellectuels, l'une plus proche des pouvoirs économiques, politiques,
bureaucratiques et médiatiques, l'autre, plus autonome, tiraillée entre légitimité
scientifique et légitimité militante». Autrement dit, l'opposition entre une gauche
«dont la droite a toujours rêvé» et une vraie gauche critique.
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