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Hervé
Morin
"JE SUIS RAVIE que ce soit terminé, et épuisée. Comme après un accouchement." Toujours impeccable, crinière rousse sur tailleur gris, l'astrologue Elizabeth Teissier rayonne. Sous les ors de la Sorbonne, elle a soutenu, samedi 7 avril, sa thèse consacrée à la "Situation épistémologique de l'astrologie à travers l'ambivalence fascinationrejet dans les sociétés postmodernes". Le président du jury, Serge Moscovici, s'apprête à l'oindre. "Germaine Elisabeth Hanselmann", commence-t-il, aussitôt interrompu : "Teissier, je m'appelle Elizabeth Teissier !", dit l'impétrante, plus soucieuse de son pseudonyme que des usages académiques. Le président reprend : "Le jury, après vous avoir entendue, vous déclare digne du titre de... - une hésitation, puis, presque inaudible - ...docteur en sociologie, avec mention très honorable." Tonnerre d'applaudissements et éclairs des flashes masquent la sortie du jury par une porte dérobée. La veille, l'Association française pour l'information scientifique (AFIS), présidée par l'astrophysicien Jean-Claude Pecker, membre de l'Académie des sciences et professeur au Collège de France, avait publié une mise en garde : "Depuis des années, Elizabeth Teissier réclame la création d'une chaire d'astrologie à la Sorbonne et il est à craindre qu'elle se servira de son diplôme pour renforcer cette cause." Jean Audouze, astrophysicien et directeur du Palais de la découverte, partage cette crainte, et avait demandé, sans succès, au président de l'université Paris-V le report de la soutenance et la présence d'astronomes au sein du jury. D'autres scientifiques jugeaient au contraire "contre-productif" de faire de l'astrologue une martyre de la science. On sait maintenant que Mme Teissier ne sera pas professeur d'université : il aurait fallu, pour qu'elle y prétende avec une chance de succès, qu'elle obtienne les félicitations du jury. "Nous ne sommes pas des censeurs, prévient Jean-Paul Krivine, rédacteur en chef de la revue de l'AFIS. L'illusionniste Uri Geller aussi aurait le droit de présenter une thèse de sociologie. Mais ce n'est pas parce qu'il s'agit de sociologie qu'on peut tolérer des âneries scientifiques." Autour des petits fours, il tente de convaincre l'unique membre du jury à ne s'être pas éclipsé que la Sorbonne vient de se faire piéger. Patrick Tacussel, épistémologue, n'a pas d'états d'âme : "Nous avons examiné ce texte en profondeur, soulevé des objections méthodologiques et des critiques de fond." Mais la question n'était pas de se prononcer sur le statut scientifique de l'astrologie. Michel Maffesoli, le directeur de thèse d'Elizabeth Teissier, a rappelé qu'il ne s'agit "pas d'une science, mais d'un fait social qui mérite examen". Il confesse cependant qu'un chapitre, consacré aux médias, sur les 900 pages résumant dix ans de travail de l'ancienne conseillère astrale de François Mitterrand et d'autres grands de ce monde, constitue un "dérapage" puisqu'il laisse libre cours à la "passion" peu compatible avec la raison universitaire. Le "show" de sa consur a en tout cas régalé un apprenti sociologue -"elle se croyait chez Dechavanne". S'il n'était déjà accaparé par sa thèse, il se fendrait bien d'une étude sur l'entrée en Sorbonne de l'astrologue de Télé 7 jours. La réputation de l'illustre université n'est, selon lui, pas en péril. "Depuis mille quatre cents ans, elle en a entendu, des sottises, et elle en entendra d'autres."Sur le perron de la Sorbonne, Elizabeth Teissier sourit aux photographes.
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