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Faut-il
brûler la thèse de l'astrologue Elizabeth Teissier ? Sociologue. Auteur notamment de L'Opinion publique, Sirey. Le Figaro, 28 mai 2001
uelque chose va mal dans le royaume de la sociologie française ! Il suffit qu'une personne, astrologue de son état, soutienne une thèse à l'université Paris-V pour qu'aussitôt des esprits nobles se sentent obligés de crier " Au loup/Au loup ! Il faut sauver la sociologie ! ". On ne pourrait qu'admirer et soutenir cette belle inquiétude si, derrière la noble façade, il n'y avait pas hypocrisie, hargne et lâcheté, comme cela est de plus en plus fréquent dans notre monde vertueux. Pour ne pas manquer l'événement d'un pouce, le " petit monde de la sociologie " se met en effervescence, et, la nouvelle technologie aidant les pétitions commencent à circuler à la vitesse de l'éclair. Les signataires s'empressent d'exprimer leur indignation, et témoignent de leur fidélité et de leur soutien envers les initiateurs principaux, sans se soucier un instant du contenu de la thèse. Certes, l'auteur n'est pas une inconnue du grand public, elle bénéficie d'une " solide réputation " auprès de nombreux hommes politiques... Mais est-ce suffisant pour proclamer urbi et orbi, avant de lire ne serait-ce qu'une page de sa thèse, la supercherie ? Que reproche-t-on en fin de compte à cette thèse ? L'astrologie, en tant qu'objet d'investigation sociologique, peut paraître en effet farfelue, mais, d'une part, l'analyse sociologique n'est nullement impossible sur un sujet insolite, et d'autre part, il faut avoir un sacré culot pour prétendre qu'elle serait l'unique sujet à l'écart des attentes " normales " d'une thèse. Sans oublier que ce travail, si critiquable soit-il (mais pour cela il faudrait peut-être le lire), a parfaitement suivi toutes les étapes nécessaires de la procédure; que le jury a été présidé par un des plus grands psychosociologues de notre époque, et reconnu, une fois n'est pas coutume (!), sans équivoque, sur le plan international Serge Moscovici ; que d'autres membres du jury sont tous des personnages académiquement " convenables ". Et finalement, pourquoi ne pas imaginer que Mme Teissier, si astrologue qu'elle soit, puisse écrire une assez bonne thèse ? En réalité, ne serait-il pas plus courageux d'admettre que ce que nos belles âmes visent, ce n'est point l'auteur de la thèse (car quel mal cette dame peut-elle faire à la sociologie?), mais son directeur, Michel Maffesoli ? En effet, ce professeur a manifesté, à plusieurs reprises, son désaccord avec une discipline alourdie par un académisme un peu vieillot et n'a pas hésité à défendre des sujets originaux afin d'apporter un peu d'air à une sociologie moribonde. Cela ne signifie nullement qu'il est incapable de juger les travaux des autres. Quant au réexamen de la thèse, exigé des pétitionnaires consciencieux, cela s'apparente à la fois à de la mascarade et à de la discrimination. Mascarade, car en France, selon les lois universitaires en vigueur, on ne peut que " donner un blâme " à une thèse, même si on découvre ultérieurement qu'elle a été entièrement plagiée (faut-il donner des exemples?). Discriminatoire, car pourquoi viser cette thèse, quand chacun sait que des thèses soutenues avec complaisance, et d'une rare faiblesse, fourmillent, tant en sociologie qu'ailleurs ? Cela ne les empêche nullement d'avoir et les félicitations du jury et la qualification nécessaire pour permettre à leur auteur de postuler à un poste de maître de conférences. Car, si les procédures opaques de recrutement à l'université ne datent pas d'hier, elles ont atteint un niveau inimaginable durant ces dernières décennies. Le recrutement des copains et autres " subalternes redevables " n'a jamais atteint de tels niveaux. Autant dire qu'il serait préférable de ne pas parler de concours de recrutement. Au lieu de taper sur un bouc émissaire " suffisamment bon ", les universitaires consciencieux feraient mieux de balayer devant leur porte, surtout pendant la période de recrutement ! Car leur silence complaisant s'apparente à un dérapage grave dont on commence à peine à mesurer les conséquences. Il reste un autre aspect, plus voilé, mais non moins présent, de cette sombre affaire qui mérite réflexion. À l'heure où on n'arrête pas d'analyser la violence sous toutes ses coutures, et où on se plaît à pointer l'incivilité des " sauvageons ", cette affaire permet d'attirer l'attention sur une autre facette de la violence : l'incivilité cognitive, exercée certes avec doigté, mais qui ne manque ni de barbarie ni de virulence. Avant de s'ériger en donneur de leçons, il conviendrait de réfléchir sur cette question. Car la violence des jeunes ne fait que refléter la violence des " clercs ", sous une forme plus directe.
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