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Libération, 9 avril 2001. C'était
la thèse la plus controversée et la plus mondaine de
l'année. Samedi, à la Sorbonne, Elizabeth Teissier,
astrologue chic, prétendait au titre de docteur en sociologie
grâce à ses travaux sur «la situation épistémologique
de l'astrologie à travers l'ambivalence fascination/rejet dans
les sociétés postmodernes». La veille, Jean
Audouze, astrophysicien et chercheur au CNRS, directeur du palais
de la Découverte, avait demandé au président
de l'université Paris V de «surseoir» à
cette cérémonie. Il n'était pas seul: les
spécialistes de l'AFIS, l'association française pour
l'information scientifique, rappelant que «l'astrologie n'est
plus une discipline universitaire depuis trois siècles»,
avaient réclamé à leur tour de faire examiner
le texte par un astrophysicien avant sa présentation . Applaudissements. Pourtant, au premier rang, ses proches lui envoient des ondes positives. Public inhabituel pour une soutenance de thèse: un âge moyen avancé, des femmes pleines de bijoux, de maquillage et d'admiration pour Elizabeth, flanquées de maris somnolants. Devant la candidate, un jury de quatre universitaires. Derrière, quelques scientifiques, venus constater l'ampleur des dégâts. Sous l'effigie de Descartes, Elizabeth Teissier entame la lecture de son introduction, vingt minutes d'un débit continu, où la sociologie tombe dru. «Joie heuristique», «socle kantien», «holisme», «doxa» se bousculent. D'où il ressort que la spécialiste des astres a fait des efforts pour se détacher de sa passion et appréhender l'astrologie comme n'importe quel fait social. Son travail porte donc sur le «malentendu» que l'astrologie véhicule, entre «attraction multiformes» et rejet puisque «cet art» a été «relégué au rang de barbare et de paria». L'ancien mannequin a donc voulu «chercher les causes de cet abîme». A la minute près, elle achève son intervention dans le temps imparti, avec une citation de Shakespeare. Dans la salle, le public enthousiasmé applaudit. «On n'est pas au théâtre!» le rappelle à l'ordre le président du jury, Serge Moscovici. Le directeur de la thèse, le sociologue Michel Maffesoli, prend la parole pour une molle défense. Un travail comme celui-ci a sa place dans le débat universitaire, estime-t-il. Mais, prudent, il préfère mettre les points sur les i. Il rappelle donc que l'astrologie n'est pas scientifique et, qu'en aucun cas cette thèse ne peut «légitimer une activité professionnelle», hors des murs de l'université. Il tapote les deux tomes, qu'il trouve «bien écrits», avec un «plan cohérent». «C'est un travail conséquent de 900 pages.» «Un peu plus», lui souffle Teissier. «Taisez vous. Je vous ai dit de n'interrompre personne», coupe son directeur. Le sociologue regrette le chapitre consacré aux médias. Le ton y est «plus cavalier», les références souvent «inutiles et mondaines, pas maîtrisées». En résumé: «L'aspect polémique ressort.» «Farce». En face de lui, en élève peu docile, Elizabeth Teissier s'obstine: «Je ne fais pas amende honorable car j'ai beaucoup réfléchi.» Une philosophe du jury se lance dans une longue intervention plutôt élogieuse. Qui produit un effet inattendu: dans la salle, un spectateur quitte l'amphithéâtre en lâchant tout fort: «C'est une farce!» A 14 h 30, Elizabeth, interrogée sur le lien social que l'astrologie peut représenter, patauge. Pendant quelques minutes, elle s'embrouille, puis, inspirée: «L'homme de la rue est comme une carte à puces qui réagit selon les rythmes du ciel qui l'ont vu naître. D'où la reliance avec l'autre, et les affinités, oui, comme les Affinités électives de Goethe.» Le jury reste silencieux. Avant de sortir le lance-roquettes. Sur la forme: «Dans schizophrénie, évitez le y». Sur la méthode: «Vous n'avez pas su maintenir une distance assez forte.» Sur les références: «Vous utilisez les auteurs comme des pavillons de complaisance.» Elizabeth ne se laisse pas décontenancer. Au contraire. L'attaque la galvanise. La voilà partie vers sa spécialité, l'apologie de l'astrologie. Irrité mais souriant, le président du jury oublie carrément la thèse et se lance sur le même terrain: «Il faudra s'habituer à cette idée: l'astrologie ne relève pas de la science.» L'ancienne astrologue de Mitterrand réplique: «De toute façon, j'ai écrit 900 pages qui ne vous ont pas convaincu, alors...» La sociologie est bien loin, on polémique comme à la télé: «Vous ne pouvez pas taxer l'astrologie de magie, plaide Elizabeth. Il y a des techniques de vérifications empiriques. Cela n'a rien à voir. De toute façon, on sait maintenant que l'unique vérité est vibratoire.» Cocktail. 16 heures, le jury après délibération, juge Elisabeth Teissier «digne du titre de docteur en sociologie», avec mention très honorable. En clair, une gratification moyenne. Ses fans s'en moquent, et l'acclament debout. Elisabeth fond en larmes. Les scientifiques présents dans la salle sortent les tracts. «Il y a certainement des âneries scientifiques dans ce texte. En plus, elle fait un véritable plaidoyer pour l'enseignement de l'astrologie à l'université. Elle a un discours militant», dénonce ainsi Jean-Pierre Krivine, membre de l'Afis. Ecurés, les chercheurs promettent de passer la thèse au crible, si possible avant sa parution en bibliothèque, dans un mois et demi. Au pot de thésard, d'ordinaire chips et cacahuètes, Elizabeth Teissier a renouvelé le genre avec petits fours, champagne, et maître d'hôtel. On parle astres, zodiaque, ciel. Aucun thésard ne peut se prévaloir de son titre avant que son ouvrage n'ait trouvé sa place en bibliothèque mais, avisée par les planètes sans doute, Elizabeth Teissier avait anticipé l'obtention de son diplôme et invité sur carton ses amis à fêter son «doctorat en sociologie flambant neuf». En partant, avant de regagner sa voiture immatriculée en Suisse, la spécialiste des horoscopes pose dans la cour de la Sorbonne, devant une rangée de photographes. Et, enlevant ses verres teintés Chanel, clame fièrement : «Il a fallu attendre 350 ans le retour de l'astrologie à la Sorbonne. C'est beau.»
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