Patrick |
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Champagne |
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France Culture, défendre sa différence. |
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et Henri Maler de l'Acrimed. Publié dans le Courrier de Libération le 25/09/99. |
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'est avec la plus vive inquiétude que nous avons pris connaissance de la nouvelle grille des programmes de France Culture. Conformément à la volonté de Laure Adler, qui en assume la direction depuis février dernier, la station, désormais proclamée « généraliste », est soumise à la logique de l'audimat : suppression d'émissions jugées trop « élitistes » ou « polémiques » et recrutement, comme à la télévision, d'un contingent de « célébrités » médiatiques. Tandis que des responsables en poste de la presse écrite font leur entrée, on assiste à la mise à l'écart de professionnels de la radio, souvent producteurs à France Culture depuis de nombreuses années. Avec, pour conséquence immédiatement observée, une banalisation des programmes. L'arrivée à France Culture de journalistes qui disposent parallèlement dans la presse écrite de leur propre tribune aboutit à des cumuls d'emplois dans une profession frappée par le chômage et la précarité. Ces cumuls renforcent les liens d'interdépendance et les intérêts croisés entre médias dont l'un des effets prévisibles est de rendre à terme quasiment impossible toute véritable critique des médias les uns par les autres. Est ainsi consacrée l'existence d'un univers où tout le monde se connaît, se lit, se copie, s'apprécie et appartient à la même famille. Quelle que soit la bonne volonté des individus, cette situation ne favorise guère une réflexion indépendante. On peut se demander s'il ne faut pas voir dès maintenant dans la complaisance de la presse écrite à l'égard de la nouvelle grille telle que la présente Laure Adler le signe des nouvelles relations déjà nouées. La pratique déjà existante, et aujourd'hui renforcée, qui consiste à confier des émissions régulières à des personnalités du monde universitaire ou de la recherche suscite des réserves du même ordre. Par delà la question toujours choquante du cumul d'emplois, se pose là encore, celle tout aussi préoccupante de la confusion des rôles. La place de l'universitaire, du spécialiste et du savant à France Culture devrait être et rester celle qui revient à des invités. Ce ne sont pas des personnes qui sont en cause mais des règles et des choix. En dépit des apparences, la nouvelle grille et son organisation invitent au conformisme voire à l'uniformité. France Culture n'échappait pas toujours à cette forme d'« élitisme » qui consiste pour des spécialistes à ne s'adresser qu'à des spécialistes. Mais on ne sort pas du « ghetto » culturel, quand il existe, en remplaçant un « élitisme » présumé par une forme plus subtile de populisme qui consiste, ici comme en politique de viser « les classes moyennes ». France Culture ne peut être jugée uniquement sur un taux d'écoute. Elle est aussi un laboratoire de la création, un lieu où des artistes, des écrivains, des scientifiques doivent pouvoir s'exprimer. Grâce à France Culture, des textes littéraires ou des ouvrages ignorés par la critique en raison de leur difficulté ou de l'absence de notoriété de leurs auteurs, des domaines peu ou mal couverts par les autres media ou encore des débats sur des sujets pointus, ont pu connaître une diffusion. Véritable exception culturelle, France Culture restait l'un des seuls lieux où des livres sérieux échappaient à l'oubli et, grâce à elle, peut-être au naufrage éditorial. La spécificité de France Culture la destine à un public exigeant et désireux de se cultiver. Un public qui existe et qui a le droit d'avoir une radio qui réponde à ses attentes. Que cette chaîne essaie d'étendre son audience est parfaitement légitime, mais pas à n'importe quel prix. Le chemin de la réforme aujourd'hui suivi est inquiétant : renforcement du pouvoir multimédiatique, cumul des fonctions, accentuation de la précarité, marginalisation ou éviction de professionnels indépendants. France Culture doit défendre sa différence et pour cela, revenir prioritairement à des professionnels de la radio, indépendants des lobbies de la presse et de la pensée. Il faut sauvegarder et renforcer une radio qui est un véritable « service public » de la vie culturelle, c'est-à-dire un lieu autonome de réflexion et de critique, indépendant des pressions économiques et des modes.
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