Maison Écrivez-nous !  

Société

Textes

Images

Musiques

  Pierre Bourdieu

 

    

sociologue énervant

  

     

Décès de Pierre Bourdieu :(

  

   

 


Pierre Bourdieu

 Entretien avec Smaïn Laacher
 chercheur à l'EHESS.

 Propos recueillis par Philippe Bernard, LE MONDE, 25.01.02.



  D

e l'étude de la société kabyle à la fin des années 1950 aux pétitions des années 1990 pour dénoncer la responsabilité des autorités dans les violations des droits de l'homme, l'Algérie n'a jamais cessé de figurer parmi les premiers centres d'intérêt de Pierre Bourdieu. Comment s'est opérée cette rencontre ?

 Jeune Normalien, Pierre Bourdieu a servi comme appelé en Algérie, puis il y est resté comme chercheur. Ce qui s'est passé pendant la guerre d'Algérie annonce la démarche qui sous-tend toute son œuvre : il mobilise les sciences sociales au sens large, et laisse poindre ses interrogations épistémologiques sur la manière dont cette discipline considère, à l'époque, les pays exotiques : pour lui, il n'y a pas de regard possible sans nécessité de se "regarder regarder", il faut "objectiver la subjectivité". Bourdieu commence par publier, en 1958, une Sociologie de l'Algérie, un volume de la collection "Que sais-je ?" si percutant, notamment dans sa dénonciation du colonialisme, qu'il continue d'être réédité aujourd'hui. En parallèle, il mène des travaux empiriques avec Abdelmalek Sayad sur la crise de l'agriculture algérienne. Dans Le Déracinement, ils dénoncent la violence des regroupements autoritaires de populations pratiqués à grande échelle par l'armée française.

Quel a été l'apport de l'expérience algérienne à sa pensée ?

 Il a montré que les enjeux de luttes sociales n'étaient pas seulement économiques mais aussi symboliques, comme avec les enjeux de nom et de renom, les logiques d'honneur. Or ces logiques à l'œuvre dans les pays dits sous-développés le sont aussi dans le champ du débat intellectuel français. Ainsi, pour lui, entre les sociétés dites développées et les sociétés sous-développées, il existe des invariants, au-delà des avatars de l'histoire. Le thème de la violence symbolique est déjà très présent dans l'analyse de la colonisation. Bourdieu montre que cette dernière produit des violences extrêmes dont les effets sont catastrophiques sur le long terme ; il laisse entendre que la sortie du lien colonial n'ira pas de soi. Toutes ces idées mûries en Algérie traverseront toute son œuvre. A propos du colonialisme encore, il dissèque le mécanisme par lequel les vaincus finissent par habiter la représentation que se font d'eux les vainqueurs. Il élargira cette analyse à tous les dominés, qui, en tant que tels, ont peu de chance d'échapper à leur condition.

Pourtant, au moment de la guerre d'Algérie, on ne le voit pas adopter la posture d'intellectuel militant qu'on lui connaît plus récemment.

 Non, à l'époque, il n'était pas connu et il a fallu que des intellectuels s'emparent de ses écrits, qui traduisent des positions très anti-colonialistes, pour qu'ils pèsent sur les événements. Son engagement n'était alors pas celui d'un militant au sens traditionnel, mais d'un intellectuel autonome.

Après l'indépendance de l'Algérie, quelle a été sa position vis-à-vis du régime ?

 Il s'est toujours montré relativement discret dans ce domaine, estimant que le combat politique devait au préalable s'armer d'une vision scientifique du fonctionnement du monde social. Pour lui, cette connaissance scientifique devait servir aux dominés pour desserrer l'étau des contraintes. Mais on peut dire que l'Algérie lui a collé au corps et aux mots, et ne l'a jamais quitté.      


Pierre Bourdieu

     

   

 

   
maison   société   textes   images   musiques