Pierre Bourdieu |
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sociologue énervant |
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Des
textes de l'impétrant |
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Daniel Cohen |
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Le Monde, 26 mai 2000. |
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tudiant le problème particulier de l'accession à la propriété de la maison individuelle, Pierre Bourdieu souhaite démontrer comment la démarche sociologique peut être concrètement mise en uvre dans le champ économique. C'est le livre d'un sociologue qui s'irrite de la division du travail entre la sociologie et l'économie et propose à celle-ci de rejoindre celle-là. « Il faut garder à l'esprit que l'objet d'une véritable économie des pratiques n'est autre chose en dernière analyse que l'économie des conditions de production et de reproduction des agents et des institutions de production et de reproduction économique, culturelle et sociale, c'est-à-dire l'objet même de la sociologie dans sa définition la plus complète. » Selon Bourdieu, les économistes accueillent sans esprit critique des notions telles que les marchés ou les prix, sans prendre la mesure du temps historique qui nourrit chacune d'elle. L'Homo economicus lui-même est un « monstre anthropologique » habité par une supposée rationalité qui lui fait ramener tous les problèmes de l'existence humaine à un calcul indéfiniment répété des plaisirs et des peines. C'est cette fiction qui autorise en outre l'économiste à devenir mathématicien, abandonnant l'observation directe de l'humaine condition pour s'enfermer dans le cabinet confiné de la méditation scolastique que Bourdieu démasquait déjà dans ses Méditations pascaliennes, où il dénonçait la même dérive chez les philosophes. Alors, pour changer le cours des choses, le sociologue descend dans l'arène. Sur un objet économique particulier, l'accession à la propriété de la maison individuelle étudiée dans une première partie intitulée « Le marché de la maison », il va montrer, dans une seconde partie (plus courte) intitulée « Principes d'une anthropologie économique », comment la démarche unifiée qu'il appelle de ses voeux peut être concrètement mise en oeuvre. Analysant la production de maisons individuelles, le sociologue reproche tout d'abord à l'économiste de négliger le fait que « l'offre se présente comme un espace différencié et structuré d'offreurs concurrents dont les stratégies dépendent des autres concurrents et non comme une somme agrégée d'offreurs indépendants ». Pour aborder les rapports de forces qui structurent le « champ » de la concurrence industrielle, Bourdieu évoquera les « stratégic market assets » que sont le capital financier de l'entreprise, son capital technologique, son capital commercial et son capital symbolique, lui-même fondé sur la reconnaissance de la marque ( « good will investment », « brand loyalty »...). On ne peut pas dire qu'on tienne là une liste qui désarçonnerait l'économiste standard, habitué depuis longtemps à analyser ce qu'il appelle la « concurrence imparfaite ». Bourdieu en tire toutefois une conclusion radicale : le leader est en pratique invulnérable sauf dans les cas où il subit l'intrusion de leaders issus eux-mêmes d'autres champs. Ainsi les Maisons Phénix perdent-elles leur leadership du fait de l'intrusion de la société Bouygues, elle-même leader du BTP. Pourquoi pas ? Mais comment comprendre ce faisant que les plus grosses capitalisations boursières soient aujourd'hui le fait d'entreprises qui n'existaient pas il y a vingt ans (Microsoft, Cisco...) et qui ont chacune défait le leader de leur champ respectif (IBM, ATT...) ? Passant du champ qui structure l'offre à celui qui structure la demande de maisons individuelles, Bourdieu montre ensuite que les catégories à faible capital culturel (artisans, chefs d'entreprise) accèdent à la propriété d'une manière qui diffère des catégories à fort capital culturel (enseignants, ingénieurs...). Dans le second cas, la demande dépend du revenu, mais pas dans le premier. Le capital culturel serait-il ainsi une clé pour comprendre l'accession à la propriété ? Faut-il retenir qu'il signe une différence dans la manière de concevoir l'endettement, de subir le rationnement du crédit ? Ce n'est hélas pas si simple. On apprend en effet également que « le capital culturel n'exerce pratiquement pas d'effets visibles sur le taux de propriétaires à l'intérieur de chaque catégorie sociale, quel que soit le niveau de revenu ». En clair, la profession fixe le profil bien plus que l'éducation. Quelle est en ce cas la part explicative du capital culturel ? Ici, au-delà de la question elle-même, c'est bien l'écart entre la démarche de l'économiste et celle du sociologue qui apparaît en creux. Bourdieu reproche aux économistes leurs méthodes déductives, et plaide pour la manière strictement descriptive de la sociologie. Pour illustrer la différence entre ces deux démarches, prenons la situation traitée au chapitre 4, « Un contrat sous contrainte », où est analysé comment le vendeur donne une « leçon de réalisme économique » à son client en matière de crédit. Le sociologue prend le « verdict du tribunal de l'économie » pour donné. Mais, pour l'économiste, c'est ce verdict qui est problématique. Pourquoi, en effet, les banques rationnent-elles le crédit ? La réponse semble évidente : elles veulent éviter le défaut des clients. Mais ce n'est pas si clair : elles peuvent en effet généralement récupérer le logement du débiteur s'il vient à faillir. Le rationnement se justifie-t-il à cause des « coûts de transaction », qui rendent difficile de déloger le débiteur récalcitrant ? Ou pour d'autres causes telles, par exemple, les variations du prix de l'immobilier (on sait combien on achète, mais pas combien on revend), lequel, par surcroît, fluctue avec la conjoncture économique (ce qui rend difficile de diversifier le risque rencontré) et varie sans doute aussi avec le risque de défaut de l'emprunteur ? Parvenu à de telles interrogations, l'économiste est immédiatement « habité » du besoin de faire un « modèle », non pas comme le dit Bourdieu pour travestir des relations simples en équations complexes, mais tout au contraire pour donner des réponses simples à des questions difficiles. Bourdieu réfuterait le principe même de ces calculs au motif que ce ne sont pas ceux que les agents concernés font eux-mêmes. Ceux-ci, écrit-il, ont « une disposition à agir qui est le produit d'expériences antérieures de situations semblables ». Cet « habitus » a un pouvoir explicatif clair lorsqu'il s'agit de suivre le comportement de quelqu'un qui échappe à son milieu, tel le « nouveau riche », ou le « paysan » qui va en ville. Chacun emmène avec lui les us et coutumes du monde qu'il a quitté. Mais quelle est sa part prédictive si l'on veut comprendre ce monde lui-même ? Comment, dans l'exemple traité, aide-t-il à comprendre pourquoi les banquiers fixent, dans leur propre milieu d'origine, telle politique de crédit plutôt que telle autre ? Faut-il faire la genèse de toutes les crises bancaires du passé ? A supposer qu'une telle tâche soit possible, pourra-t-elle dire ce que le rationnement du crédit a de nécessaire, de contingent ? En faisant directement le calcul du point où conduit ce qu'on appelle aujourd'hui « la loi du profit maximum », l'économiste offre une autre manière, déductive, de considérer la politique du crédit, à charge - évidemment essentielle - ensuite de prouver, données à l'appui, que sa méthode n'est pas vaine. Est-ce que cette démarche signe l'adhésion des économistes à un modèle « unique », celui de la supériorité universelle des marchés ? Bien sûr que non. Les économistes mathématiciens étaient hier bien souvent convaincus de la supériorité de la planification, et, aujourd'hui même, le débat pour ou contre les politiques du FMI se fait au sein de la « profession » avec la même vigueur qu'en dehors. Ce ne sont pas les mathématiques qui font les « monstres anthropologiques ». Peut-être est-ce tout simplement leur époque. |
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