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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

 

Décès de Pierre Bourdieu :(
 

 
   

 


Pierre Bourdieu

 Bourdieu vu de Porto Alegre
 Un antidote à la barbarie marchande.



CLAUDE ASKOLOVITCH, Le Nouvel Observateur, semaine du jeudi 31 janvier 2002 - n°1943 - Dossier.

 


  

«Je ne suis pas bourdivin, je suis marxiste, dit ce sociologue argentin. Mais il était pour nous un allié, un repère»

Elle voudrait comprendre pourquoi les Français célèbrent ainsi un intellectuel mort, «comme des Australiens porteraient le deuil d’un joueur de rugby»… Nicola Bullard est australienne, elle taquine à l’anglo-saxonne. Puis elle devient sérieuse – hé oui, bien sûr, Pierre Bourdieu a compté pour elle. Elle était étudiante, se destinait à l’enseignement, elle avait lu sa critique de l’école, «cet instrument de reproduction sociale», et ses yeux étaient décillés. C’est aussi comme cela que l’on remet en question les évidences, que l’on apprend à penser contre, et que l’on devient militant. La jeune femme anime Focus on the Global South: un institut de recherche sur la mondialisation, pilier du Forum social de Porto Alegre, où ils sont quelques-uns, ces jours-ci, à regretter le sociologue disparu. «Ce sont toujours les gens bien qui disparaissent, lâche le Belge Eric Toussaint, responsable du Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde. Bourdieu, je l’avais découvert à l’adolescence, il y a plus de trente ans. Il savait trouver des mots pour notre combat. Il va me manquer.»
Bourdieu aurait-il été chez lui à Porto Alegre? Sans doute. Même s’il n’est jamais venu visiter ce lieu de résistance. Bourdieu ne voyageait plus aux Amériques. On murmure, ici, qu’il aurait pu, cette fois-ci, si la mort ne l’avait pas fauché… Regrets mystiques pour un prophète social? N’exagérons rien. Mais tout de même: quand Bourdieu est mort, le journal «Folha de Sao Paulo» lui a rendu les honneurs, comme l’argentin «Clarin», le grand quotidien d’un pays en crise vitale. La presse et les intellectuels latino-américains restent branchés sur les intellectuels de la vieille Europe. Ce qu’ils célèbrent à travers Bourdieu, c’est aussi ce lien maintenu avec un monde de concepts et de polémiques savantes, comme un antidote à la barbarie marchande qui risque de les emporter. Ils rendent également hommage à leur jeunesse: «Beaucoup de sociologues, d’universitaires brésiliens et latino-américains se sont formés en France, explique Helgio Trindade, professeur de sciences politiques à l’Université fédérale du Rio Grande do Sul. Les théories de Bourdieu sur la reproduction des élites ont imprégné notre vision de la société.»

Si le premier Bourdieu, celui de «la Reproduction», a durablement impressionné les universitaires latinos, le second Bourdieu, celui de «la Misère du monde» et des engagements militants, a trouvé un public politique. En 1995, Emilio Taddei, membre du réseau de sociologues progressistes Clacso, est un jeune étudiant argentin à Paris qui fréquente les gauches radicales françaises. Il assiste à la rencontre entre Bourdieu et les cheminots en grève. Il n’en devient pas bourdivin, «je suis marxiste». Mais, de retour à Buenos Aires, il découvre en Bourdieu un allié, un repère du mouvement antilibéral. «Il n’avait pas des analyses particulièrement originales, mais il avait du poids. Ses livres ont été traduits. "Le Monde diplomati-que", qui publiait ses articles, est très lu chez nous.»

Le second Bourdieu dénonçait les puissants, les dominants, la globalisation et la fausse objectivité du système médiatique. Etrangement, c’est avant tout sa réprobation des médias qui aura séduit certains responsables de la gauche brésilienne. «Tout simplement parce que nous avons le système médiatique le plus totalitaire du monde, explique Marco Aurelio Garcia, adjoint à la Culture à la mairie de Sao Paulo, ancien étudiant à l’Ecole des Hautes Etudes à Paris, dans les années 60. Nous sommes en butte à un pouvoir médiatique qui veut nous minorer, nous caricaturer, voire nous criminaliser.» En France, Bourdieu semblait parfois excessif, y compris aux yeux de la presse de gauche. Au Brésil, ses diatribes paraissaient exprimer le simple bon sens. «Le pouvoir de Tele Globo, notre géant télévisuel, a commencé avec le règne des militaires dans les années 60», accuse Tarso Genro, le maire de Porto Alegre. Bourdieu, dans sa radicalité, se retrouvait parfois étranger en France, ce pays encore préservé des grandes invasions néolibérales. Mais cet homme pensait d’abord pour les combattants du front.


Pierre Bourdieu

       
 

   
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