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livier Mongin attaque
vivement le «populisme de gauche» du sociologue, et prône un renforcement de la
démocratie représentative - L'APRÈS-1989, LES NOUVEAUX LANGAGES DU POLITIQUE d'Olivier
Mongin. Hachette-Littératures, 264 p., 98 F. ESPRIT No 244, juillet, 228 p., 87 F.
Ce n'est
évidemment pas la première fois que le débat intellectuel, en France, tourne au
pugilat. La dernière livraison de la revue Esprit en offre une démonstration
saisissante, avec la publication d'une réponse d'Olivier Mongin et Joël Roman,
respectivement directeur et rédacteur en chef de la revue, aux attaques dont ils sont
l'objet de la part de Pierre Bourdieu et de ses amis. À l'évidence, Le Décembre des
intellectuels (éd. Liber-Raisons d'agir, 1998), consacré par le professeur au
Collège de France au mouvement social de novembre-décembre 1995, a provoqué chez les
deux animateurs d' Esprit une poussée de bile qu'ils ont décidé de ne pas
ravaler.
Dénonçant, chez Bourdieu et ses «sbires», «une pratique délibérée du
mensonge et de la falsification qui laisse pantois», Mongin et Roman sont virulents :
«Ce libelle ne pratique pas seulement des amalgames, il ruine les règles
minimales de la déontologie intellectuelle. (...) Loin d'être une contribution à
l'histoire du mouvement ou tout simplement à la compréhension des événements, c'est à
illustrer une thèse préconstruite que sont systématiquement utilisés nos propos, avec
en outre des débordements curieux qui témoignent davantage d'une mentalité de flic que
d'un scrupule de sociologue. «Ce qui est en jeu, à leurs yeux, n'est pas une «stratégie
de contradiction politique», mais une volonté de «caporalisation de la vie
intellectuelle» qui ne dédaigne pas, en outre, «les bénéfices narcissiques de
la radicalité». Cette saine colère va cependant au-delà du seul règlement de
comptes. Les deux animateurs d' Esprit esquissent une critique en règle de ce «populisme
de gauche, voire d'extrême gauche, qui ne le cède en rien à celui de droite quant à sa
nocivité». Revenant sur l'ouvrage publié en 1993 par Bourdieu et son équipe, La
Misère du monde (Seuil), ils soulignent le changement de perspective par lequel «la
sociologie de la domination se faisait soudain humble servante de la parole de ceux d'en
bas, reconnaissant implicitement la vanité d'un projet de démystification en face de la
réalité plus tangible de l'oppression. «Et ils ajoutent : «Le populisme
politique professé actuellement par Pierre Bourdieu est anticipé, en fait, par un
populisme théorique, par la réduction de la «science» à n'être plus qu'une posture
d'énonciation, une instance de légitimation de la plainte qui monte du corps social.
C'est une fuite en avant produite par une impasse théorique jamais reconnue comme telle.»
MÉDIATION
POLITIQUE
À cet angle d'attaque, Mongin et Roman en ajoutent un second : la «connivence entre
les médias et l'entreprise de Bourdieu» et sa «fonction plus directement
politique : couper court à toutes les médiations politiques, associatives,
syndicales, institutionnelles par lesquelles s'organise et se diversifie la vie publique».
C'est bien là, insistent-ils non sans justesse, «le fonds du populisme : ruiner toute
possibilité de médiation pour établir une communication immédiate avec un peuple
unifié par ce fantasme».
Or la
restauration de l'idée même de «médiation politique» est au centre du combat
mené par Olivier Mongin, comme en témoigne son dernier ouvrage. Repartant de la chute du
mur de Berlin en 1989, le directeur d' Esprit entend comprendre comment cet
événement majeur, loin d'inaugurer l'apothéose espérée de la démocratie, a laissé
place à «une idéologie de l'impuissance politique», de «l'épuisement de
l'Etat» et de la «fin de l'Histoire». Tout contribue, à ses yeux, à
ce redoutable sentiment de déréliction : le brouillage des frontières et la «fragmentation
spatiale croissante», le «divorce «entre développement économique et
démocratie, l'invasion du langage politique par les rhétoriques de l' «identitaire»
et du «tout-économique», du droit et de la morale, qui semblent, chacune à sa
façon, signer «la fin du politique». À quoi s'ajoute l'épuisement des
mécanismes d'intégration civique par la République et le travail. Ou encore la
contestation des systèmes traditionnels de la représentation politique par une «démocratie
d'opinion» trop volontiers confondue avec la «démocratie directe». Ou enfin
cette superposition, spécifique à la France, de deux essoufflements historiques : la fin
du «cycle long de la démocratie (1789-1989) «et le dénouement du «cycle
court» de la modernisation autoritaire sous la Ve République.
Ce foisonnement
de pistes et d'intuitions laisse cependant perplexe. Privé, là, de l'aiguillon de la
colère, Mongin laisse libre cours aux volutes de sa réflexion. Le pamphlet contre
Bourdieu l'obligeait à condenser. Cet essai lui donne le loisir de diluer son
décryptage. La vivacité de la riposte conduisait à un plaidoyer vigoureux en faveur
d'une «volonté politique réformiste». Les circonvolutions de l'analyse
débouchent sur des credo un peu frustrants. «La réponse à l'affaiblissement de la
démocratie représentative ne réside ni dans le sacre des experts ni dans la démocratie
directe, mais dans un approfondissement du concept de représentation, au sein d'un espace
public vivant», écrit Olivier Mongin. Certes. Mais encore ?
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