15.

De ces points de vue qui nous séparent, chacun, en se perdant dans une fosse commune, devient l’unique point de mire de la dégénérescence humaine mais, malheureusement pour l’homme et heureusement pour sa descendance, la volonté de grandir pour voir ce qui va advenir est trop forte. L’être humain, voyeur de son état, s’entiche de ce qui est couché, interdit. L’occidental, en plus, est pourri de création. La bête de cirque. Plus de création, tout au plus la nervosité de faire croître, voilà la morale nouvelle, la morale sempiternelle. Plus de guérison (que des miracles), plus de recherche de la lucidité à travers la temporalité. Et Dieu dans tout cela ? Et son contraire ? Moi. Dieu ne s’en fait pas, il est en dehors.

Nietzsche, à moins que ce ne fût quelque autre, fit dire à Zarathoustra : « Vous les solitaires d’aujourd’hui, vous qui vous retirez à l’écart, vous serez un peuple un jour : de vous qui vous êtes vous-même élus, naîtra un peuple élu, — et de lui naîtra le surhumain ». Non. Pas de grégarisme primaire, pas de puritanisme. Lorsque l’on veut pourfendre la morale abjecte, il faut la rejeter dans son ensemble, ne rien oublier. Ne craignons pas de disparaître, d’entrevoir notre inanité ni même d’entre-apercevoir notre contingence irréelle. Ne cherchons pas à atteindre l’absolu car, depuis la chute où il nous est apparu avec la mort et les sexes (le vit dans le con et le con recouvrant le vit), il nous est inaccessible et chaque tentative est l’occasion de rappeler l’homme à son rang : celui de l’infiniment immanent et non du transcendant. Solitaire d’aujourd’hui, solitaire demain tu demeureras et tu en mourras. Si tu devais copuler avec autrui, ne serait-ce qu’en hypocrisie, tu désespérerais de ta vie encore plus qu’aujourd’hui. Solitaire, le seul ennemi qu’il te faille tuer c’est toi-même. Dorian Gray en voulant tuer l’image de son existence jubilatoire s’est suicidé ; moi, si jamais je devais tuer un ennemi, je lui ferais craindre pour sa vie avant de m’enfoncer le poignard — l’arme de mon chantage abject — en pleine poitrine. J’en souffre déjà ; j’en doute déjà. Non ceci n’est pas un appel au suicide ni à l’homicide mais juste un geste de fraternité envers une humanité en proie à l’exaltation de la transcendance contrariée et refoulée. Ces phrases ne sont celles ni d’un moraliste ni d’un contorsionniste mais bien d’un faible de corps et d’esprit qui, coûte que coûte, cherche à construire une morale de remplacement à celle de ses points de vue espacés en tout.

L’homme DOIT rompre d’avec son état gravide.

Sous la finitude se cache la décrépitude.

Et Dieu dans tout cela ? Ce Dieu qui m’obsède, ce Dieu qui n’a jamais eu de nom, ce Dieu qui ne s’est jamais laissé accaparer et qui pourtant s’est sacrifié les bras en croix et les pieds transpercés par un seul coup. Ce Dieu — ce fils de Dieu — mort puis ressuscité le troisième jour d’entre les morts, toujours vivants.

Dieu est mort ; les dieux sont morts en effet. Mais Dieu est vivant pour l’éternité dans les morts. Ainsi soit-il.

  

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