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n'aurait sans doute pas aimé. Unanimes ou presque, les responsables
politiques ont rendu, hier, une série d'hommages vibrants à
Pierre Bourdieu. Un flux dithyrambique de droite à gauche.
Jacques Chirac a refait le coup de la «fracture sociale»
en saluant le combat du «militant de la pensée»
au service «de ceux que frappe la misère du monde».
Lionel Jospin s'est rappelé à sa gauche en louant «un
engagement fort contre la mondialisation libérale et ses dommages
culturels et sociaux». Jean-Pierre Chevènement a
tenté, une fois encore, de se distinguer de ses deux principaux
rivaux à la présidentielle en remarquant que «dans
le triste univers de la pensée unique, il aura incarné
le souffle de la pensée critique».
Partis «caducs». Il n'aurait pas aimé parce
qu'il n'aimait pas les partis politiques. Il s'en méfiait autant
qu'il aimait la politique. Pour preuve : il participe activement
à l'embryon de campagne présidentielle de Coluche en
1981. Lorsque le comique remise ses plumes et son cul, le sociologue
stigmatise les professionnels de la politique qui ont «refusé
à ce casseur de jeu le droit d'entrée, que les profanes
lui accordaient massivement». «Pierre ne croyait
qu'à la société civile, analyse Annie Pourre,
cofondatrice de Droit au logement (DAL) et proche de l'intellectuel.
À l'époque, il voyait en Coluche son meilleur représentant.
Il a toujours considéré que les partis politiques étaient
caducs.»
Ce qui ne l'a pas empêché de les fréquenter.
Même sans le savoir. Durant l'hiver 1995, il devient, à
la fois, le symbole et le théoricien des mouvements sociaux
qui secouent le pays. Son nom apparaît en tête d'une pétition
d'éminences de la société civile contre le «plan
Sécu» d'Alain Juppé, alors Premier ministre. Deux
personnes organisent la révolte de papier : Jacques Kergoat,
membre de la LCR, et Didier Leschi, proche de Chevènement.
Bourdieu n'y voit que «le champ du social» qui
investit le «champ du politique». Et pas une mainmise
de la gauche critique.
Refus. Dans la foulée, il organise des «Etats généraux
du mouvement social» qui n'aboutiront pas politiquement. Même
si, en 1999, d'aucuns poussent le sociologue à affronter les
électeurs. Une liste «d'une gauche de gauche»
aux Européennes est envisagée. Bourdieu refuse de la
parrainer.
Un scénario à l'identique s'était produit
à l'occasion de la présidentielle de 1995. L'intellectuel
apparaissait alors dans tous les combats des «sans». Il
participe à la fondation d'Agir contre le chômage (AC!),
s'engage aux côtés du DAL. Annie Pourre, Didier Leschi,
Christophe Aguiton (AC et LCR) se souviennent que sa candidature à
l'Elysée est alors envisagée. Mais Bourdieu décline.
Ironie du sort, ses travaux sur La Misère du monde nourriront
le discours d'un autre candidat à la présidentielle.
Jacques Chirac lui doit beaucoup.
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