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Bourdieu est décédé à 71 ans, des suites
d’un cancer, mercredi soir dans un hôpital parisien. La nouvelle
de sa mort a déclenché de très nombreuses réactions
ici en France, venant pour la majorité d’entre elles de partis
de gauche (PC, PS et Verts) qui ont regretté cette fin trop
brutale d’un intellectuel critique qui a régénéré
la sociologie et en a fait une arme d’éveil et de combat. Bourdieu,
qui a entamé ses travaux sociologiques en Algérie, notamment
avec A. Sayad (le déracinement, la crise de l’agriculture
traditionnelle en Algérie), au début des années
60, a eu pour notre pays un attachement très particulier, même
si l’on peut regretter que cet intellectuel engagé comme il
n’en existe plus beaucoup en France, ait eu, ces dernières
années, des positions sur la situation de l’Algérie
pour le moins déroutantes, en initiant ou en s’associant à
des appels nombreux contre "la guerre d’éradication menée
par des généraux algériens" et en interpellant
les institutions internationales pour cesser toute aide et toute collaboration
avec l’Algérie. Ces prises de position ne devraient cependant
pas faire oublier que Pierre Bourdieu a été aussi le
fondateur du Comité international de soutien aux intellectuels
algériens (CISIA) qui a apporté une aide souvent
précieuse à beaucoup. L’on ne doit pas non plus oublier
qu’il a beaucoup donné de son temps et de son énergie
pour la reconnaissance par la France des massacres du 17 octobre 1961.
Lors d’un colloque organisé pour la reconnaissance de ces massacres,
Bourdieu y déclarait "J’ai maintes fois souhaité
que la honte d’avoir été le témoin impuissant
d’une violence d’Etat haineuse et organisée puisse se transformer
en honte collective. Je voudrais aujourd’hui que le souvenir des crimes
monstrueux du 17 octobre 1961, sorte de concentré de toutes
les horreurs de la guerre d’Algérie, soit inscrit sur une stèle,
en un haut lieu de toutes les villes de France et, aussi, à
côté du portrait du président de la République,
dans tous les édifices publics…à titre de mise en garde
solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciale." Homme
d’action et très grand intellectuel, cet agrégé
de philosophie, professeur titulaire de la chaire de sociologie au
Collège de France, directeur d’études à l’École
des hautes études en sciences sociales et directeur de la revue
Actes de la recherche en sciences sociales et de la revue internationale
des livres Liber, a souvent, par ses nombreux écrits
sur les méfaits de la mondialisation, la reproduction des inégalités
sociales dans l’enseignement, l’art et la culture ou encore la noblesse
d’État et ses manifestations dans les grandes écoles
par l’esprit de corps, attiré la foudre des "bien-pensants".
Ainsi, parmi ses nombreux titres, celui produit en 1997 et intitulé
Sur la télévision a fait couler beaucoup d’encre
et engendré une très vive polémique, Bourdieu
ayant, sans complaisance aucune, fustigé ce média dont
les journalistes "peuvent se dire de gauche, se vivre comme libérés,
mêmes libertaires, ils contribuent de façon très
forte au maintien de l’ordre". Parmi les nombreux ouvrages et
articles laissés par Bourdieu : Sociologie de l’Algérie,
PUF (1958) ; Travail et travailleurs en Algérie, Mouton
1963 ; Le déracinement, la crise de l’agriculture traditionnelle
en Algérie, Ed.de Minuit 1964 ; L’amour de l’Art,
Ed. de Minuit 1969 et beaucoup plus récents : La misère
du monde, Le seuil 1993 ; Les règles de l’art. Genèse
et structure du champ littéraire, Ed. du Seuil 1993 ; Libre
échange, Ed. du Seuil 1994.
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