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Hervé
Morin Le Monde, 15 mai 2001. n mois après avoir abrité la soutenance d'une thèse de sociologie par l'astrologue Elizabeth Teissier, la Sorbonne a été, samedi 12 mai, le théâtre d'une sorte de contre-soutenance, consacrée à ce qu'il est désormais convenu d'appeler l'" affaire Teissier " (Le Monde du 5 mai). L'Association des sociologues enseignants du supérieur (ASES) avait organisé une réunion publique ayant pour thème " la thèse de sociologie, questions épistémologiques et usages après l'affaire Teissier ". L'objet de la rencontre, qui a rassemblé une soixantaine de participants, était, comme l'a indiqué Daniel Filâtre, président de l'ASES, de savoir s'il fallait ou non condamner cette soutenance, et si oui avec quels arguments, et " quelles armes pourraient ou devraient à l'avenir être mises en place pour réguler la profession " de sociologue. Elle était notamment motivée par le succès d'une pétition lancée par l'ASES demandant au président de l'université de Paris V " de surseoir à l'enregistrement de la thèse de Mme Teissier et de faire procéder par des experts indépendants et reconnus à un réexamen approfondi de ses travaux ". Le texte a reçu la signature de quelque 370 sociologues, soit environ un tiers des représentants de cette discipline. Mais les débats, animés, ont vite montré que les réponses aux questions posées par cette soutenance étaient loin d'être univoques. "UNE APOLOGIE MILITANTE " Christian Baudelot (ENS), signataire avec son collègue Roger Establet d'un texte condamnant la soutenance et ceux qui l'avaient autorisée (Le Monde du 18 avril), a donné, citations à l'appui, sa lecture de ce qui constitue à ses yeux " une apologie militante, polémique, de l'astrologie ", doublée l'un propos " antirationaliste avancé ". Elizabeth Teissier va même, s'insurge-t-il, jusqu'à " abaisser la sociologie " laquelle occulterait, selon elle, la dimension cosmique des phénomènes sociaux, " dimension qui, selon le paradigme astrologique, et notre conviction, écrit-elle (pp. 524-525), vient coiffer le social ". Son collègue Dominique Desjeux (Paris V), qui, lui aussi, a lu la thèse en détail, considère qu'il ne s'agit ni d'une thèse ni de sociologie, mais, au-delà des chapitres introductifs, de " 5 à 600 pages de marketing pro-Teissier ". Il s'étonne que la doctorante ait pu qualifier le sociologue Max Weber de " taureau pragmatique ", et signale nombre de citations détournées de leur sens initial et de références tronquées, voire erronées. Jean-Yves Trépos (université de Metz), président de la section de sociologie au conseil supérieur des universités, note que, si la sociologie est constituée de multiples courants et méthodes, " la rigueur est un élément validable ". " Or là, dit-il, il n'y en a pas. " Aussi soulève-t-il la question de la " responsabilité professionnelle " de Michel Maffesoli, le directeur de thèse d'Elizabeth Teissier, qui a pris le risque " de flinguer pour longtemps ses candidats, passés et à venir ". Ceux-ci seront-ils marqués du sceau d'infamie du " maffesolisme " ? Assistera-t-on à un renforcement des guerres de tranchée entre écoles, dont la sociologie a toujours été friande ? Maryse Tripier (Paris VII) estime que la discipline en a suffisamment souffert, et qu'il faudrait plutôt discuter des normes académiques et de " ce qui fait que l'on se reconnaît les uns les autres comme sociologues ". Pour d'autres, l'" affaire Teissier " est avant tout un miroir, certes déformant, mais révélateur, tendu à la sociologie et aux pratiques universitaires. Les mauvaises thèses, assure Armel Huet (Rennes), signataire de la pétition, sont un problème récurrent en sociologie. " Il m'est arrivé de refuser d'en diriger, précise-t-il, mais elles ont été soutenues ailleurs ". Et la lecture exhaustive des rapports de thèses fournis par les jurys lui semble " bien plus édifiante que l'affaire Teissier ". "PETITES COMPROMISSIONS" Un diagnostic confirmé par Alain Quemin (Marne-la-Vallée), pour qui la composition des Jurys, souvent constitués de " bandes de copains ", tout comme les procédures opaques des recrutements à l'université font partie de ces " petites compromissions et lâchetés " qui, " comme l'adultère chez les bourgeois au XIXè siècle, seraient acceptables tant qu'elles ne sont pas connues ". Faute d'autorégulation efficace, la très grande liberté dont jouissent les universitaires devrait s'accompagner, selon lui, d'un droit de regard extérieur, " exercé par exemple par le ministère ". Ces aspects du débat n'ont pas particulièrement retenu l'attention de Michel Maffesoli qui, seul ou presque dans l'arène, " persiste et signe ". " Quand on accepte la soutenance d'une thèse, c'est qu'elle est discutable ", dit-il. Il n'en démord pas : certes, " pour un tiers de la thèse, on voit pointer l'oreille de l'astrologue ", mais la prétention de celle-ci à présenter sa discipline comme une science et les " dérapages " du chapitre 6 consacré aux médias ont fait l'objet de critiques lors de la soutenance. Rasséréné lorsqu'un collègue s'insurge contre l'institution d'un " tribunal de la pensée " dont il ferait les frais, il est plus mal à l'aise quand on le somme de préciser ce que ces 900 et quelques pages ont pu apporter à la sociologie. Et se borne finalement à constater le fossé qui le sépare des sceptiques envers son approche " compréhensive " : " Nous n'avons pas lu la même thèse. " Ce constat ne décourage, pas Philippe Cibois, secrétaire général de l'ASES, pour qui l'" affaire " aura finalement été positive pour la discipline. " Ce qu'on attend de nous, conclut-il, c'est de définir des normes objectives de ce. qu'est un travail sociologique. Mais ce travail reste à faire. " Lorsque deux intervenants s'empoignent sur la question de savoir si, oui ou non, les faits sociaux peuvent être considérés comrne des choses, on pressent que ce chantier sera de longue haleine...
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