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  Pierre Bourdieu

 
   

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Pierre Bourdieu

 HOMMAGE
 PIERRE BOURDIEU : LES BONNES CAUSES.




Par Chems Eddine Chitour, Le Quotidien d'Oran, 30/01/02, p.6.

 


 

Pierre Bourdieu est décédé mercredi 23 janvier 2002, à l’âge de 71 ans. Titulaire de la chaire de sociologie au Collège de France depuis 1981, Pierre Bourdieu était reconnu comme ayant renouvelé la sociologie dans les années 60. Élève de l’École normale supérieure, il passe l’agrégation de philosophie et commence sa carrière universitaire à la faculté des lettres d’Alger, en 1958. Ses premiers travaux sont consacrés à ce pays «Sociologie de l’Algérie» en 1958 et «Le Déracinement», en 1964.
Le sociologue touche rapidement à tous les domaines de réflexion: culture, art, littérature, politique, médias, fonction publique, misère sociale.

Bourdieu contre la mondialisation sans éthique

Dans un entretien au Monde en 1992, il expliquait: «ce que je défends, c’est la possibilité et la nécessité de l’intellectuel critique. Il n’y a pas de démocratie effective sans vrai contre-pouvoir critique. L’intellectuel en est un et de première grandeur». Dans un texte relatif aux «objectifs d’un mouvement social européen», publié au printemps 2000 par Le Monde, Pierre Bourdieu écrivait: «Tout ce que l’on décrit sous le nom à la fois descriptif et normatif de «mondialisation» est l’effet, non d’une fatalité économique, mais d’une politique, consciente et délibérée, celle qui a conduit les gouvernements libéraux ou même socio-démocrates d’un ensemble de pays économiquement avancés à se déposséder du pouvoir de contrôler les forces économiques et celle surtout qui est délibérément organisée dans les «green rooms» des grands organismes internationaux, comme l’OMC ou au sein de tous les «networks» d’entreprises multinationales». Il s’élevait contre cette mondialisation là, refusant le choix entre la mondialisation conçue comme «soumission aux lois du commerce» et au règne du «commercial», qui est toujours «le contraire de ce que l’on entend à peu près universellement par culture», et la défense des cultures nationales ou «telle ou telle forme de nationalisme ou localisme culturel».

«La politique néo-libérale, fondée sur une vision étroite de l’économie, a pour objectif de détruire tous les collectifs (État, associations, familles, etc.), à mesure que l’État social dépérit, la précarisation des emplois féminins augmente. C’est ainsi qu’au bout du compte, le néo-libéralisme se présente sous les dehors de l’inévitabilité. Pourquoi? Ce qui est affaibli, c’est que j’appelle la «main gauche» de l’État (hôpitaux, services sociaux). De son côté, la «main droite» de l’État (hauts fonctionnaires, énarques, etc.), professe et impose (aux autres) les principes néo-libéraux. Bref, la mondialisation-globalisation n’est pas une homogénéisation, mais au contraire, elle est l’extension de l’emprise d’un petit nombre de nations dominantes sur l’ensemble des places financières nationales.»

La responsabilité des intellectuels et l’engagement de Bourdieu.

Face au silence des politiques, il en appelait à la mobilisation des intellectuels. «Ce que je défends, expliquait-il dans ce même entretien, c’est la possibilité et la nécessité de l’intellectuel critique». Il ajoutait: «il n’y a pas de démocratie effective sans vrai contrepouvoir critique. L’intellectuel en est un et de première grandeur». On l’aura compris, Bourdieu pointait du doigt l’intellectuel organique selon Gramsci. Celui qui «trahit» constamment, à l’égal des clercs de Benda pour être bien vu par les princes du moment.

J’ai prêché écrivait-il, l’intellectuel collectif un peu partout, par le biais de la revue Liber, notamment. Un des problèmes de cette utopie, c’est l’accès aux médias: mon souhait est de redonner aux intellectuels la propriété de leurs moyens de diffusion, de leur permettre de parler plutôt que d’être parlés par les médias.

Ce combat contre le néo-libéralisme sous toutes ses formes, Pierre Bourdieu y avait sa vie. De plus en plus, il s’efforçait de combiner la posture du savant et celle du militant en mettant ses connaissances scientifiques au service de son engagement politique. «Je me suis trouvé par la logique de mon travail, soulignait-il dans un de ses derniers ouvrages (Contre-feux 2. Pour un mouvement social européen), à outrepasser les limites que je m’étais assignées au nom d’une idée de l’objectivité qui m’est apparue comme une forme de censure».

Il se disait soucieux de «faire sortir les savoirs de la cité savante» afin d’offrir de solides bases théoriques à ceux qui tentaient de comprendre et de changer le monde contemporain.

Bourdieu le mal-aimé des médias

Cette lutte contre le «nouvel ordre», passait aussi par une mise en cause des médias, que Pierre Bourdieu jugeait soumis à une logique commerciale croissante et auxquels, il reprochait de donner la parole, à longueur de temps, à des «essayistes bavards et incompétents». Dans l’une de ses dernières interventions, en 1999, il s’était adressé aux responsables des grands groupes de communication. Dans ces «questions aux vrais maîtres du monde», il affirmait notamment: «ce pouvoir symbolique qui, dans la plupart des sociétés, était distinct du pouvoir politique ou économique, est aujourd’hui réuni entre les mains des mêmes personnes, qui détiennent le contrôle des grands groupes de communication, c’est-à-dire de l’ensemble des instruments de production et de diffusion des biens culturels».

Bourdieu était particulièrement critique quant au rôle des médias dans ce processus. Car ceux-ci, disait-il, «contribuent pour une part par légèreté, par insouciance, par ignorance aussi, au ronron néo-libéral. Sans compter ceux qui se font le relais de discours politiques conservateurs, présentés comme modernistes... Comme tous les bons menteurs, ils mentent bien, parce qu’ils sont eux-mêmes trompés. La sociologie a ce privilège de produire un consensus négatif, de faire l’unanimité des journalistes, des artistes et autres, contre elle, car elle dit sur eux des choses douloureuses à entendre. Pour faire écrivain, par exemple, il est de bon ton d’afficher son mépris pour la sociologie» (Entretiens avec Pierre Bourdieu. Propos recueillis par Jérôme Meizoz, 11mars 1998. Parution in Le Temps P.11 Genève, 28-29 mars 1998).

Le fin connaisseur de l’Algérie

Bourdieu était aussi un ami de l’Algérie. Indépendamment de ses études multiples sur l’Algérie et qui font autorité, Bourdieu a formé aussi plusieurs sociologues algériens de renom. En tant qu’observateur critique, il a toujours pris position quand l’Algérie avait rendez-vous avec l’histoire. Son appel pathétique concernant les évènements du 17 octobre 1961 est, à bien des égards, courageux. Écoutons-le: «j’ai maintes fois souhaité que la honte d’avoir été le témoin impuissant d’une violence d’État haineuse et organisée, puisse se transformer en honte collective. Je voudrais aujourd’hui que le souvenir des crimes monstrueux du 17 octobre 1961, sorte de concentré de toutes les horreurs de la guerre d’Algérie, soit inscrit sur une stèle en un haut lieu de toutes les villes de France, et aussi, à côté du portrait du Président de la République, dans tous les édifices publics: mairies, commissariats, palais de justice, écoles, à titre de mise en garde solennelle contre toute rechute dans la barbarie raciste» (Le 17 octobre 1961, un crime d’État à Paris, Paris, éditions La Dispute, mai 2001).

Repose en paix Maître, Que la terre te soit légère.
   


Pierre Bourdieu

       
 

   
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