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  Pierre Bourdieu

 
   

sociologue énervant

 
   

 

Décès de Pierre Bourdieu :(
 

 
   

 


Pierre Bourdieu

 Hommage à Bourdieu
 Quand les hommes sincères ou pas auront cessé de pleurer, c'est le penseur qui manquera à tous.




JEAN-CLAUDE GUILLEBAUD, Sud-Ouest, PARIS-PROVINCE, 25-27/01/02.

 


  

epuis mercredi, une vraie tristesse et une petite rage m'habitent. La tristesse est évidemment consécutive à la mort de Pierre Bourdieu, dont j'admirais le combat. La petite rage, c'est celle que j'éprouve depuis jeudi (le lendemain) en comptabilisant la quantité invraisemblable de larmes de crocodile et d'hommages hypocrites que nous vaut sa disparition. Notamment dans les médias, qui ne furent jamais très tendres ni très perspicaces à l'égard de celui qui, il est vrai, ne les aimait guère. À lire tous ces articles faussement émus et posthumément dévots, on en viendrait presque à oublier les attaques répétées, les méchancetés obliques dont Bourdieu fut l'objet de la part du système médiatique en général et des intellos à la mode en particulier.

En mai 1998, « le Nouvel Observateur » m'avait demandé un long portrait de Bourdieu, qui fut en définitive un long hommage. Je garde encore à l'oreille les reproches que l'on m'adressa d'un peu partout, à l'époque. Quoi ? défendre Bourdieu dans un hebdo branché ? Eh oui ! Voici plusieurs années que ce professeur au Collège de France et sociologue longtemps tenu en lisière par le Tout-Paris médiatique et libéral, fils d'un petit fonctionnaire béarnais de 71 ans, réoccupait avec ses équipes et ses élèves une fonction symbolique que, très abusivement, l'on disait obsolète : celle de l'intellectuel organique (ou « intellectuel collectif ») investissant son magistère sur le terrain social et y menant une attaque frontale contre l'idéologie dominante. Détail amusant : c'est en triomphant sur le terrain même de ses adversaires le marché ! que cet adversaire résolu du néolibéralisme déclenchait périodiquement un charivari d'invectives.

J'avoue que j'aimais cet empêcheur de penser en rond. Ah ! qu'il en faisait enrager ! Passait encore d'être, depuis longtemps (et avec Jacques Derrida), l'un des intellectuels français les plus traduits et les plus cités à travers le monde. Passait à la rigueur de maintenir autour de lui des collectifs universitaires solidaires et militants, soudés autour d'une conception austère et combative de la sociologie. Mais qu'un vrai succès de librairie accompagne en plus ! la parution de ses livres, voilà qui déstabilisait pour de bon un « système » médusé d'être ainsi pris à revers.

Ce n'est pas tout. Cette émergence inopinée de l'école Bourdieu sur le champ politique et culturel coïncidait dans le temps avec un discrédit voire une déroute éditoriale des intellectuels dits « médiatiques » et des essais approximatifs, un essoufflement spectaculaire des best-sellers préprogrammés et une efficacité de plus en plus douteuse des lancements planifiés de longue date. Pour ne rien dire de la prétendue crise des sciences sociales ou encore de cette indéfinissable (et parfois injuste) méfiance du lecteur lambda à l'égard de toute production culturelle trop explicitement marquée par sa provenance institutionnelle. Le fait est que, depuis des années, le terrain social, au sens militant du terme, se trouvait à peu près déserté par ceux qu'il est convenu d'appeler les intellectuels. Plusieurs effets étaient conjugués pour qu'il en soit ainsi : l'effet de sidération consécutif à l'effondrement communiste en 1989; la prévalence d'une interprétation des rapports sociaux évacuant toute référence à la « lutte des classes »; un consensus économique et monétaire conduisant à minimiser les effets induits des politiques de « désinflation compétitive » et de rigueur budgétaire, c'est-à-dire la précarisation et la nouvelle dureté sociale; la priorité accordée au projet européen, avec pour conséquence de délégitimer peu ou prou tout conflit, désigné comme « résistance au changement » ou « corporatisme », etc. C'est en tout cas ce terrain déserté, cette place vide, qu'investissaient fort utilement l'auteur de « la Distinction » et les siens. Même si on n'était pas toujours absolument d'accord avec Bourdieu, une chose est certaine : il va nous manquer. Beaucoup !
   

 


Pierre Bourdieu

       
 

   
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