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'est avec la plus vive inquiétude que nous avons
pris connaissance de la nouvelle grille des programmes de France Culture. Conformément à
la volonté de Laure Adler, qui en assume la direction depuis février dernier, la
station, désormais proclamée « généraliste », est soumise à la logique de l'audimat
: suppression d'émissions jugées trop « élitistes » ou « polémiques » et
recrutement, comme à la télévision, d'un contingent de « célébrités »
médiatiques. Tandis que des responsables en poste de la presse écrite font leur entrée,
on assiste à la mise à l'écart de professionnels de la radio, souvent producteurs à
France Culture depuis de nombreuses années. Avec, pour conséquence immédiatement
observée, une banalisation des programmes.
L'arrivée à France Culture de journalistes qui disposent
parallèlement dans la presse écrite de leur propre tribune aboutit à des cumuls
d'emplois dans une profession frappée par le chômage et la précarité. Ces cumuls
renforcent les liens d'interdépendance et les intérêts croisés entre médias dont l'un
des effets prévisibles est de rendre à terme quasiment impossible toute véritable
critique des médias les uns par les autres. Est ainsi consacrée l'existence d'un univers
où tout le monde se connaît, se lit, se copie, s'apprécie et appartient à la même
famille. Quelle que soit la bonne volonté des individus, cette situation ne favorise
guère une réflexion indépendante. On peut se demander s'il ne faut pas voir dès
maintenant dans la complaisance de la presse écrite à l'égard de la nouvelle grille
telle que la présente Laure Adler le signe des nouvelles relations déjà nouées.
La pratique déjà existante, et aujourd'hui renforcée, qui
consiste à confier des émissions régulières à des personnalités du monde
universitaire ou de la recherche suscite des réserves du même ordre. Par delà la
question toujours choquante du cumul d'emplois, se pose là encore, celle tout aussi
préoccupante de la confusion des rôles. La place de l'universitaire, du spécialiste et
du savant à France Culture devrait être et rester celle qui revient à des invités.
Ce ne sont pas des personnes qui sont en cause mais des règles et
des choix. En dépit des apparences, la nouvelle grille et son organisation invitent au
conformisme voire à l'uniformité. France Culture n'échappait pas toujours à cette
forme d'« élitisme » qui consiste pour des spécialistes à ne s'adresser qu'à des
spécialistes. Mais on ne sort pas du « ghetto » culturel, quand il existe, en
remplaçant un « élitisme » présumé par une forme plus subtile de populisme qui
consiste, ici comme en politique de viser « les classes moyennes ».
France Culture ne peut être jugée uniquement sur un taux
d'écoute. Elle est aussi un laboratoire de la création, un lieu où des artistes, des
écrivains, des scientifiques doivent pouvoir s'exprimer. Grâce à France Culture, des
textes littéraires ou des ouvrages ignorés par la critique en raison de leur difficulté
ou de l'absence de notoriété de leurs auteurs, des domaines peu ou mal couverts par les
autres media ou encore des débats sur des sujets pointus, ont pu connaître une
diffusion. Véritable exception culturelle, France Culture restait l'un des seuls lieux
où des livres sérieux échappaient à l'oubli et, grâce à elle, peut-être au naufrage
éditorial.
La spécificité de France Culture la destine à un public exigeant
et désireux de se cultiver. Un public qui existe et qui a le droit d'avoir une radio qui
réponde à ses attentes. Que cette chaîne essaie d'étendre son audience est
parfaitement légitime, mais pas à n'importe quel prix. Le chemin de la réforme
aujourd'hui suivi est inquiétant : renforcement du pouvoir multimédiatique, cumul des
fonctions, accentuation de la précarité, marginalisation ou éviction de professionnels
indépendants. France Culture doit défendre sa différence et pour cela, revenir
prioritairement à des professionnels de la radio, indépendants des lobbies de la presse
et de la pensée.
Il faut sauvegarder et renforcer une radio qui est un véritable «
service public » de la vie culturelle, c'est-à-dire un lieu autonome de réflexion et de
critique, indépendant des pressions économiques et des modes.
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