Politique |
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Le prix du reniement. |
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Traduit
de l’anglais par Cécile Koufou. |
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ien de très nouveau dans l’ascension relative de Le Pen. Ce phénomène ne saurait être expliqué par les problèmes fourre-tout de la xénophobie, de l’antisémitisme et de « la peur de l’autre », même si ces sujets nourrissent une quantité industrielle de réflexions d’essayistes médiocres rêvant de voir leurs analyses sur « l’ethnicité » et la « fragmentation » traduites dans leur pays de prédilection, les États-Unis (d’où elle sont au demeurant importées). Non, le cœur du problème réside dans la trahison de classe des « nouveaux socialistes ». En France et ailleurs en Europe. En 1988, Jean-Marie Le Pen a obtenu 4 400 000 voix au premier tour de l’élection présidentielle. Sept ans plus tard, il en recueillait 4 600 000. Dimanche 21 avril son score a atteint 4 800 000 voix. Rien de très spectaculaire là-dedans, à ceci près que Le Pen a réussi cette année à se qualifier à l’arrachée pour le second tour — pour y être écrasé. Au fond, il s’est passé peu de choses depuis cinq ans (voire vingt-cinq ans), susceptibles d’éloigner de l’extrême droite les suffrages des classes populaires qui ont vu leurs conditions de vie continuer à se dégrader et qui étaient tentées de répondre à cette dégradation en déposant ce qui à leurs yeux s’apparentait à une bombe dans l’urne, un vote Le Pen. L’ascension de l’extrême droite, engagée au début des années 80, a coïncidé avec l’abandon, par la gauche française, de sa tradition prolétarienne et de son ambition de « rupture avec le capitalisme ». Au moment où le Parti Socialiste modifiait sa doctrine et son action politique dans le but de séduire les classes moyennes éduquées — entraînant dans ce mouvement le Parti Communiste (au travers de sa participation au gouvernement), le Front National est devenu le parti qui saurait attirer le plus grand nombre d’ouvriers et de chômeurs. « Arracher ses racines pour mieux s’épanouir est le geste idiot d’un idiot » avait prévenu François Mitterrand avant de consacrer lui-même beaucoup d’énergie à ce genre de jardinage. Depuis, son reniement a été théorisé à plusieurs reprises par les socialistes, en particulier par les plus « modernes » d’entre eux : Laurent Fabius, Pierre Moscovici, Dominique Strauss-Kahn. Porte-parole du candidat Jospin et premier ministrable dans le cas où celui-ci l’aurait emporté, Dominique Strauss Kahn a ainsi expliqué que, dans un pays riche qui compte néanmoins près de trois millions de chômeurs et de quatre millions de personnes vivant officiellement en dessous du seuil de pauvreté, « il me semble que la société considère aujourd'hui qu'elle est proche de la limite en matière de redistribution ». Il a complété son « analyse » en estimant que « du groupe le plus défavorisé, on ne peut malheureusement pas toujours attendre une participation sereine à une démocratie parlementaire. Non pas qu’il se désintéresse de l’Histoire, mais ses irruptions s’y manifestent parfois dans la violence ». Le 21 avril dernier, une fraction significative de ce « groupe le plus défavorisé » a manifesté son absence de sérénité de la manière qu’on connaît… Ce qui a d’ailleurs promptement permis à M. Strauss-Kahn et à ses amis de manifester contre la montée du Front national, le pyromane affectant souvent de devenir pompier. Il y a quelques mois, le New Labour de M. Blair avait même été pris pour modèle par les socialistes français. Sitôt connue la seconde victoire consécutive des travaillistes, M. Moscovici, ministre des Affaires Européennes et proche de M. Jospin, n’exultait-il pas dans les colonnes très prolétariennes du Financial Times : « Cette victoire est une excellente nouvelle pour la gauche et pour l’Europe. M. Blair est un exemple formidable pour les autres sociaux-démocrates. » ? Formidable exemple en effet, pour la gauche, que ce porte-parole de la politique étrangère de M. George W. Bush et cet allié en Europe des orientations ultra-libérales de MM. Berlusconi et Aznar. Nous savons désormais que la France n’est pas le Royaume-Uni, et qu’une « social-démocratie » de type blairiste est rejetée, ici, par le peuple de gauche. Le système électoral à deux tours permet l’expression d’un tel rejet que le refus de la soumission au dogme néo-libéral rend naturel. Une partie massive de l’électorat a donc voté contre les « partis de gouvernement » les renvoyant dos à dos, consciente à la fois de leur désir de cibler presque exclusivement les classes moyennes, et de leur dédain affiché des ouvriers et des pauvres. En France, les électeurs de gauche et les fractions les plus prolétariennes de la société ont encore la possibilité de punir les candidats qui trahissent leurs engagements électoraux. Lionel Jospin avait pris l’engagement solennel de préserver le secteur public : « Je suis pour arrêter le programme de privatisations. » promettait-il en 1995, lors du débat l’opposant à Jacques Chirac. Il est devenu le plus grand « privatiseur » de l’histoire de France, et il s’apprêtait à laisser basculer les chemins de fer, la Poste et EDF dans ce même système de « concurrence », pour satisfaire les commissaires bruxellois chargés de faire régner l’ordre libéral. Jospin avait promis de renégocier le pacte européen de stabilité qui oblige les membres signataires à mener des politiques fiscales et monétaires orthodoxes. Il l’a signé tel quel une semaine après son arrivée à Matignon. Jospin avait promis de défendre les salaires et les emplois à temps complet. Au lieu de cela, la loi sur les 35 heures s’est révélée être une machine à flexibiliser le travail de millions d’ouvriers et d’employés, les obligeant à travailler la nuit, les week-ends, et à consentir à un gel de leur pouvoir d’achat. Aiguillonné par un Laurent Fabius qui, brillamment, avait prédit que la gauche perdrait l’élection présidentielle si elle ne baissait pas le taux de l’IRPP…, Jospin est même devenu le premier chef d’un gouvernement de l’histoire de la gauche française à avoir réduit le niveau d’imposition des classes favorisées. En septembre 1999, théorisant déjà son impuissance à conduire une politique de gauche, il déclarait : « Je ne crois pas qu’on puisse désormais administrer l’économie. Ce n’est pas par la loi, par les textes, qu’on régule l’économie. Tout le monde admet le marché ». Pourtant, la victoire de Jospin en 1997 reposait sur la promesse d’un retour au volontarisme politique, lequel devait, précisément, rompre avec cette dictature de « marché ». N’était-ce pas là l’une des leçons du mouvement social de novembre-décembre 1995 ? Parce qu’il a affirmé l’impuissance de l’État sur le front économique et social (quatre années d’une robuste croissance économique ont augmenté l’opulence des riches sans réduire le nombre et le dénuement des pauvres), Jospin a dû investir sa légitimité de gouvernant sur un autre front. Ce fut celui de la lutte contre la délinquance. En plagiant le triste slogan publicitaire de Blair : « intraitable face à la délinquance, intraitable devant ses causes », il a favorisé la consécration d’un thème traditionnel de la droite, celui du maintien de l’ordre, et ouvert ainsi une vaste zone de conquête politique à la fois à Chirac et à Le Pen. Le racolage des médias aidant, « l’insécurité » allait bientôt envahir presque toute la sphère publique. Des programmes de la télévision-poubelle aux journaux prétendument de référence (comme l’a rappelé le numéro 6 de PLPL, Le Monde a diffusé chez les kiosquiers des affichettes hurlant « Insécurité : alerte ! »), les médias ont martelé ce thème ad nauseam. À tel point qu’on aurait pu croire que la France était engloutie dans la spirale d’un effondrement de l’ordre public. Dans un pays où le chômage demeurait juché à un niveau historiquement élevé, les reportages et les articles ayant trait à « l’insécurité » furent près de dix fois plus nombreux que ceux qui abordaient la question du chômage, c'est-à-dire de la première des insécurités sociales. Le Pen n’eut pas besoin d’exposer ses idées, les médias firent campagne pour lui. En avril dernier, il s’en félicita en ces termes : « Les hommes politiques, les journalistes et les politologues parlent un langage qui n'est pas très éloigné du mien, quand il ne le recouvre pas, voire le dépasse. Je me suis normalisé puisque tout le monde parle comme moi. » Entre les deux tours, remords civique ou commerce antifasciste oblige, chacun, hommes politiques, journalistes et politologues, se mobilisa contre la « peste brune »…
La vague de désespoir qui a balayé la France au moment
du premier tour n’a pas été effacée par l’échec
cuisant de Le Pen au second tour. Au sein des couches les plus défavorisées
de la société, celles qui ont été abandonnées
par les partis de gauche, ce désespoir demeure. Tant qu’en
France et en Europe, la gauche continuera à ignorer le développement
de l’insécurité sociale engendré par la déréglementation
économique, elle méritera de perdre le pouvoir. Un « pouvoir »
auquel elle a cessé de croire. |
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