« Redonner ses titres de noblesse à l'astrologie, enseigner cet art à la Sorbonne :  voilà pour quoi je lutte ! »
(source : "Mes combats", site E. Tessier)

   


Banalité d'Elizabeth Teissier.
Odile Piriou

Odile Piriou est chercheuse au Laboratoire de sociologie du changement des institutions (LSCI-Iresco). Le Monde, 2 mai 2001.

U-DELÀ de ce qui semble bien se dessiner comme une tartuferie contre laquelle on peut réagir, l'" affaire Teissier " permet d'énoncer des enjeux sous-jacents autrement stratégiques.

 L'un a trait à la lutte entre les héritiers d'une sociologie positiviste et durkheimienne et les défenseurs d'un contre-courant antipositiviste plutôt phénoménologique, revendiqué par Michel Maffesoli.
Les premiers traiteraient objectivement les faits sociaux " comme des choses " dans une démarche armée de connaissances et de techniques scientifiquement reconnues.
Les seconds, reconnaissant une égale valeur aux cadres de la connaissance scientifique et profane, privilégieraient le vécu, sans trop s'embarrasser de rigueur méthodologique.

 Finalement, aucune école n'a jamais réussi à s'imposer comme modèle exclusif de la discipline. La résurgence de ce vieux débat est peut-être le signe d'un dynamisme intellectuel. Mais il renvoie aussi à l'enjeu du renouvellement de questions plus corporatistes concernant l'organisation de la sociologie comme profession, au contrôle de l'accès au métier.
Or, à la différence de la philosophie ou de la psychologie, la sociologie s'est toujours défendue d'une orthodoxie conduisant à une trop grande normalisation et une fermeture professionnelles. Les attaques portées contre la légitimité du titre de docteur accordé à Elizabeth Teissier conduisent à nuancer cette position.

 La recherche récente que j'ai publiée sur les docteurs en sociologie montre, en fait, que cette dame est finalement très représentative des thésards de cette discipline.
Ces docteurs viennent d'horizons universitaires divers : 54 % ont obtenu un ou plusieurs diplômes avant de s'inscrire en sociologie. La moitié sont entrés directement en DEA ou en thèse de sociologie. Parmi ces " convertis ", beaucoup sont devenus des universitaires, dont ceux qui, aujourd'hui, demandent des comptes à Elizabeth Teissier sur son entrée tardive en sociologie.
Outre la diversité de ces origines universitaires, une proportion non négligeable de docteurs, presque un tiers, viennent en sociologie après avoir exercé un autre métier ou dans le cadre d'un congé formation. Parmi eux, on recense des séminaristes, des professionnels du secteur associatif, de la santé, du travail social, des inspecteurs de l'éducation nationale, des artistes, des policiers... Ils sont depuis peu rejoints par une astrologue.

 Par ailleurs, le choix des sujets de thèses de sociologie est effectivement souvent lié à la trajectoire professionnelle de l'impétrant.
La plupart des professionnels qui viennent tardivement en sociologie 42%, choisissent des thèmes directement rattachés à leur activité. La filière d'emplois dans laquelle travaillait le thésard (avant d'entreprendre ses études ou parallèlement à celles-ci) l'invite à définir une stratégie à visée professionnelle. Le but est de valoriser cet itinéraire, de maximiser la réussite de la thèse, de trouver dans ce diplôme un mérite symbolique, une homologation de responsabilités professionnelles, la possibilité d'améliorer sa pratique. On ne peut pas, non plus, complètement s'interdire d'envisager que ces professionnels soient aussi des personnes passionnées de sociologie ou de sciences sociales.

 Il ne faut pas que les critiques des sociologues exercées à l'encontre d'Elizabeth Teissier et de Michel Maffesoli obvient la question plus large de conséquences de l'organisation de la sociologie en profession. Car l'" affaire Teissier " renvoie aussi aux a priori normatifs qui constituent les modèles de référence sociologique et professionnel à partir desquels se construit la discipline.

 L'application de règles trop rigides d'admission et de formation pourrait limiter le type d'intérêt tardif qui constitue un mode important des motivations d'entrée dans la discipline et qui, selon Evrett Hughes, célèbre sociologue, a donné à notre discipline " beaucoup de nos meilleurs sociologues ".
Les critiques formulées à l'encontre de la thèse soutenue par Elizabeth Teissier ne doivent pas conduire les sociologues à se crisper sur une conception limitant les phénomènes sociologiques à des faits indépendants des subjectivités, chosifiés et inertes. Elles ne doivent pas non plus aboutir à une illusion scientiste, établissant une rupture entre la démarche savante, pure et désintéressée, et la démarche profane, demi-savante ou ingénieuriale. Cette attitude exclut de fait un nombre important de sociologues formés en sociologie qui ne deviendront jamais universitaires ou chercheurs au CNRS.

 Enfin, les sociologues doivent prendre en compte la réalité du public entrant en sociologie, les profils de ses diplômés et les modalités d'accès au titre. Les reproches qu'ils formulent à l'encontre d'Elizabeth Teissier, son entrée en 3e cycle, son profil iconoclaste, pourraient être adressés à beaucoup d'autres docteurs.
S'ils exigent que sa thèse soit réexaminée, ils prennent le risque de favoriser le jeu de pouvoir mandarinal. Un patron, en lutte avec un concurrent ou jugeant une thèse trop dérangeante, exigera à son tour son réexamen ou son annulation. Il faut être prudent: Elizabeth Teissier pourrait devenir le pion qu'on avance en surface pour régler des affaires plus souterraines, relevant des querelles de chapelle ou des jeux de pouvoir entre " grands " de la sociologie. Les impétrants sociologues savent combien ces jeux d'acteurs peuvent être déshonorants et dangereux pour eux.

     

   


 

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[Docteur Tessier ?]

 
 

     

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