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INTELLECTUELS MÉDIATIQUES « […] Il faudrait analyser comment s’est opéré le travail continu de démolition de la figure de l’intellectuel qui s’était élaborée, en France, de Zola à Sartre ; comment s’est constitué peu à peu un univers d’évidences, de thèses indiscutées, que l’on colporte en toute bonne foi ; comment les journalistes, condamnés au renouvellement permanent de leurs admirations provisoires en sont venus à voir la vie intellectuelle sur le modèle de la mode (oubliant que, tant dans le domaine de la science que dans le domaine de l’art, les ruptures supposent la continuité). Patrons en mal de pensée et journalistes ou « intellectuels » en mal de pouvoir pensent les œuvres de l’esprit selon la catégorie chic/non chic, nouveau/dépassé (et non vrai/faux, ou original/banal, beau/laid, etc.). Dire de telle thèse de Dumézil sur les sociétés indo-européennes qu’elle est fausse, c’est se mettre en demeure d’apporter des preuves. Mais on peut aussi se contenter de dire : c’est dépassé, c’est-à-dire non chic. Et le non-chic, à Paris, c’est la mort sans phrases. On peut même redoubler la condamnation esthético-mondaine par une condamnation éthico-politique, comme aux plus beaux jours du stalinisme, en disant que c’est « marxiste » ou, comme dans le cas de Dumézil récemment, « fasciste ». » (Libre-échange, entretien avec Hans Haacke, Seuil/Presses du réel, 1994, p.57)
« Ils veulent redéfinir la figure et la fonction de l’intellectuel à leur image, c’est-à-dire à leur mesure. Ce sont des Zola qui lanceraient des « J’accuse » sans avoir écrit « L’Assommoir » ou « Germinal », ou des Sartre qui signeraient des pétitions ou mèneraient des manifestations sans avoir écrit « L’Être et le Néant » ou « La critique de la raison dialectique ». Ils demandent à la télévision de leur donner une notoriété que seule, autrefois, une vie, souvent obscure, de recherche et de travail pouvait donner. Ils ne gardent du rôle de l’intellectuel que les signes extérieurs, la partie extérieure, visible, les manifestes, les manifestations, les exhibitions publiques. Tout cela, après tout, serait sans importance s’ils n’abandonnaient pas l’essentiel de ce qui faisait la grandeur de l’intellectuel à l’ancienne, c’est-à-dire les dispositions critiques qui trouvaient leur fondement dans l’indépendance à l’égard des demandes et des séductions temporelles et dans l’adhésion aux valeurs propres du champ littéraire ou artistique. Comme ils prennent position sur tous les problèmes du moment sans conscience critique, sans compétence technique et sans conviction éthique, ils vont à peu près toujours dans le sens de l’ordre établi. » (Libre-échange, entretien avec Hans Haacke, Seuil/Presses du réel, 1994, pp.58-59) Voir aussi : Pauvres blancs (de la culture); FINKIELKRAUT; SOLLERS; LÉVY.
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| Le Magazine de l'Homme Moderne et la liste Champs, 2002. |
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