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   Cyril Lemieux

 
   
pointj.gif (73 octets) Cyril Lemieux

 

pointj.gif (73 octets) Mauvaise presse

  

pointj.gif (73 octets) Sociologie

   

 
   
 

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Mauvaise presse. Avant-propos :
Encore une critique des journalistes ?
   

 
 

lemieux

« Une sociologie compréhensive du travail journalistique et de ses critiques », Collection Leçons de choses, Éditions Métailié, mars 2000, 467 pages, 149 francs.

 
 

   

un jour où je lui exposais mon travail, Norbert, un ami à moi, me fit cette réflexion : " Les reproches adressés aux journalistes en France depuis une vingtaine d'années illustrent, ce me semble, un problème très général : à quelle condition une critique est-elle en mesure d'entraîner un changement effectif des pratiques ? ". Durant sa longue carrière universitaire, Norbert a beaucoup travaillé sur les théories de l'argumentation et en particulier sur la question de la réfutabilité (il a notamment publié un ouvrage fameux mais aujourd'hui introuvable sur La surmétaqualification. Une critique de la typologie de Hart). Je ne fus donc qu'à moitié surpris par sa remarque concernant l'absence de conséquence de certaines critiques ­ d'autant qu'il faut bien l'avouer, sa propre théorie critique n'a elle même jamais eu beaucoup d'effets pratiques ! Concernant les médias français, il me sembla qu'on pouvait en partie lui donner raison : les insatisfactions à l'égard des gens de presse ont beau être fort nombreuses dans ce pays (régulièrement exprimées par des membres du public, des interlocuteurs des journalistes ou des journalistes eux-mêmes), beaucoup des attitudes journalistiques qui les suscitent ­ pas toutes cependant ­ perdurent ou s'amplifient. C'est comme si, dans ce domaine particulier de la vie sociale, la critique était d'autant plus foisonnante qu'elle était dépourvue de force.

pointg.gif (57 octets) Interchangeabilité des points de vue

La remarque de mon ami Norbert fut pour moi précieuse et je l'ai prise au sérieux dans la suite de mon travail. J'essayai de comprendre, à partir de l'étude de cas empiriques où quelque chose avait été reproché à des journalistes français de notre temps, à quoi tient la moindre efficacité de certaines critiques comparées à d'autres. Peu à peu, il m'a semblé tout à fait important d'observer si, oui ou non, ces critiques prenaient en compte la pluralité des logiques qui sont engagées dans le travail des gens de presse. Mon hypothèse était en effet que l'efficacité d'une critique, au plan purement argumentatif s'entend, dépend du degré auquel le critiqueur reconnaît la complexité de l'activité qu'il entend critiquer. S'il ne la reconnaît pas ou la reconnaît mal, sa critique aura une allure réductrice ou caricaturale et il sera de ce fait beaucoup plus facile pour le critiqué de la relativiser. Dans le cas du journalisme, prendre en compte la pluralité des logiques est d'autant plus crucial que cette activité, liée historiquement aux développements de la démocratie tout autant qu'à l'extension du capitalisme, reste très difficile à appréhender tant qu'on en retranche mentalement comme impur ce qui y relève de la logique commerciale, ou comme hypocrite ce qui y relève de l'ambition civique. C'est ainsi par exemple qu'en refusant d'admettre que la logique marchande n'est pas le genre de chose qui peut être évacuée complètement des médias, beaucoup de critiqueurs s'aliènent l'écoute des gens de presse qu'ils visent, car ceux-ci éprouvent leur activité d'une façon beaucoup moins unidimensionnelle que ce à quoi on entend la réduire (à savoir une "simple" mission de service public) et n'opposent pas si brutalement ou si absolument rentabilité et contribution à la démocratie.

pointg.gif (57 octets) En reconnaissant que les critiques qui anticipent la pluralité des logiques à l'oeuvre dans ce qu'elles visent, engagent un point de vue plus difficile à contourner pour les intéressés, on a fait un premier pas dans la voie de l'efficacité critique. De façon plus générale, on peut soutenir, en s'inspirant de certaines analyses de Michaël Walzer, que les critiques "internes" —celles, autrement dit, qui s'appuient sur le sens des valeurs propres aux gens que l'on critique— sont celles qui ont le plus de chances d'être entendues par ces derniers et donc d'entraîner parmi eux des attitudes correctives 1. Peut-être, dans cette perspective, une des raisons essentielles pour lesquelles, ces dernières années, si peu de critiques ont réussi à modifier le cours des choses dans le domaine des médias, réside-t-elle dans le fait que ces critiques étaient souvent produites d'un point de vue trop extérieur aux pratiques incriminées, comme à l'équilibre subtil des forces sociales qui soutiennent l'activité journalistique —d'où la facilité avec laquelle certains professionnels pouvaient reconnaître ces attaques comme "outrancières", "mal informées" ou ne les concernant pas personnellement. Bien sûr, tout ce raisonnement est fondé sur l'idée (qui ne va pas de soi) que la critique peut avoir une vertu propre, relativement indépendante des moyens de sanction dont dispose celui qui la profère 2. Si on admet cette idée, on pourra reconnaître que ce qui prépare le terrain pour la formulation de critiques vraiment efficaces d'une activité donnée (le journalisme par exemple), c'est toujours une compréhension en profondeur des valeurs que cherchent à honorer ceux qui s'adonnent à cette activité. Seul ce détour compréhensif permet de saisir des points d'entame de la critique qui —c'est là le point clé— seront acceptables et pertinents aux yeux de ceux qu'on espère aider par cette voie à réformer leurs attitudes.

NOTES :

1 Walzer M.), Critique et sens commun, Paris, La Découverte, 1990 ; et La Critique sociale au XXe siècle, Paris, Métailié, 1996 (1988).

2 Il peut sembler évident qu'un individu critiqué sera d'autant plus à l'écoute des reproches qui lui sont faits que celui qui les lui adresse dispose à son égard d'une capacité de sanction plus grande. Ceci pourtant n'invalide pas l'idée qu'une critique puisse convaincre, indépendamment même de qui la professe. Il se peut aussi qu'à l'inverse, un individu critiqué corrige son comportement après les reproches que lui a adressés quelqu'un qui pouvait le sanctionner, mais sans pour autant avoir été intimement convaincu que ces reproches fussent bien-fondés. De sorte que même liés entre eux, la soumission obtenue par la menace et la conviction qu'inspire la pertinence d'une critique méritent qu'on les distingue analytiquement.

 
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