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18/10/1900 Écrit Le Fiasco de 1900. [Article publié,
le 5 novembre, dans le premier numéro des Partisans, périodique d'une stupidité
ingénieuse qui n'a pu vivre que quelques mois.]
E FIASCO DE
1900.
Je suis fort
mécontent de cette dernière année du siècle (1). Elle pouvait et devait être l'année du Chambardement. Elle n'en
laisse pas même l'espoir à l'année future qui sera décidément la première du
Vingtième Siècle.
Que sont devenues les promesses de l'an passé ? Où est
l'Affaire ? Où sont les Cochonneries de Zola ? Où sont les saletés de tant
d'autres et cette galopante infamie de tout le monde qui parut invocatrice des plus
foisonnantes catastrophes ?...
Ayant assidûment et si raisonnablement prophétisé, depuis quelques ans la
déconfiture, j'ai le droit d'être révolté.
C'est l'effet d'une science de garçon de bains ou de commis voyageur pour
les tricots, de croire qu'un prophète est nécessairement, exclusivement, voyant des
choses futures.
Le Prophète est surtout une Voix pour faire descendre la Justice.
Si on veut absolument, avec ou sans ironie, donner ce nom magnifique à un
vociférateur de ma sorte, il faut accepter aussitôt cette conséquence, tirée de la
nature même des choses, que ses cris auront le pouvoir d'accélérer les dévastations.
C'est en ce sens qu'il sera prophète, autant qu'on peut l'être, sans l'inspiration
divine, exactement comme un homme de prière est un thaumaturge.
En somme,
quelles furent mes prédictions, c'est-à-dire les intimes vux mon cur, mes
véhéments et profonds désirs d'une épilepsie de la terre, qui me faisaient claquer des
dents et trembler de la tête aux pieds, comme un pubescent excité ?
Simplement ceci. L'Exposition tant admirée des Hanotaux et si digne de
l'être, ne devant pas avoir lieu, parce que Paris et les peuples auraient assez à faire
de raidir leurs bras contre la mort.
Ensuite la désolation de l'Angleterre, l'accroupissement sur elle de tous
les démons, et cette salope d'entre les nations avilies poussant des sanglots et des
hurlements à faire hésiter le globe.
Enfin et pour tout dire, la décisive et définitive dégoûtation d'une
cafarde société chrétienne, cherchant, à quatre pattes, ses trésors perdus dans les
excréments populaires et jusque dans les vomissements des chiens. Voilà.
Où est le multiple crétin sorti de je ne sais quelle charogneuse friction
de viandes bourgeoises, qui osera dire que de tels postulats étaient excessifs ?
Qu'il vienne à moi, ce résidu sébacé des plus sales éjaculations de la
bureaucratie ou du notariat et qu'enfin je sache par lui ce qu'il faut penser de
l'inconcevable désobéissance des Choses !
Mais à quoi bon ? Ne me suffit-il pas de songer à cet avorton qui
explique tout, en effet, d'une manière si épouvantablement satisfaisante !
L'avachissement contemporain en est à opérer des miracles. Oui, des miracles, je ne
crains pas de le proclamer.
Alors que l'Exposition se préparait et que toutes les vanités, toutes les
sottises, toutes les concupiscences de l'univers se précipitaient vers Paris devenu plus
cochon, plus bête, plus inane qu'il ne fut jamais, si quelque chose parut certain,
ce fut la Culbute, la Dégringolade inouïe.
Dans le même temps, les quatre ou cinq parties du monde mugissaient contre
l'Angleterre dont l'ignominie étonne les océans et décourage toute hyperbole. Comment
ne pas être vingt fois sûr des cataractes d'immondices qui semblaient ne plus attendre
qu'un signe, une imperceptible nutation d'un Capitaine des Anges pour submerger cette
partie honteuse de la terre ?
Après cela, je le demande, quel eût pu être le destin - chacun recevant
ainsi son salaire de ladite société prétendue chrétienne, scélérate presque
infinie qui accable de sa turpitude la conscience humaine et fait douter du
Rédempteur ?
Assurément et mille fois assurément, ô invisibles Seigneurs, anges et
ministres de la Grâce, mais voici :
Il n'y a plus d'hommes et la banqueroute est à ce point qu'il n'y a même
plus de canailles, ce qui ne s'était jamais vu.
L'espèce est si prodigieusement dégénérée qu'elle ne peut plus produire
que des honnêtes gens, c'est-à-dire des monstres mous et collants, également incapables
des abominations du vice et des abominations de la vertu !
Dans ce gâchis effroyable que voulez-vous que fasse un pauvre
prophète ?
Rien du tout,
n'est-ce pas ? Sinon de fuir et de se cacher parmi les humbles animaux, en implorant
de Dieu, avec des averses de pleurs, le cataclysme suave d'où sortira sa
Magnificence.
(1) Beaucoup de gens
ont voulu et veulent encore que 1900 soit la première année du XXe siècle. Preuve sans
réplique de l'affaiblissement universel de la raison. C'est comme si on disait que le
créancier de cent francs doit s'estimer payé intégralement, aussitôt que son débiteur
lui en a compté quatre-vingt-dix-neuf. |
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