Sociologie |
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Cyril Lemieux |
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Le journalisme en question |
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Extraits d'une entrevue parue dans Les Inrockuptibles n°244 du 23 mai. |
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rois-tu au déclin du professionnalisme, de la rigueur des journalistes ? D'un certain point de vue, il y a plutôt, à mon avis, une professionnalisation des journalistes. Je suis allé voir des vieux journalistes des années 50-60 de Sud-Ouest pour analyser ce qu'ils entendaient par "faute". Ce qu'on voit, c'est un mécanisme de professionnalisation. Le respect des règles, de la grammaire publique, est beaucoup plus fort chez les jeunes journalistes. Il n'y a donc pas de dégradation de la qualité des personnes, mais simplement une multiplication des occasions fautives. La situation ne se dégrade pas, elle se transforme. On passe d'un monde à un autre, dans lequel il y a de nouveaux principes critiques, comme l'impératif de communication qui rend la donne complètement différente. Je me méfie de la rhétorique du déclin. L'information à la télé s'est améliorée, la presse est moins vénale, plein de choses vont dans le bon sens. Les journalistes, d'après tes observations, sont largement contraints par une obligation de respect des formats. Dead line, durées, rythmes... Le journaliste doit remplir un format. En pratique, c'est souvent ce qui le stimule. Il doit faire tant de feuillets, suffisamment "sexy" ou "punchy", comme ils disent. L'une des questions clé dans les entreprises de presse, c'est : qui décide des formats, est-ce que les journalistes peuvent avoir prise sur les formats qu'ils ont à remplir ? Généralement, ce n'est pas eux qui les décident. Ils perdent leur dignité professionnelle dans cette affaire. C'est l'exemple du journaliste qui doit faire un reportage sur la drogue en banlieue et qui, en prédéfinissant complètement son sujet, ne fait que remplir une case pré-définie. Des journalistes définissent leur professionnalisme exclusivement autour de cette règle de respect des formats. A mon avis, il faut reconnaître l'importance de cette règle. Simplement, elle doit être remise à sa place, elle ne peut pas être la règle dominante, elle doit être en tension avec d'autres, et en particulier avec les règles de distanciation professionnelle. Comment ton travail sociologique, exigeant et difficile, peut-il être reçu, à la fois par la profession et le public ? Des lecteurs journalistes m'ont dit qu'ils reconnaissaient leur métier dans le livre. Ca me fait plaisir. Ce n'est pas une preuve scientifique, cela dit, loin de là. C'est certes un peu jargonnant. Pour moi, une rupture de cet ordre était importante parce que je voulais faire un travail de sociologie conceptuelle, mais aussi parce que je ne voulais pas qu'on puisse avoir une prise trop facile sur le livre. Si on le reprend trop facilement, on le mettra dans une case pour l'opposer à d'autres. Dans la profession, les gens ont peu le temps de lire, de prendre du recul. Cela limite les possibilités d'action. Mais il y a d'autres moyens de diffusion de ces idées. Par exemple, l'idée de retourner l'impératif de communication vers les journalistes, qui me semble important, peut être véhiculée sans avoir lu le livre. Tout comme la conciliation des logiques. La grande difficulté pour la presse, c'est de s'aménager des contre-temps. Pourquoi les journalistes ne reviennent-ils pas sur des événements, deux mois plus tard ? La gestion du temps, la possibilité d'aller à contre-courant de l'actualité, de faire de l'intempestif, est nécessaire. Une de mes propositions est de systématiser cette rubrique, que cela devienne un espace journalistique à part entière. Le fait que le journalisme ait vraiment mauvaise presse a-t-il des effets sur le moral de la profession ? Les journalistes ont une forme d'inquiétude. Ils se posent des questions sur eux-mêmes, sur leur travail. Ils sont assez intrigués sur ce qu'on peut dire d'eux. C'est un métier qui apparaît très simple à beaucoup de gens. Qu'est ce qu'ils sont paresseux, entend-on souvent. Je ne crois pas que les journalistes soient plus paresseux que certains universitaires, loin de là. Par contre, ils sont dans des contraintes d'urgence qui font qu'ils n'ont pas le temps d'approfondir un sujet. Les journalistes sont des gens très ordinaires, ni pires, ni meilleurs. On a tort d'en faire une caste à part. Il faut être ferme sur leurs fautes, les prendre au sérieux, mais ne pas le faire d'amalgame, à tort et à travers. |
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