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epuis l'été 1990, et avec une fréquence accrue
ces derniers mois, les incidents dans les cités comme les projets de loi concernant la
ville incitent les responsables politiques de tous bords, les médias et même certains
chercheurs en sciences sociales à utiliser le terme de "ghetto" pour désigner
les ensembles HLM dégradés des périphéries urbaines et, par extension et amalgame,
l'espace désormais honni de la "banlieue". Pourquoi cette soudaine vogue
d'évoquer, pour tout et pour rien, au moindre accrochage entre jeunes et policiers ou
rixe entre habitants de telle cité, Chicago et le Bronx, Harlem et le spectre du "
syndrome américain " ? (1). L'introduction
de la notion de ghetto - seule ou accolée à celle de cité pour former le néologisme
journalistique de "cité-ghetto" - étrangère au vocable politique français et
à la tradition idéologique nationale permet-elle d'éclairer un phénomène nouveau qui
aurait échappé aux observateurs les plus avertis de la scène urbaine, ou risque-t-elle
au contraire de brouiller les pistes et les analyses ? Et qu'est-ce qui donne à ces
comparaisons sauvages des quartiers ouvriers français en déclin avec la situation
d'exclusion raciale séculaire des Noirs des États-Unis dont on va voir qu'elle relève
d'une histoire et d'une logique institutionnelle tout à fait autres - leur charme
médiatique aussi puissant que soudain ?
Rappelons d'abord que le terme de ghetto, apparu à Venise en
1516 et dérivé de l'italien giudeica ou gietto désigne, à son origine
historique, dans les sociétés de l'Europe médiévale, un regroupement forcé de Juifs
dans certains quartiers par lequel l'Église entendait protéger les Chrétiens de la
contamination dont ces derniers étaient supposément porteurs (ad scandala evitanda).
Progressivement, à la ségrégation spatiale de plus en plus étroitement réglementée
au fil des XIIIe-XVIe siècles, source de surpopulation, de promiscuité, et de misère,
se superpose un écheveau de mesures discriminatoires et vexatoires, puis de restrictions
économiques qui encouragent ses habitants à se doter d'institutions spécifiques,
instruments d'entraide et sources de solidarité interne qui fonctionnent comme autant de
remparts contre l'aliénation inscrite dans la structure même de l'espace. Ainsi la Judenstadt
de Prague, tenue pour le plus grand ghetto d'Europe au XVIIIe siècle, forte de dix mille
habitants entassés dans des conditions souvent à la limite de la salubrité,
abritait-elle malgré tout un dense tissu d'entreprises et d'associations, de marchés, de
lieux de culte et de guildes, et jusqu'à son propre hôtel de ville, symbole de
l'autonomie relative et de la force communautaire de ses habitants.
L'exclusion séculaire des Noirs américains.
Le ghetto noir américain, le seul qui ait jamais vu le jour outre-Atlantique (les Blancs
de diverses extractions, Juifs compris, n'y ont jamais connu que des quartiers ethniques
au recrutement essentiellement volontaire et hétérogène et qui, même taudifiés, sont
toujours restés ouverts sur l'extérieur à la manière de sas de transition vers une
société américaine blanche composite) (2),
représente une réalisation hyperbolique de cette logique d'exclusion ethno-raciale
imposée par un pouvoir extérieur. Né dans les premières décades du siècle sous la
poussée des grandes migrations des Noirs des États du Sud, descendants des esclaves
affranchis, le ghetto est une forme urbaine spécifique qui conjugue les quatre
composantes du racisme récemment répertoriées par Michel Wieviorka - préjugé,
violence, ségrégation et discrimination - (3) et les
imbrique en une mécanique d'exclusion sans faille. Sous la pression implacable de
l'hostilité blanche, sanctionnée sinon activée par l'État, qui s'exprime par un usage
routinier de la violence physique directe scandé de loin en loin par des émeutes
raciales meutrières (4), se constitue alors dans cet espace comprimé et inférieur une
véritable ville noire dans la ville, avec ses réseaux commerciaux, ses organes de
presse, ses Églises, ses sociétés d'entraide, ses lieux de distraction, sa vie
politique et culturelle propres. Ce que résume le titre de l'ouvrage classique de St
Clair Drake et Horace Cayton: Black Metropolis (5). Cette
ville noire, fichée telle une dague en plein coeur de l'agglomération chicagoanne (de
même qu'Harlem à New York, la communauté de Brewster à Detroit ou le quartier de
Roxbury à Boston), enferme en elle-même la quasi-totalité de la vie de la communauté
afro-américaine et offre une rampe de lancement à la bourgeoisie de couleur qui croît
en une symbiose avec le ghetto. Politiciens, professions libérales et petits
entrepreneurs noirs y trouvent une base électorale et économique captive qui a autant
besoin d'eux qu'eux d'elle (6).
Sous cet angle, les cités françaises n'ont à l'évidence rien de
ghettos : elles ne sont pas des ensembles institutionnels topographiquement séparés sous
l'effet d'une contrainte ethnique ou raciale infligée par l'État. Il n'existe nulle part
en France de "ville arabe" (ou portugaise, etc.) dans la ville, dotée d'une
division du travail, d'une économie spécifiques et d'une différenciation sociale
avancée. Même la petite concentration "asiatique" du Triangle de Choisy à
Paris n'a rien d'une Chinatown à l'américaine puisqu'elle repose sur une
dissociation territoriale entre le lieu de résidence et le lieu de commerce
communautaire: son ancrage est strictement consumériste et non pas ethnique au sens
propre du terme (7).
Mais le ghetto américain lui-même s'est profondément transformé
depuis la Seconde guerre mondiale. Sous l'effet de forces économiques et politiques
convergentes admirablement analysées dans le livre controversé de William Julius Wilson,
The Declining Significance of Race, il s'est vidé de la classe moyenne noire, et
avec elles, des institutions et des activités économiques et sociales qui lui donnaient
son autonomie relative et sa force communautaire (8). Le
ghetto a également perdu la fonction économique de réservoir de main d'oeuvre bon
marché pourvoyant aux besoins de l'industrie lors des cycles de croissance qui était les
siens à l'apogée du régime fordiste du capitalisme américain, soit durant les années
1940-1965. Il est difficile aujourd'hui de lui attribuer un rôle de reproduction à coût
réduit de la force de travail surexploitée des Noirs (9) vu que
la majorité de ses habitants actuels sont exclus du marché de l'emploi salarié durant
une bonne part de leur existence. Le ghetto états-unien s'apparente-t-il pour autant aux
cités françaises ?
De vastes zones de désolation.
Lorsqu'on traverse le Bronx à New York, North Philadelphia, ou le quartier de Hough à
Cleveland, il est difficile de ne pas être interloqué par le paysage quasi lunaire que
composent les kilomètres de rues jalonnées de maisons abandonnées, de magasins
éventrés aux devantures calcinées, de terrains vagues envahis d'éboulis et de
mauvaises herbes ou jonchés d'ordures et de verre cassé. Les habitants de ces quartiers
eux-mêmes évoquent l'image d'une ville bombardée pour dépeindre leur environnement. Le
dernier commerçant blanc du quartier de Woodlawn sur le South Side de Chicago décrit la
63ème Rue, l'un des joyaux de la ville dans les années cinquante, comme suit: « On
croirait Berlin après la guerre et c'est triste. La rue est comme rasée à coups de
bombes (bombed out), à l'abandon. Elle s'est vidée aux trois quarts. C'est malheureux
mais il semble bien que la seule chose qui se développe ici, c'est les magasins de
boissons alcoolisées ». De fait, le nombre de commerces et entreprises du quartier est
passé de 700 à moins de 100 en l'espace de trente ans et le nombre des habitants a
diminué des deux tiers dans le même temps (10). Dans
certaines zones, c'est plus de la moitié des logements qui ont été détruits ou
condamnés depuis les émeutes raciales de 64-67 et qui pourrissent sur pied dans
l'indifférence générale. Il est vrai que les propriétaires "absentés"
continuent pendant des années de défalquer de leurs impôts l'amortissement de bâtisses
pourtant abandonnées et leur trouvent encore bien souvent des locataires parmi les
familles pauvres prêtes à tout pour éviter la relégation dans l'enfer des grandes
tours du public housing. Une enquête menée en 1980 à North Lawndale, un quartier
du ghetto du West Side de Chicago comptant près de 50 000 résidents et ayant perdu 40%
de son parc d'habitation de 1960, recensait 8 % de logements en bon état, 10% au bord de
l'effondrement et 40% nécessitant des réparations majeures (11). Rien de tel ne s'observe dans les banlieues françaises. On y
trouve certes des logements souvent très endommagés, à la limite de l'habitable même
par endroits, notamment dans les grands ensembles où sont reléguées de fait les
familles les plus démunies, mais aussi des bâtiments bien conçus et entretenus, sans
parler de ceux qui, depuis des années, sont en cours de réhabilitation. Mais surtout,
l'encadrement politique et administratif du bâti y interdit une politique d'abandon
semblable à celle des grandes villes américaines.
Tel quotidien français s'émeut cependant du "ghetto" de
Troyes : six bâtiments, 350 personnes vivant dans le dénuement et la dépendance
(phénomène qui, soit dit en passant, n'a rien de nouveau ni d'extrême comparé aux
bidonvilles de Nanterre ou de Champigny d'il y a trente ans), un îlot de misère en plein
centre ville, symboliquement encastré entre l'agence de l'ANPE et le Casino (12). C'est oublier qu'un ghetto américain est une enclave de
désolation urbaine et humaine qui peut dépasser par sa taille une grosse ville de
province. Il faut plus de vingt-cinq minutes en voiture pour traverser celui du West Side
de Chicago, qui contient à lui seul près de 300 000 habitants, et où tous les
phénomènes d'exclusion, réfractés à travers le prisme racial, sont comme magnifiés
à l'extrême.
Une ségrégation raciale exacerbée.
Car la relégation dans le ghetto américain ne découle pas, comme dans les cités de
l'hexagone, du seul manque cumulé de capital économique, culturel et social. C'est la couleur
de peau qui en est l'opérateur originel et principal. Le ghetto est noir (ou, dans
les villes du Sud et de la Californie, de plus en plus Latino) à 96 ou 99%. Et ses
frontières, quoique mouvantes au fur et à mesure qu'il s'étend, sont clairement
marquées : le plus souvent, on passe brusquement d'un quartier exclusivement blanc à un
quartier totalement noir sans la moindre gradation, à l'exception partielle des quartiers
"hispanisants" qui servent de plus en plus de zones-tampons entre eux. Les rares
quartiers dits "intégrés" sont le plus souvent des zones de transition en
passe d'être nouvellement ségréguées ou de petites poches où la cohabitation des
races est rendue tolérable par le recrutement social élitiste. En fait, même la
(petite) bourgeoisie de couleur qui est parvenue à s'échapper du centre des villes se
retrouve contenue à son corps défendant dans des quartiers périphériques entièrement
noirs. Aujourd'hui, New York, Los Angeles, Chicago, Détroit comptent une majorité de
"minorités" raciales, parquées dans des quartiers de couleur, et elles
continuent de se vider de leurs habitants blancs. Le recensement de 1990 montre que la
ségrégation raciale dans les grandes métropoles états-uniennes n'a pas reculé d'un
pouce depuis les années 50 : ainsi, à Chicago, plus des deux tiers des Noirs habitent
toujours dans des zones à plus de 95% noires et 99,5% des logements sociaux sont
implantés dans des quartiers noirs pauvres. De fait, la ségrégation des Noirs est si
intense et si totale, touchant toutes les dimensions possibles de la répartition spatiale
et des contacts entre les races, que des démographes ont dû créer le terme d'hyperségrégation
pour la distinguer de celle des autres groupes (14).
Rien à voir avec la situation des cités françaises où se
côtoient communément vingt à trente nationalités et où, à quelques exceptions près
(que les médias font fréquemment passer pour typiques car elles sont bien faites pour
frapper l'imagination du grand public), la majorité des habitants sont des Français
blancs natifs de l'hexagone: à 70% aux Quatre mille de La Courneuve, à 60% aux
Minguettes, à 63% dans la cité Balzac de Vitry, etc. Une analyse fine des 28
"îlots sensibles" de la région Ile-de-France révèle que le taux de ménages
d'origine maghrébine se situe en moyenne entre 10 et 20%, avec quelques pointes à 30 ou
45% sur certaines zones comme celle du "Petit Nanterre" (15). La présence de quelques poches de concentration étrangère
masque le fait que les populations immigrées présentes sur le territoire national sont
largement dispersées.
Une violence quotidienne.
Mais, enfin, n'est-on pas en droit d'évoquer Chicago quand il s'agit de la délinquance,
de la drogue et de l'insécurité qui semblent aujourd'hui régner dans les cités ? Les
habitants de ces dernières - ou leurs voisins effrayés - ne font-ils pas eux-mêmes
référence à la ville d'Al Capone en raison de la criminalité qui y prévaut ? (16). Là encore, la comparaison informée remet les choses à leur
place. En bref : 850 homicides volontaires (principalement par armes de poing) à Chicago
pour la seule année 1990, dont la grande majorité touchent des jeunes hommes noirs ; 19
600 revolvers saisis par la police (qui reconnaît en outre que c'est là "une goutte
d'eau" dans l'océan des armes de poing qui circulent dans la ville), des taux de
crimes graves qui frappent jusqu'à 1% de la population dans certains quartiers, où 5% de
la jeunesse passe devant un tribunal en l'espace d'une année. Dans moult grands
ensembles, les enfants apprennent dès l'âge de quatre à cinq ans à se jeter au sol
dès qu'ils entendent les balles siffler, ce qui arrive quotidiennement (17). Bon nombre d'adolescents de ces quartiers arrêtent leurs études
car aller dans certains collèges ou lycées revient littéralement à risquer sa vie. A
Chicago, New York ou Détroit, les écoles publiques sont équipées de portiques de
détection de métaux pour limiter le nombre d'armes circulant à l'intérieur des
établissements et on pratique la fouille au corps au passage d'un bâtiment à l'autre.
Une récente enquête auprès de 31 écoles de l'Illinois a révélé que près d'un tiers
des élèves amènent une arme en cours (dont 5% une arme à feu) dans le but d'assurer
leur sécurité. Le retentissement médiatique donné au récent meurtre de deux écoliers
(de 16 et 17 ans) abattus à coups de revolver par un camarade de classe (de 15 ans) au
lycée Jefferson de Brooklyn lors de la visite du maire de New York City ne doit pas
cacher que cet incident n'est que la face émergée d'un continent de violences
quotidiennes qui transforment le ghetto en virtuelle "zone de guerre", comme
disent parfois ses habitants (18).
De fait, une récente étude épidémiologique publiée dans le New
England Journal of Medecine montre que l'homicide volontaire est la première cause de
"surmortalité" masculine dans les ghettos : les jeunes Noirs de Harlem ont
aujourd'hui plus de chances de mourir de mort violente en résidant au coeur de New York
qu'ils n'en avaient en partant au front durant la guerre du Vietnam (19). Cette insécurité endémique est pour l'essentiel liée aux
luttes intestines entre gangs (qui n'ont absolument rien en commun avec les bandes des
banlieues parisiennes, nonobstant les efforts de ces dernières pour les copier) et à
l'explosion de l'économie illégale liée notamment au trafic de drogue (20). A East Harlem ou South Central Los Angeles, le commerce de la
cocaïne (principalement sous forme de "caillous de crack" revendus pour moins
de 100 francs, ce qui les met à la portée de toutes les bourses, et autres stupéfiants
(angel dust, Karachi, marijuana, amphétamines, etc.) est devenu le premier et
quasiment seul employeur des jeunes de couleur, autant que la principale cause de leurs
taux d'incarcération astronomiques : il y a à ce jour plus de jeunes Noirs de 19 à 25
ans en prison ou placés sous tutelle judiciaire que sur les campus universitaires
délivrant des diplômes requérant quatre ans d'études (21). Les surnoms que les habitants des quartiers noirs délabrés qui
défigurent le centre de Chicago comme une lèpre donnent à leurs "cités"
disent, mieux que toutes les statistiques, le degré de dangerosité du ghetto américain:
entre autres Wild West (le Far West), Murdertown ("Meurtreville"),
The Killing Fields ("Champ de tuerie"), The Graveyard ("Le
cimetière").
Espace racialement uniforme et stigmatisé comme tel, le ghetto
américain est en outre de plus en plus homogène socialement -un territoire-dépotoir où
se trouvent relégués tous les plus démunis, ceux dont le niveau de ressources,
matérielles et sociales, est trop bas pour pouvoir s'en échapper. Ainsi, près de la
moitié des familles du centre du Chicago noir, par exemple, ne (sur)vivent que
d'assistance sociale, de rapines et de travail irrégulier, trois adultes sur quatre
étant dépourvus d'emplois. Six ménages sur dix ne comptent officiellement pas de père
et reçoivent une assistance alimentaire sous forme de coupons ou de repas gratuits
distribués par l'Armée du Salut ou une Église de quartier (22). Au total, ce sont un tiers des 1 200 000 Noirs de la ville qui
vivent en dessous du seuil officiel (pourtant très bas) de pauvreté. L'exclusion à
cette échelle est inconnue en France ou ailleurs dans les pays avancés de l'Europe
continentale. Les quartiers HLM de banlieue et autres cités regroupent des populations
largement défavorisées mais qui restent, dans leur ensemble, relativement hétérogènes
(23). De nombreux indices mènent d'ailleurs à penser que cette
hétérogénéité même constitue l'un des principaux facteurs explicatifs des tensions
sociales et des incidents qui s'y déclenchent, puisqu'elle met en contact et en
compétition des populations qui se différencient fortement non pas tant sous l'angle
" ethnique " ou culturel que sur le plan de leur trajectoire sociale (ascendante
ou descendante, rapide ou bloquée), de leur mode d'appropriation de l'espace et des
ressources collectives (elles-mêmes bien souvent déclinantes), et de leur capacité de
mobilisation (24).
L'abandon par l'État.
Le fossé entre cité française et ghetto américain se creuse un peu plus quand on prend
en compte l'attitude de l'État et de ses services. On a déjà vu que, parfaitement
légale et même encouragée par l'État fédéral et ses relais locaux et municipaux
jusqu'à la Seconde guerre mondiale (les aides publiques au logement doivent alors
respecter la sacro-sainte "règle de communauté" qui interdit la construction
de logements risquant d'apporter la mixité entre Noirs et Blancs), la ségrégation
raciale de l'habitat et de l'école s'est maintenue, voire aggravée, depuis, par suite de
l'inaction de la force publique (25). A cela s'ajoute la
politique délibérée de retrait de la ville pratiquée par Washington depuis une
décennie et demie. Ainsi, entre 1980 et 1988, le gouvernement Reagan a-t-il diminué les
subventions au développement urbain de 68% et les fonds alloués au logement social de
70%. Retrait brutal également sur le plan social: entre 1975 et 1985, la valeur marchande
de l'aide sociale de base (allocation aux mères seules avec enfants et coupons
alimentaires) a diminué de moitié. Dans le même temps, la couverture des allocations
chômage, limitées à 40% du dernier salaire pendant 26 semaines dans le meilleur des
cas, est tombée de 50% à moins de 25% des licenciés. Et, pour enfoncer un peu plus le
clou de la misère, une politique fiscale locale éminemment régressive: dans l'État
d'Illinois, les 20% des familles les plus pauvres paient plus d'un dixième de leurs
maigres revenus en impôts locaux, soit deux fois plus que les 1% des familles les plus
riches (26).
À Chicago, l'enseignement public, perpétuellement en état
de crise budgétaire vu que ses finances sont alimentées par les taxes locales à
l'habitation, constitue un système éducatif à part, de facto réservé aux
Noirs, aux Latinos et aux pauvres : 87% des écoliers y sont issus de familles
afro-américaines ou hispanisantes et 70% de ménages vivant en dessous du seuil fédéral
de pauvreté. Seulement un élève de troisième sur 14 y parvient en terminale avec un
niveau scolaire supérieur ou égal à la moyenne nationale. Le système de santé public
de cette ville est, de l'aveu même de son directeur, "un non-système qui est au
bord de l'effondrement" (27). Dans les quartiers
du ghetto, où la mortalité infantile a augmenté régulièrement depuis le milieu des
années 70 pour dépasser par endroits les trente pour mille (plus de trois fois la
moyenne des Blancs de l'Illinois), on manque d'infirmiers, de vaccins aussi élémentaires
que ceux pour la polyo ou le tétanos, de tests de dépistage de l'hypertension ou du
diabète. Bon nombre de mères (qui plus est, bien souvent, de mères adolescentes)
accouchent sans le moindre suivi médical de leur grossesse.
On peut difficilement accuser l'État français de s'être
désintéressé de la sorte des quartiers en difficulté durant ces dix dernières
années. Du rapport Dubedout "Mieux vivre en ville" de 1982 au programme de
Développement Social des Quartiers touchant d'abord 23 sites expérimentaux, puis 148
localités, enfin 400 quartiers dits "sensibles" de par le territoire national,
les pouvoirs publics n'ont pas tourné le dos aux problèmes urbains, même s'ils en ont
largement sous-estimé l'ampleur et les causes structurelles (28). Même si, suite au grand tournant de la politique d'aide au
logement recommandée par la Commission Barre dans les années 1975 (29), l'habitat social n'a pas reçu les dotations budgétaires et le
soutien politique nécessaires, il reste qu'une famille sur cinq en France réside dans un
logement aidé par l'État alors que la part du logement subventionné aux États-Unis est
inférieure à 2% et en régression régulière. Outre qu'il représente un lieu haï et
fui avec toute la force du désespoir, le parc social américain est si mal entretenu et
dans un état de délabrement tel que le nombre des sans-abri est en augmentation
constante, en raison notamment de l'effondrement généralisé des services publics qui
affecte les quartiers noirs du centre des grandes villes (30). La politique d'abandon planifié - connu sous le nom de planned
shrinkage - des zones déshéritées des métropoles états-uniennes apparaît donc
comme l'une des principales causes de la dégradation continuée du ghetto noir
américain. Le dispositif des programmes de Développement Social des Quartiers, auquel
s'adjoint l'institution du Revenu Minimum d'Insertion, sans parler de la batterie des
programmes de soutien à l'emploi (et notamment à l'emploi des jeunes) peut être jugé
insuffisant, inadapté, inefficace- il l'est à de nombreux titres, particulièrement sur
le plan de l'accès à l'école et au travail salarié. Il a au moins le mérite d'exister
et de témoigner d'une volonté politique de chercher, fût-ce en tâtonnant, des
solutions collectives, attitude qui est aux antipodes de celle de l'État fédéral
américain.
La revendication de citoyenneté en France.
De par son histoire, son échelle, sa structure et son fonctionnement, le ghetto noir
américain n'a donc pas grand chose en commun avec les quatre cents "îlots
sensibles" auxquels l'Etat-Providence français cherche à venir en aide, avec toutes
les lenteurs et tous les gâchis administratifs que l'on sait. Certes des facteurs
apparents de convergence existent entre les deux pays. Dépopulation, concentration de
"minorités" ethniques ou immigrées, échec scolaire et chômage accentué
notamment chez les jeunes, relégation dans les secteurs les plus bas du marché du
travail et du système de formation, croissance des familles monoparentales et distorsion
de la structure démographique, stigmatisation résidentielle, déréliction et
délinquance : tous ces phénomènes tendent, de part et d'autre de l'Atlantique (ou de la
Manche), à se cumuler dans les mêmes quartiers souffrant déjà de bétonite aiguë et
d'une dégradation accélérée du bâti comme du tissu commercial. Mais là s'arrêtent
les points communs. L'intensité et l'ampleur de l'exclusion urbaine, son caractère
racial, son ancrage historique et, surtout, une logique institutionnelle et une idéologie
et des politiques profondément divergentes interdisent l'assimilation hâtive des cités
françaises à leurs cousines d'Amérique (31).
N'en déplaise aux amateurs de psychodrame collectif,
Vaulx-en-Velin, Chanteloup-les-Vignes, Mantes-la-Jolie et La Courneuve ne sont pas des
ghettos au sens que revêt le terme par référence à l'expérience de la diaspora juive
européenne ou des Noirs américains. "Blacks", "Beurs" et Blancs
issus de milieu populaire y souffrent de concert du chômage, de l'échec scolaire, de la
difficulté à se frayer une voie et une identité dans cette phase de crise profonde de
la classe ouvrière, dont le mode traditionnel de reproduction s'est trouvé brusquement
jeté au rebut de l'histoire, miné de l'intérieur comme de l'extérieur par les
transformations économiques (marché du travail), culturelles (école), sociales
(syndicalisme, démographie, logement), et politiques (essoufflement des mouvements
sociaux et écrasement de toute vision politique alternative) des vingt dernières
années. Parce que la violence urbaine, dès lors qu'elle est transmuée en problème
spécifiquement politique par l'intervention des médias, est le seul moyen de se faire
entendre dans une démocratie paralysée par la sclérose idéologique et patrimonaliste
des appareils et par l'aveuglement d'une classe politique de plus en plus coupée de la
réalité du pays qu'elle prétend servir en se servant, il ne reste aux jeunes des cités
qu'à prendre la rue et à crier leur rage. C'est ce qu'ils font, et à bon escient
jusqu'ici, si l'on en juge par les mesures modestes, mais ponctuellement significatives,
prises par le gouvernement après chaque incident amplifié par la presse et la
télévision (32). Leur révolte n'est pas celle, désespérée et négative, d'une
population ghettoïsée par fantasme ou intérêt racial qui cherche à se replier sur des
institutions "communautaires" qui n'existent pas (sinon à l'état d'embryon
dans lequel tous sont loin de se reconnaître), mais la revendication proto-politique
de dignité d'une jeunesse ouvrière, autochtone et d'origine immigrée, lassée des
fausses promesses d'un ordre social de plus en plus inégalitaire qui, sous couvert de
slogans démocratiques, voire même vaguement socialistes, les sacrifie aux impératifs de
la "modernisation" (autre mythe politique qu'il faudrait déconstruire), du
rendement et de l'auto-perpétuation politique, les excluant de fait de l'idéal qu'elle
leur enjoint d'embrasser.
Ce n'est donc pas de ghetto qu'il faut parler mais, dans l'ordre,
d'accès au travail, à l'école, au logement, soit aux moyens d'une citoyenneté
effective. De croissance des inégalités de tous ordres devant lesquelles les
technocrates de gauche comme de droite se voilent pudiquement la face en priant la
nouvelle génération des laissés pour compte de la restructuration du capitalisme
français d'attendre la prochaine période de croissance pour entamer une juste
redistribution de la richesse nationale et des chances de vie éternellement sacrifiées
sur l'autel de la rigueur. Affirmer que les cités ne sont pas des ghettos ne revient donc
pas à dire que tout va bien dans le meilleur des mondes dans le monde des banlieues, loin
de là. Le croire reviendrait à s'arracher à un raisonnement de type mythologique pour
tomber tête baissée dans un autre. C'est seulement ramener le débat sur le terrain où
il se situe dans la réalité : celui de la dualisation de la société française
provoquée par la destruction de la classe ouvrière, le travail de sape du chômage et
par le fossé économique et social qui se creuse chaque jour un peu plus entre ceux qui
disposent d'un emploi stable et d'un capital culturel certifié ou certifiable sur le
marché scolaire, et ceux qui, exclus à la fois de l'école, du marché du travail et par
conséquent de celui du logement, se trouvent rejetés dans la "galère" (33) et condamnés par avance à une manière de mort sociale à petit
feu, privés des moyens de s'exprimer publiquement, c'est-à-dire politiquement.
Abus médiatiques et profits politiques.
Alors pourquoi ce succès inséparablement politique et médiatique sans précédent du
thème du "ghetto" dans le débat public récent autour de la ville ? Outre
l'oubli de l'histoire et l'ignorance des résultats de la recherche urbaine menée ces
dernières années (34), la réponse est sans doute à chercher dans les profits
spécifiques que les uns et les autres tirent de cet abus de langage. Aux journalistes de
la presse et plus encore de la télévision, toujours avides de sujets
"spectaculaires" susceptibles de faire vendre de la copie et gagner des points
d'Audimat, le mythe des "cités-ghettos" offre un sujet à haut rendement: il
alimente un sensationnalisme bon marché, racoleur à défaut d'être voyeur, bigrement
efficace (35). Il permet, à peu de frais --un coup de voiture dans la petite
couronne parisienne, une discussion à la sortie d'un bar avec une poignée de jeunes, un
bref entretien téléphonique avec un travailleur social-- de trouver, au besoin en les
créant de toutes pièces, des sujets qui donnent toutes les garanties apparentes d'une
grande distance au quotidien de la majorité des lecteurs ou auditeurs. Repeint aux
couleurs du ghetto, le monde hier morose, banal, gris, des banlieues devient tout d'un
coup excitant, haut en couleur, en un mot : exotique. Ainsi les cités, qui hier
n'intéressaient pour ainsi dire personne, sont-elles devenues une sorte de nouveau
mystère intérieur, l'antre du sauvage urbain qui menace de se réveiller à deux pas des
pavillons petits-bourgeois.
Pour les politiques, le thème du ghetto vient à point nommé pour
meubler un discours qui tourne à vide parce qu'il est creux et pour masquer derrière une
rhétorique soit alarmiste (à droite), soit volontariste (à gauche), leur impuissance à
se dépêtrer des raisonnements technicistes et bureaucratiques qui font écran avec la
réalité. Ennemis complices, politiciens conservateurs et progressistes sont soumis en la
matière au même impératif structural d'être vus, lus et sus toujours en action. La
banlieue offre un tremplin médiatique commode où chacun peut y aller de déclarations
fracassantes (« Nous ne tolérerons pas de Bronx en France » gronde à peu de frais le
Ministre de l'Intérieur) qui, le plus souvent, ne font que révéler leur méconnaissance
du sujet. Le terme de ghetto, avec sa connotation raciale, permet enfin aux uns et aux
autres de réaliser un alliage accrocheur entre "banlieue" et
"immigration" (36), l'autre sujet "chaud" du moment.
Support d'un raisonnement de caractère quasi-magique, le raccourci
facile et passe-partout du ghetto permet de faire l'économie d'une véritable analyse,
sociologique et politique, des causes de la dégradation des grands ensembles et de
l'exclusion croissante des jeunes --et des moins jeunes-- d'une classe ouvrière
abandonnée par tous à son agonie.
1.
On pourrait donner ici de nombreuses citations.L'intervention d'Alain Touraine dans Le
Figaro du 9 octobre 1990 suffit à en livrer la teneur.Le sociologue y évoque
"le syndrome américain" et tire la sonnette d'alarme en ces termes : "Nous
allons vers une ségrégation dans sa forme la plus dure, le ghetto.(...) Vu la logique
générale d'accroissement de la ségrégation, nous pouvons nous attendre à ce que nos
grandes villes prennent le chemin de Chicago".
2.
Thomas Lee Philpott montre, dans The Slum and the Ghetto : Neighborhood Deterioration
and Middle-Class Reform, Chicago 1880-1930 (New York, Oxford University Pess, 1978,
pp.139-142 et passim) que les divers quartiers blancs de Chicago du début du siècle
étaient des enclaves polyethniques contenant en moyenne vingt-deux nationalités
différentes, les zones définies comme territoire spécifique à une "ethnie"
(en fait une nationalité) ne regroupant jamais qu'une minorité de la population totale
de cette origine -- par exemple, la "Petite Irlande" ne contenait qu'un tiers
d'Irlandais et à peine 3 % de la population de descendance irlandaise de la ville.Le
ghetto noir, par contre, était et est toujours exclusivement noir et regroupait alors
plus de 90 % de l'ensemble des habitants de couleur de Chicago.Le caractère unique du
ghetto noir est également souligné par Allan H.Spear, Black Chicago : The Making of a
Negro Ghetto, 1890-1920, Chicago, The University of Chicago Press, 1968.Pour un
panorama critique de l'école dite de la "synthèse du ghetto" dans
l'historiographie américaine contemporaine, voir Joe William Trotter, Jr,
"Afro-American Urban History : A Critique of the Literature", in Black
Milwaukee : The Making of an Industrial Proletariat, 1915-1945, Urbana, University of
Illinois Press, 1985.
3.
Michel Wieviorka, L'espace du racisme, Paris, Editions du Seuil, 1991.
4.
Sur l'omniprésence de la menace et de la violence physiques à l'encontre des Noirs
visant à préserver la séparation raciale de l'espace, notamment durant les décennies
50 et 60 pourtant réputées relativement "calmes" sous ce rapport, voir Arnold
Hirsch, "The Black Struggle for Integrated Housing in Chicago", in Melvin
G.Holli and Peter d'A.Jones (eds.), Ethnic Chicago, Grand Rapids (Michigan),
William B.Eerdman's Publishing Company, 1984, pp.380-411.
5.
St. Clair Drake and Horace R.Cayton, Black Metropolis : A Study of Negro Life in a
Northern City, New York, Harper and Row, 1962, 2 vols., édition revue et augmentée
(1ère éd. 1945). Sur la formation institutionnelle du ghetto noir américain, voir
également August Meier and Elliott Rudwick, From Plantation to Ghetto, New York,
Hill and Wang, 3e éd., 1976, et les documents réunis par Gilbert Osofsky (éd.), The
Burden of Race in the United States, New York, Harper, 1967. Sur la formation du
ghetto noir de Chicago perçu du point de vue des migrants du Sud, voir le très bel
ouvrage de James Grossman, Land of Hope : Chicago, Black Southerners and the Great
Migration, Chicago, The University of Chicago Press, 1988.
6.
Voir Spear, Black Chicago : The Making of a Negro Ghetto, 1890-1920, op.cit., chapitres
5, 6 et 10 ; Robert Weaver, The Negro Ghetto, New York, Russell and Russell, 1948.
7.
Cf. Anne Raulin, "Espace marchand et concentrations urbaines minoritaires - La petite
Asie de Paris", Cahiers internationaux de sociologie, 85, juillet-décembre
1989, pp.225-242.
8. William
Julius Wilson, The Declining Significance of Race : Blacks and Changing American
Institutions, Chicago, The University of Chicago Press, 2nd ed., 1980 (1ère éd.
1980), dont les analyses sont poursuivies dans William Julius Wilson, The Truly
Disadvantaged : The Inner City, the Underclass and Public Policy, Chicago, The
University of Chicago Press, 1987.Sur les causes politiques et économiques de la
transformation récente du ghetto, voir également Loïc J.D. Wacquant, "The Ghetto,
the State, and the New Capitalist Economy", Dissent, Automne 1989, pp. 508-520
; et, pour un bilan récent plus élargi des rapports entre race et pauvreté urbaine en
Amérique, Fred R.Harris et Roger W.Wilkins (eds.), Quiet Riots : Race and Poverty in
the United States - The Kerner Report Twenty Years Later, New York, Pantheon, 1989.
9.
Conformément à la thèse de Daniel Fusfeld et Timothy Bates dans The Political
Economy of the Ghetto, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1984.
10.
Pour une analyse plus fine, se reporter à Loïc J.D.Wacquant, "Redrawing the Urban
Color Line : The State of the Ghetto in the 1980s", in Craig Jackson Calhoun and
George Ritzer (eds.), Social Problems, New York, McGraw-Hill, 1992.
11.
Ce quartier est décrit dans Chicago Tribune, The American Millstone, Chicago,
Contemporary Books, 1986.
12.
Ce reportage de Gérard Desportes ("Troyes paie sa part de ghetto", Libération,
1-2 juin 1991, pp.21-24) vaut d'être cité car il représente le cas-limite d'un type
de journalisme à la fois alarmiste, moralisateur et désinformateur où la catégorie
fantasmatique de ghetto, renforcée par les photos misérabilistes à souhait et les
citations bien choisies pour leur saveur locale et leur capacité à choquer, donne un
éclairage apparemment nouveau à une situation dont on retrouve en fait des équivalents
structuraux à travers toute l'histoire urbaine récente du pays (e.g., le problème
pérenne de l'"avènement" moral et matériel de la classe ouvrière posé au
tournant du siècle par l'invention du "travail social") et une coloration
faussement populiste à un discours qui, en l'occurrence, est plus révélateur de la
relation du journaliste au milieu populaire qu'il est censé décrire que de l'état et de
la logique de fonctionnement spécifique de ce dernier.
14.
Doug Massey et Nancy Denton, "Hypersegregation in U.S. Metropolitan Areas : Black and
Hispanic Segregation Among Five Dimensions", Demography, 26-3, août 1989, pp.
373-391.
15.
Nicole Tabard et Lisa Aldeghi, Développement social des quartiers.Les sites concernés
et leurs caractéristiques socio-économiques, Paris, Credoc, 1988.
16.
E.g., Jean-François Laë et Numa Murard, L'argent des pauvres.La vie quotidienne en
cité de transit, Paris, Seuil, 1985, p.7.On pourrait citer maintes autres cités
surnommées par leurs habitants "Chicago" ou "le Bronx".
17.
Alex Kotlowitz, There Are No Children Here : The Story of Two Boys Growing Up in the
Other America, New York, Doubleday, 1991.On trouvera une analyse de l'insécurité
permanente qui imprègne la vie quotidienne dans le ghetto et de ses causes dans Loïc
J.D.Wacquant, "Redrawing the Urban Color Line", art. cit.
18.
Cf."Deadly Lessons : Kids and Guns - A Report from America's Classroom Killing
Grounds", Newsweek, 9 mars 1992.
19.
Selon une autre étude publiée dans ce même journal (C.McCord et H.P.Freeman,
"Excess Mortality in Harlem", New England Journal of Medicine, 322, 1990,
p.173), la chance de survie après 35 ans des jeunes Noirs de Harlem est inférieure à
celle des hommes au Bangla Desh.
20.
Le travail le plus rigoureux sur les gangs américains disponible à ce jour est sans
conteste possible l'ouvrage de Martin Sanchez-Jankowski, Islands in the Street : Gangs
in Urban American Society, Berkeley, University of California Press, 1991.Pour un
récit ethnographique sur le fonctionnement de l'économie du crack dans East Harlem à
New York, on se reportera à Philippe Bourgois, "Une nuit dans une shooting
gallery", Actes de la recherche en sciences sociales, Ndeg.94, sept. 1992
pp 59 à 78, et à Terry Williams, Cocaine Kids, Paris, Paris, Flammarion, 1990
(cf. ma discussion de cet ouvrage in Revue française de sociologie, 32-1,
janvier-mars 1991, pp.139-143).
21.
Clyde W.Franklin passe en revue les principaux facteurs de morbidité et d'exclusion qui
pèsent sur les jeunes Noirs du ghetto et leurs causes politiques dans "Surviving the
Institutional Decimation of Black Males : Causes, Consequences and Interventions", in
Harry Brod (ed.), The Making of Masculinities, Winchester, Allen and Unwin, 1987,
pp.155-169 ; voir également le numéro spécial de Youth and Society sur "La
jeunesse noire, une génération en voie de disparition ?" (ndeg.22, vol. 1,
septembre 1990).
22.
Des données plus affinées sont présentées in Loïc J.D.Wacquant et William Julius
Wilson, "The Cost of Racial and Class Exclusion in the Inner City", Annals of
the American Academy of Political and Social Science, 501, janvier 1989, pp.8-25.
23.
En donnant une image faussement monolithique du tissu social des ensembles urbains
périphériques, et en insistant plus que nécessaire sur la présence d'immigrés et de
délinquants, les
médias portent une lourde responsabilité dans l'emballement de la spirale de la
stigmatisation qui tend à faire de tout quartier périphérique un "ghetto"
symbolique.De là l'agacement, voire l'hostilité ouverte, des habitants des cités à
l'égard du traitement dont ils sont l'objet par les médias, et dont se plaignent
fréquemment les journalistes (et, de plus en plus, les chercheurs les plus acquis à la
problématique médiatique) qui vont "sur le terrain".
24.
Michel Pinçon, "Habitat et modes de vie : la cohabitation des groupes sociaux dans
un ensemble HLM", Revue française de sociologie, 22, 1981, pp.523-547.
25.
Par exemple, la loi anti-ségrégation dans le logement (Fair Housing Act) de 1968
n'a jamais reçu de décret d'application et ne stipule aucune sanction contre ceux qui y
contreviennent.Sur ce problème, consulter les travaux essentiels du politologue Gary
Orfield, e.g., "Race and the Liberal Agenda : The Loss of the Integrationist Dream,
1965-1974", in Margaret Weir, Ann Shola Orloff and Theda Skocpol (eds.), The
Politics of Social Provision in the United States, Princeton, Princeton University
Press, 1988.
26.
Wacquant, "Redrawing the Urban Color Line", op. cit.
27.
Déclaration du directeur municipal de la santé publique rapportée par le Chicago
Tribune, 16 janvier 1990, pp.1,6.
28.
Pour un bref historique administratif et un premier bilan des résultats de ce programme,
voir Noëlle Lenoir, Claire Guignard-Hamon et Nicole Smadja, Bilan/Perspectives des
contrats de plan de développement social des quartiers, Paris, Commissariat général
du plan, Paris, La Documentation française, 1989.
29.
Sur les conséquences sociales très profondes de ce changement de politique étatique,
voir le numéro des Actes de la recherche en sciences sociales consacré à
"L'économie de la maison" (mars 1991).
30.
Pour le cas de New York, Roderick Wallace, "Homelessness", Contagious
Destruction of Housing, and Municipal Service Cuts in New York City", Environment
and Planning, 21, 1989, pp.1585-1603.
31.
Pour une discussion plus détaillée de ces différences, cf.Loïc J.D.Wacquant,
"Cités françaises contre ghetto américain : de l'amalgame à la comparaison",
communication au colloque "Trois Jours sur le Racisme", Maison de Sciences de
l'Homme, Créteil, 5-7 juin 1991, Michel Wievierka ed., Racisme et modernité,
Paris, ed. La Découverte, sous presse, et "The comparative Structure and Experience
of Urban Exclusion : Race, class, and space in Chicago and Paris", in Catherine
McFate, Roger Lawson et William Julius Wilson (eds.), Urban Marginality and Public
Policy in Europe and in America, Newbury Park, Sage, 1993.
32.
Par exemple, les déblocages de crédits et l'installation en catastrophe d'équipements
sportifs au printemps 1991 en prévision d'un "été chaud" qui ne se
matérialisera pas.De même, si les jeunes "harkis", de Narbonne et d'ailleurs,
se sont lancés dans des opérations en force à l'orée de l'été 1991, ce n'est pas que
leur condition se soit brusquement aggravée, mais plutôt que c'était là une période
charnière où ils savaient pouvoir attirer les médias et, par ricochet, atteindre les
politiques.
33.Voir
les analyses de ce phénomène dans François Dubet, La galère.Jeunes en survie, Paris,
Seuil, 1987.
34.On
ne manque pas d'être frappé par la méconnaissance des pouvoirs publics des nombreux
travaux existants en sociologie urbaine, pourtant le plus souvent financés par l'Etat
lui-même (un exemple parmi d'autres : les études fouillées sur la ségrégation urbaine
menées par l'équipe d'Edmond Préteceille et Monique et Michel Pinçon au Centre de
sociologie urbaine du CNRS) mais aussi par le manque de profondeur historique du débat
public actuel.En effet, les tensions entre "ethnies" ou "races" dans
les quartiers ouvriers ne sont pas fait nouveau de notre histoire.Gérard Noiriel (Le
creuset français.Histoire de l'immigration, XIXe-XXe siècles, Paris, Editions du
Seuil, 1988, chapitre 5) nous rappelle avec à propos que bien des réactions et des
discours xénophobes qui paraissent propres aux années 1980 se retrouvent, parfois terme
à terme, lors des deux autres grandes "crises" de l'immigration, qui étaient
elles-aussi avant tout des crises économiques, celles des années 1880 et 1930.
35.
Sur l'action des "intellectuels bureaucratiques" et la logique spécifique du
champ de production journalistique dans la genèse et la construction sociale des
"problèmes de société" telle que la pauvreté ou la crise des
"banlieues", voir Patrick Champagne, "La construction de la marginalité
urbaine dans les médias français : les 'émeutes' de Vaulx-en-Velin", communication
au Colloque Pauvreté, immigrations et marginalités urbaines, Maison des sciences de
l'homme, Paris, 10-11 mai 1991.Pour une excellente analyse des effets de la couverture
médiatique des "gangs" dans les grandes villes américaines, voir Martin
Sanchez Jankowski, Islands in the Street, op. cit., chapitre 9.Dans le cas
français, voir l'étude de Christian Bachmann et Luc Basier, Mise en images d'une
banlieue ordinaire.Stigmatisations urbaines et stratégies de communication, Paris,
Syros, 1989, sur la construction médiatique de l'image de la cité des Quatre mille à La
Courneuve.
36. Ainsi
cette couverture sensationnaliste de l'Express (semaine du 5-12 juin 1991)
intitulée "Banlieue, immigration, l'état d'urgence", ou l'ignorance
sociologique des deux phénomènes, de leurs liens, qui sont loin d'être aussi étroits
et automatiques qu'un tel titre donne à penser, le dispute à l'irresponsabilité
politique dans la course effrénée aux ventes et aux abonnements. |
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