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omme aux plus beaux jours de l'après-guerre,
les élites politiques, le patronat et les « faiseurs d'opinion » de l'Europe
vouent aujourd'hui aux Etats-Unis une fascination envieuse qui tient essentiellement aux
performances de leur économie. La clef de la prospérité américaine, et la porte de
sortie supposée du chômage de masse, tiendrait à une formule simple : moins
d'Etat. Il est vrai que les Etats-Unis - et après eux le Royaume-Uni et la
Nouvelle-Zélande - ont fortement réduit leurs dépenses sociales et vigoureusement
élagué les règles d'embauche et (surtout) de débauche de sorte à instituer le
salariat dit « flexible » en véritable norme d'emploi, voire de citoyenneté.
Les partisans de politiques néolibérales d'étranglement de l'Etat-providence ont beau
jeu de souligner comment cet « assouplissement » a stimulé la production de
richesses et la création d'emploi. Ils sont moins empressés d'aborder les conséquences
des politiques de dumping salarial : en l'occurrence, la généralisation de
l'insécurité sociale et physique, et l'accroissement vertigineux des inégalités
nourrissant ségrégation, criminalité et déréliction des institutions publiques.
Mais il ne suffit pas de mesurer les coûts
sociaux et humains directs du système d'insécurité sociale que les Etats-Unis offrent
en « modèle » au monde (1). Encore faut-il tenir compte de son complément sociologique : le
surdéveloppement des institutions qui pallient les carences de la protection sociale (safety
net) en déployant dans les régions inférieures de la société un filet policier et
pénal (dragnet) au maillage de plus en plus serré. Car à l'atrophie délibérée
de l'Etat social correspond l'hypertrophie de l'Etat pénal : la misère et le
dépérissement de l'un ont pour contrepartie directe et nécessaire la grandeur et la
prospérité de l'autre. Quatre faits saillants - l'augmentation des populations
incarcérées, le contrôle d'un nombre de plus en plus grand de personnes aux marges du
système pénitentiaire, le gonflement spectaculaire du secteur pénal au sein des
administrations fédérale et locales et un « noircissement » continu de la
population détenue - caractérisent l'évolution pénale aux Etats-Unis depuis le
revirement social et racial amorcé durant la décennie 70 ; ce revirement s'est
produit en réponse aux avancées démocratiques provoquées par le soulèvement noir et
par les mouvements populaires de protestation qui s'étaient engouffrés dans son sillage
(étudiants, femmes, opposants à la guerre du Vietnam, écologistes) (2).
La croissance des populations emprisonnées aux
trois paliers de l'appareil carcéral - dans les maisons d'arrêt des villes et comtés,
les centrales des cinquante Etats de l'Union et les pénitenciers fédéraux - est
fulgurante. Durant les années 60, la démographie pénitentiaire du pays s'était
orientée à la baisse, si bien qu'en 1975 le nombre des détenus était tombé à
380 000 après une décrue lente mais régulière (d'environ 1 % par an pendant
une décennie). On débattait alors de « décarcération », de peines de
substitution et de réserver l'enfermement aux seuls « prédateurs dangereux »
(soit 10 % à 15 % des criminels) ; d'aucuns annonçaient même avec audace
le crépuscule de l'institution carcérale (3). Mais la courbe allait brusquement s'inverser puis
s'envoler : dix ans plus tard, les effectifs des personnes emprisonnées avaient
bondi à 740 000 avant de dépasser 1,6 million en 1995. Pour la décennie 90, leur
rythme de croissance s'établit à 8 % par an.
Ce triplement en quinze ans est un phénomène sans
précédent dans une société démocratique. Il vaut aux Etats-Unis de caracoler très
loin devant les autres nations avancées puisque leur taux d'incarcération - 645 détenus
pour 100 000 habitants en 1997, soit cinq fois le chiffre de 1973 - est de six à dix
fois supérieur à ceux des pays de l'Union européenne (voir tableau ci- contre) (4). Même l'Afrique du Sud sous le régime d'apartheid
emprisonnait moins que ne le font aujourd'hui les Etats-Unis.
5,4 millions d'Américains sous tutelle pénale.
En Californie, leader
national il y a peu en matière d'éducation et de santé publique, reconverti depuis dans
le tout pénal, le nombre des détenus consignés dans les seules prisons d'Etat est
passé de 17 300 en 1975 à 48 300 en 1985, avant de franchir le cap des
130 000 dix ans plus tard. Si on leur adjoint les effectifs des maisons d'arrêt
(celle du comté de Los Angeles contient à elle seule plus de 20 000 reclus), on
atteint le total faramineux de 200 000 âmes, soit l'équivalent d'une grosse ville
de province française.
Mais le « grand renfermement » de cette
fin de siècle ne donne pas une juste mesure de l'extraordinaire expansion de l'empire
pénal américain. D'une part, il ne tient pas compte des personnes placées en liberté
surveillée (probation) et conditionnelle (parole). Or, du fait de
l'impossibilité d'agrandir le parc carcéral suffisamment vite pour absorber l'afflux des
condamnés, l'effectif des personnes tenues dans les antichambres et les coulisses de la
prison a crû plus vite encore que celui des détenus qui croupissent entre ses murs. Ils
ont presque quadruplé en seize ans pour frôler les 4 millions en 1995 : 3,1
millions en parole et 700 000 en probation. De sorte que, cette
année-là, on comptait 5,4 millions d'Américains sous tutelle pénale, chiffre qui
représente près de 5 % des hommes de plus de dix-huit ans et un homme noir sur cinq
(on va vite voir pourquoi).
D'autre part, en sus des peines dites
intermédiaires, telles que l'assignation à résidence ou à un centre disciplinaire (boot
camp), la mise à l'épreuve intensive et la surveillance téléphonique ou
électronique (à l'aide de bracelets et autres gadgets techniques), l'emprise du système
pénal s'est considérablement élargie grâce à la prolifération des banques de
données criminelles et au décuplement des moyens et des points de contrôle à distance
que celles-là autorisent. Dans les années 70 et 80, sous l'impulsion de l'organisme
fédéral chargé d'activer la lutte contre la criminalité, la Law Enforcement
Administration Agency, les polices, tribunaux et administrations pénitentiaires des
cinquante Etats ont établi des banques de données centralisées et informatisées, qui
ont proliféré depuis.
Résultat de la synergie nouvelle entre les
fonctions de « capture » et d'« observation » de l'appareil pénal
(5), il existe plus de 50 millions de « fiches
criminelles » (contre 35 millions il y a une décennie) portant sur environ 30
millions d'individus, soit presque le tiers de la population adulte masculine du
pays ! Ont accès à ces banques de données non seulement les administrations
publiques, comme le FBI ou l'INS (chargé de la police des étrangers) et les services
sociaux, mais aussi les personnes et les organismes privés. Ces données sont couramment
utilisées par les employeurs pour éliminer les repris de justice prétendant à un
emploi. Et qu'importe si elles sont fréquemment incorrectes, périmées ou anodines,
voire illégales. Leur circulation place non seulement les criminels et les simples
suspects de délits, mais aussi leurs familles, leurs amis, leurs voisins et leurs
quartiers, dans la ligne de mire de l'appareil policier et pénal (6).
Moyen et conséquence de cette boulimie
carcérale : le gonflement spectaculaire du secteur pénal au sein des
administrations fédérale et locales. Cette troisième tendance est d'autant plus
remarquable qu'elle s'affirme dans une période de vaches maigres pour le secteur public.
Entre 1979 et 1990, les dépenses des Etats en matière carcérale se sont accrues de
325 % au titre du fonctionnement et de 612 % au chapitre de la construction -
soit trois fois plus vite que les dépenses militaires au niveau national, qui pourtant
ont joui de faveurs exceptionnelles sous les présidences de MM. Ronald Reagan et
George Bush. Dès 1992, quatre Etats consacraient plus de 1 milliard de dollars à
l'emprisonnement : la Californie (3,2 milliards), l'Etat de New York (2,1), le Texas
(1,3) et la Floride (1,1). Au total, en 1993, les Etats-Unis ont dépensé moitié plus
pour leurs prisons que pour leur administration judiciaire (32 milliards de dollars contre
21), alors que les budgets de ces deux administrations étaient identiques dix ans
auparavant (autour de 7 milliards chacune).
Et cette politique d'expansion du secteur pénal
n'est pas l'apanage des républicains. Durant les cinq dernières années, alors que le
président William Clinton proclamait sa fierté d'avoir mis fin à l'ère du « big
government » et que, sous la houlette de son successeur espéré, M. Albert
Gore, la commission de réforme de l'Etat fédéral s'employait à élaguer programmes et
emplois publics, 213 nouvelles prisons étaient construites - un chiffre excluant les
établissements privés qui ont proliféré avec l'ouverture d'un lucratif marché de
l'emprisonnement privé (lire encadré). Dans le même temps, le nombre d'employés
dans les seuls pénitenciers fédéraux et d'Etat passait de 264 000 à 347 000.
De fait, selon le Bureau du recensement, la formation et l'embauche de gardiens de prison
est, de toutes les activités du gouvernement, celle qui a crû le plus vite durant la
décennie passée.
En période de pénurie fiscale, l'augmentation des
budgets et celle des personnels consacrés à l'emprisonnement n'ont été possibles qu'en
amputant les sommes vouées aux aides sociales, à la santé et à l'éducation. Les
Etats-Unis ont de facto choisi de construire pour leurs pauvres des maisons
d'arrêt et de peine plutôt que des dispensaires, des garderies et des écoles (7). Ainsi, depuis 1994, le budget annuel du California
Department of Correction (service des centres de détention d'Etat où sont consignés les
condamnés à des peines excédant un an) dépasse celui alloué aux campus de
l'Université de Californie. Le budget proposé par le gouverneur Pete Wilson en 1995
entendait d'ailleurs supprimer un millier de postes dans l'enseignement supérieur afin de
financer 3 000 emplois de gardiens. Préférence onéreuse pour les deniers publics
puisque, en Californie, un « maton » gagne 30 % de plus qu'un maître de
conférences, du fait de l'influence politique du syndicat pénitentiaire.
Si l'hyperinflation carcérale s'est accompagnée
d'une extension « latérale » du système pénal et donc d'un décuplement de
ses capacités d'encadrement et de neutralisation, il reste que ces capacités s'exercent
prioritairement sur les familles et les quartiers déshérités, et particulièrement sur
les enclaves noires des métropoles. En témoigne la quatrième tendance maîtresse de
l'évolution carcérale aux Etats-Unis : un « noircissement » continu de
la population détenue qui fait que, depuis 1989 et pour la première fois de l'histoire,
les Afro-Américains sont majoritaires au sein des établissements de détention, bien
qu'ils ne pèsent guère que 12 % de la population du pays.
Des pratiques policières discriminatoires
En 1995, les 22 millions
d'adultes noirs fournissaient un contingent de 767 000 détenus, 999 000
condamnés placés en liberté surveillée et 325 000 autres en libération
conditionnelle, un taux global de mise sous tutelle pénale de 9,4 %. Chez les Blancs
une estimation haute donne un taux de 1,9 % pour 163 millions d'adultes (8). Pour la seule incarcération, l'écart entre les
deux communautés est de 1 à 7,5 ; et il est allé en se creusant durant la
décennie passée : 528 contre 3 544 pour 100 000 adultes en 1985, 919
contre 6 926 dix ans plus tard (voir tableau ci-dessous). En probabilité
cumulée sur la durée d'une vie, un homme noir a presque une « chance » sur
trois de purger au moins un an de prison, et un hispanophone une chance sur six, contre
une chance sur ving-trois pour un Blanc.
Cette « disproportionnalité raciale »,
comme disent pudiquement les criminologues, est encore plus prononcée chez les jeunes,
premières cibles de la politique de pénalisation de la pauvreté, puisque plus du tiers
des Noirs de vingt à vingt-neuf ans sont soit incarcérés, soit sous l'autorité d'un
juge d'application des peines, soit en attente de passer devant un tribunal. Dans les
grandes villes, cette proportion dépasse largement la moitié, avec des pointes
supérieures à 80 % au coeur du ghetto. Au point que, selon un vocable emprunté de
triste mémoire à la guerre du Vietnam, on puisse décrire le fonctionnement du système
judiciaire américain comme une « mission de localisation et de destruction »
de la jeunesse noire (9).
En effet, l'écart béant entre Blancs et Noirs ne
résulte qu'en partie de la propension différente des uns et des autres à commettre
crimes et délits. Il trahit avant tout le caractère foncièrement discriminatoire des
pratiques policières, judiciaires et pénales. A preuve : les Noirs représentent
13 % des consommateurs de drogue (à peu près leur poids démographique) mais un
tiers des personnes arrêtées et les trois quarts des personnes emprisonnées pour
infraction à la législation sur les stupéfiants. Or la politique de « guerre
à la drogue » est, avec l'abandon de l'idéal de la réhabilitation et la
multiplication des dispositifs ultra- répressifs (généralisation du régime des peines
fixes et incompressibles, perpétuité automatique au troisième crime, sanctions accrues
pour les infractions à l'ordre public), l'une des causes majeures de l'augmentation de la
population carcérale (10).
En 1995, six nouveaux condamnés sur dix étaient
mis sous les verrous pour détention ou commerce de drogue. L'emprisonnement est un
domaine dans lequel les Noirs jouissent de fait d'une « promotion
différentielle » qui ne manque pas d'ironie au moment où le pays tourne le dos aux
programmes d' affirmative action censés réduire les inégalités raciales les
plus criantes dans l'accès à l'éducation et à l'emploi.
Mais, plus que le détail des chiffres, c'est la
logique profonde de ce basculement du social vers le pénal qu'il faut retenir : loin
de contredire le projet néolibéral de déréglementation et de dépérissement du
secteur public, l'ascension de l'Etat pénal américain en constitue comme le négatif -
au sens d'envers mais aussi de révélateur. Elle traduit en effet la mise en place d'une
politique de criminalisation de la misère qui est le complément indispensable de
l'imposition du salariat précaire et sous-payé ainsi que du redéploiement qui lui est
concomitant des programmes sociaux dans un sens restrictif et punitif. Au moment de son
institutionnalisation dans l'Amérique du milieu du XIXe siècle, « l'emprisonnement
était avant toute chose une méthode visant au contrôle des populations déviantes et
dépendantes » et les détenus principalement des pauvres et des immigrants
européens récemment arrivés dans le Nouveau Monde (11).
De nos jours, l'appareil carcéral américain
remplit un rôle analogue à l'égard des groupes rendus superflus ou incongrus par la
double restructuration du rapport salarial et de la charité d'Etat : les fractions
déclinantes de la classe ouvrière et les Noirs. Ce faisant, il assume une place centrale
dans le système des instruments de gouvernement de la misère, à la croisée du marché
de l'emploi déqualifié, des ghettos urbains et de services sociaux
« réformés » en vue d'appuyer la discipline du salariat dit flexible.
À l'ombre plutôt que chômeurs.
En premier lieu, le
système pénal contribue directement à réguler les segments inférieurs du marché de
l'emploi - et ce de manière infiniment plus coercitive que tous les prélèvements
sociaux et les règlements administratifs. Son effet est ici de comprimer artificiellement
le niveau du chômage en soustrayant de force des millions d'hommes à la population à la
recherche d'un emploi - et, secondairement, en faisant gonfler l'emploi dans le secteur
des biens et des services carcéraux. On estime ainsi que, durant la décennie 90, les
prisons américaines ont enlevé deux points à l'indice du chômage américain. De fait,
d'après les travaux de Bruce Western et Katherine Beckett, une fois pris en compte les
différentiels de taux d'incarcération des deux continents, et contrairement à l'idée
communément admise et activement propagée par les chantres du néolibéralisme, les
Etats-Unis ont affiché un taux de chômage supérieur à celui de l'Union européenne
pendant dix-huit des vingt années passées (12).
Bruce Western et Katherine Beckett montrent
toutefois que l'hypertrophie carcérale est un mécanisme à double détente : si
elle embellit à court terme la situation de l'emploi en amputant l'offre de travail, à
plus long terme elle ne peut que l'aggraver en rendant peu ou prou inemployables des
millions de personnes : « L'incarcération a réduit le taux de chômage
américain, mais le maintien de ce taux à un niveau bas sera tributaire de l'expansion
ininterrompue du système pénal. »
La surreprésentation massive et croissante des
Noirs à tous les paliers de l'appareil pénal éclaire d'une lumière crue la seconde
fonction qu'assume le système carcéral dans le nouveau gouvernement de la misère :
suppléer au ghetto, comme instrument d'enfermement d'une population considérée comme
déviante et dangereuse autant que superflue tant au niveau économique - les immigrés
mexicains et asiatiques sont bien plus dociles - que politique - les Noirs pauvres ne
votent guère et le centre de gravité électoral du pays s'est de toute façon déplacé
vers les banlieues blanches. L'emprisonnement n'est à cet égard que la manifestation
paroxystique de la logique d'exclusion dont le ghetto est le vecteur et le produit depuis
son origine historique.
Les institutions carcérales sont désormais en
prise directe avec les organismes et les programmes chargés d'« assister »
les populations marginales. D'un côté, la logique punitive propre au champ pénal tend
à contaminer puis à redéfinir les objectifs et les dispositifs de l'aide sociale. De
l'autre, les prisons doivent nolens volens faire face, dans l'urgence et avec les
moyens du bord, aux difficultés sociales et médicales que leur
« clientèle » n'a pu résoudre ailleurs. Enfin, les contraintes budgétaires
et la mode politique du moins d'Etat poussent à la marchandisation tant de l'assistance
sociale que de l'emprisonnement. Nombre d'Etats comme le Texas et le Tennessee consignent
d'ores et déjà une bonne part de leurs détenus dans des prisons privées et
sous-traitent à des firmes spécialisées le suivi administratif des récipiendiaires
d'aides sociales. Manière de rendre les pauvres et les criminels rentables, au niveau
idéologique autant qu'économique. On assiste ainsi à la formation d'un complexe
commercial carcéro-assistanciel visant à surveiller et à punir les populations
insoumises au nouvel ordre économique (13) selon une division du travail sexuée : sa composante carcérale s'occupe
prioritairement des hommes tandis que sa composante assistancielle exerce sa tutelle sur
les femmes et les enfants. Et la même population circule en circuit quasi fermé d'un
pôle de ce réseau à l'autre.
L'expérience américaine montre qu'on ne saurait,
pas plus aujourd'hui qu'à la fin du siècle dernier, séparer politique sociale et
politique pénale, ou, pour aller vite, marché du travail, travail social (si on peut
encore l'appeler ainsi) et prison, sans s'interdire de comprendre et l'une et l'autre (14). Car, partout où elle parvient à devenir
réalité, l'utopie néolibérale apporte dans son sillage, pour les plus démunis mais
aussi pour tous ceux qui sont appelés à tomber hors du secteur du salariat encore
protégé, non pas un surcroît de liberté, mais sa réduction, voire sa suppression. Et
elle le fait au terme d'une régression vers un paternalisme répressif d'un autre âge,
celui du capitalisme sauvage, mais augmenté cette fois d'un Etat punitif omniscient et
omnipotent.
(1) Lire le dossier « Eternel retour du
miracle américain », Le Monde diplomatique, janvier 1997, et
Loïc Wacquant, « La généralisation de l'insécurité salariale en
Amérique », Actes de la recherche en sciences sociales, décembre 1996.
(2) David Chalmers, And the Crooked Places Made
Straight : The Struggle for Social Change in the 1960s, Temple University Press,
Philadelphie, 1991, et James T.Patterson, Grand Expectations : The United States,
1945-1974, Oxford University Press, New York, 1996.
(3) Sur ces débats, lire Norval Morris, The
Future of Imprisonment, The University of Chicago Press, Chicago, 1974.
(4) Sauf indication contraire, pour toutes ces
statistiques, on s'appuie sur diverses publications du Bureau of Justice Statistics du
ministère fédéral de la justice (notamment ses rapports périodiques sur Correctional
Populations in the United States, Washington, Government Printing Office).
(5) Diana Gordon décrit fort bien cette synergie
dans The Justice Juggernaut : Fighting Street Crime, Rutgers University Press,
New Brunswick, 1991.
(6) L'Etat d'Illinois a mis sur la Toile
d'Internet la signalétique et un abrégé du casier judiciaire de tous ses détenus, de
sorte que n'importe qui peut tout savoir du passé délictueux ou criminel d'un
prisonnier, en quelques clics de souris.
(7) Voir les données compilées par Steve Gold
, Trends in State Spending, Center for the Study of the States, Rockefeller Institute
of Government, Albany (New York), 1991.
(8) Cette estimation confond en effet Blancs
« anglos » et personnes d'origine hispanophone, majorant par là
mécaniquement le taux des Blancs d'origine européenne, et cela de plus en plus fortement
dans le temps, puisque les latinos sont le groupe dont le taux d'incarcération a crû le
plus vite dans la période récente.
(9) C'est le titre du maître ouvrage de Jerome
Miller, Search and Destroy : African-American Males in the Criminal Justice
System, Cambridge University Press, Cambridge, 1997.
(10) Pour une discussion de ces divers points,
lire Loïc Wacquant, « Crime et Châtiment en Amérique de Nixon à Clinton »,
Archives de politique criminelle, Paris, no 20, printemps 1998.
(11) David Rothman, The Discovery of the
Asylum : Social Order and Disorder in the New Republic, Little, Brown, Boston,
1971, p. 239-240.
(12) Bruce Western et Katherine Beckett,
« Le système pénal et le marché du travail en Amérique », Actes de la
recherche en sciences sociales, septembre 1998 (sous presse).
(13) Loïc Wacquant, « Les pauvres en
pâture : la nouvelle politique de la misère en Amérique », Hérodote,
Paris, no 85, printemps 1997.
(14) Comme le montre David Garland dans Punishment
and Welfare : a History of Penal Strategies (Gower, Aldershot, 1985), pour le cas
paradigmatique de l'Angleterre victorienne.
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