Contemporains |
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Favoris (Les) Jean-Pierre Bobillot |
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NOTES SUR LA
POÉSIE |
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Tombeau d'Isidore Ducasse lieux communs. Collection Vents Contraires, Voix Éditions, 4e trim.99. Éditions Voix, 35, rue de la Victoire, 57 950 Montigny-les-Metz (80 francs + 10 de port).Extraits choisis par Sébastien Morlighem sur une version du tapuscrit antérieure et pouvant donc présenter des différences à celle publiée . |
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« Tout écrivain complet aboutit à un humoriste. » (Stéphane Mallarmé) I
à Michel Lecamp Pour Daniel Pommereulle, la pensée était cette boîte de peinture jaune, hérissée de lames de rasoir * : imprenable comme la «vue» (celle de Roussel, sans doute) , mais toujours comme la «vue» non refermée sur elle-même, car nayant lieu (« RIEN... NAURA EU LIEU... QUE LE LIEU ») que dans une relation particulière, infiniment recommencée, tranchante, avec qui, daventure, à ses risques & périls, la manipule : une pragmatique. « Qui sy frotte sy pique », cest la pensée &, dans son plus trans-chant, lécriture. Sy pique, à vif, au vif, au jeu mais ny reste pas muet : «Aïe !», sécrie le manipulateur, ponctuant son commentaire. ** Comment se taire, en effet ? Na-t-elle pas « les moyens de vous faire parler » ? Voire, «les extrêmes» ? Plus obstinément elle se tait, senveloppant au besoin de tout un apparat dhermétisme ou jouant de la frénésie, plus immanquablement elle appelle la glose, & la glotte. En prendre acte, en faire actes, en même temps que, de manière délibérément (un tantinet) provocatrice, dun certain manque de piquant mais, qui na pas le piquant du Manque ! caractéristique de la «littérature» actuelle : les lames émoussées, ça se vendrait donc mieux ?... *
Dentrée de jeu, donc (à entendre au sens des «jeux de langage» de
Wittgenstein), le caractère anonyme &, plus encore sans doute, directement collectif
de lécriture & de la signature, malgré tout, qui en scelle (cèle ?) le geste
producteur il sagit de donner un nom propre, singulier, à
cet « agencement collectif dénonciation » comme diraient Gilles Deleuze
& Félix Guattari , la présence dune «préface», dune
«prose» ouvertement polémique qui, en quelque sorte, le redouble glose
& incitation à la glose ou, aussi bien, à lécriture qui appellera la glose
& ainsi de suite (incidemment...) , enfin une référence constante à tel ou
tel moment, ou constante, de lhistoire (& non : de la tradition
!) des «avant-gardes» de ce siècle singulièrement, Dada, Duchamp,
certaines expérimentations surréalistes situent sans trop
dambiguïté (avec quoi lon ne confondra pas ouverture & polysémie) le
propos & sa portée : le propos, justement (& à juste titre), se soucie
de sa propre portée (musique, maïeutique, ombre, balistique, cabalistique : je
ne développe pas !) ; lécriture &, singulièrement, lécriture poétique,
en sa lettre même qui en travaille & en fragmente, à linfini, le
dire, inclut, non seulement une théorie de lécriture, mais de la réception,
de sa propre réception («Répliques») : celle-ci étant partie intégrante,
& non pur épiphénomène, de celle-là. On se propose, donc, de repartir, non à «zéro» (ce nest pas de lordre, toujours mythique, de la Création, ou de la Structure, du «Livre» ne se soutenant que de soi-même, etc.), mais (cest de lordre ou du désordre de la co-production, voire, de la copro-duction!) du commencement (du comment ce men, du comme ensemencement, du commence ment...) qui prend la forme tranchante & tranchée car, cest bien dune guerre quil sagit, quon sagite : de «tenir» quelques (pro)positions de laphorisme ou, au plus, de lapologue. Non par primitivisme un peu court cest une archéologie du savoir de la littérature : ce quelle sait, ce savoir quelle est, ce ça voir... Len-jeu en est tout aussi clair (en littérature aussi, il y a une «ligne claire»...) : le diagnostic manque de piquant, cest dit : ni esprit, ni cactus ! étant des plus accablants, il faut un traitement de choc. Électre aux chocs, maltraitement de textes. Doù : un goût certain pour le calembour tmèses, métagrammes & catachrèses... La littérature est donc mise en demeure de renoncer une bonne fois à cette grande tentation qui, depuis toujours, la guette au tournant, aux méandres de chaque «belle» ou pas phrase : le côté arts déco ratés, hypostase bien maladroite & suicidaire de sa fonction/fiction esthétique arbitrairement coupée des autres sphères dactivité ou de connaissance & qui la prive de toute visée pratique, morale & cognitive au profit (pour qui ?) dun embaumement prématuré («lettre morte»). Il sagit au contraire, elle sagite, de «faire signe» (lexpression, comme dit le populaire, « dit bien ce quelle veut dire » : «signe», comme «lamour», change de sens quand il est précédé de «faire»...) : le vieux conflit esthétique/sémantique que ne règleront jamais les pseudo-solutions de type systématique (structuraliste, etc.) pas plus que les pseudo-solutions de type essentialiste (dévoilements, retours à...) sy dynamise &, à la fin, sy abolit («bibelot...») dans une visée ouvertement dialectique & pragmatique dont témoigne, de manière immédiate (brute) & non sans une certaine violence, une volonté de provoquer, précisément, le rire, létonnement, une crispation ou, plus fondamentalement, la glose... On est bien loin, alors, & malgré certaines apparences brièveté, prosaïsme parfois, présence du «blanc» (à ne pas confondre avec quelque mystique «Silence») , dune poésie qui, telle quelle est aujourdhui encore pratiquée, savoue impraticable par absence ou refus de tout souci de type pragmatique enfermée quelle est dans une confiance aveugle en quelque occulte pouvoir des mots, laissés (pour ainsi dire) « à eux-mêmes » : Mallarmé perverti... * Ainsi, la forme dénoncé a priori la plus univoque &, authentiquement, la plus rigoureuse (algébrique) trivialement : la moins «poétique»... voisine-t-elle, en bonne intelligence, avec des textes où le travail formel, «poétique», est plus ouvertement affirmé, & assumé. Cest quon voudrait, par là, révéler, dans une mise en place qui élève le paradoxe, lincongru, le hue & le dia, le tohu & le bohu à la hauteur dune poétique, des ressources insoupçonnées dans lordre ou, donc, plutôt, le désordre de léquivoque ou de la manipulation minimale ouvrant, contre toute «attente», la langue aux mots, à leur «grammaire» & à ceux qui en usent, appels dair où devrait se vérifier la «portée» de lintuition dont se soutiennent, dans leur insuffisance même, ces quelques «notes» : il sagit quelle (la langue, la poésie) sagite & que, par là, elle agisse... Le sujet de la poésie est le sujet de la science, cest-à-dire : le sujet de laction.
II MANIFESTE ...poésie «brute», moi ? Déjà, «poésie», hein... Mais, soit : Dire ce que ça peut être (peut-être) une «poésie» qui soit «brute» ? ou, ce quil y aurait de «brut» dans cette «poésie» que jécris, «moi» ? Une poésie du peu dêtre... tout le contraire du «peu de réalité» ! Le reproche quon me fait, le plus souvent, ce serait plutôt linverse : celui dintellectualité ; ou, linverse encore : de maniérisme. Lintellect, oui, jassume : écrire, en quelque sorte il faut que ça sorte , pour être en intelligence avec moi, avec ça, avec vous. La manière, oui, jassume aussi rien à voir avec les manies : le style, cest linhumain ; à condition, toutefois, dy ajouter : la matière. Un matérialisme maniériste, oui, ça mirait assez. Et : «en intelligence» avec... lEnnemi ! Brute peut-être cette poésie-là qui sapparente aux graffiti, ou en procède ; mais brute aussi sans doute brutale en ce quelle doute , une écriture plus «travaillée», ou «réfléchie» (aux deux sens de ces deux mots), plus froide, qui éludant les pièges dun lénifiant lyrisme, ou dun illusoire réalisme restitue au plus près la native vigueur, les énergies intactes... Brr (la peur), ut (la clé)... Poésie-bruits (la langue)... Brute, au sens du champagne plutôt que du pétrole. Brute de langue. Brute de décoffrage. Brute de délanguage. Poésie architecte. Les rythmes... III à François Huglo
Isidore Ducasse, dans sa lettre ou, plus exactement (ce qui devrait, jy songe, entrer aussi en ligne de compte), dans le post-scriptum à sa lettre à Verbckhoven ou, plus vraisemblablement, à Poulet-Malassis, du 21 février 1870, écrivait : Dans un ouvrage que je porterai à Lacroix aux 1ers jours de Mars, je prends à part les plus belles poésies de Lamartine, de Victor Hugo, dAlfred de Musset, de Byron et de Baudelaire, et je les corrige dans le sens de lespoir ; jindique comment il aurait fallu faire. Ce programme, tant que jen restais à une conception encore vaguelettement «romantique» (cest-à-dire, paradoxalement, à la fois «nihiliste» &, au sens hegelien, «positive») de lécriture &, singulièrement (cest-à-dire, plus que toute autre &, à la fois, en ce quelle sautorise de la singularité, élevée au rang dabsolu, dun «sujet» : l«auteur» & son «moi»...), de lécriture poétique hâtivement assimilée (cest-à-dire, réduite) au «lyrisme» rapporté (tout aussi hâtivement, & de manière réductrice) à un individu (ah ! «le Poëte»...), ce programme, donc, il est clair que je ne pouvais guère lentendre, & moins encore, en mesurer, en apprécier leffet proprement révolutionnaire (moins critique que, plus radicalement, de démontage, de rupture), comme il est clair, hélas ! quaujourdhui encore malgré le grand déblayage accompli par les «avant-gardes» de naguère , quaujourdhui plus que jamais à la faveur de la prétendue liquidation de ces «avant-gardes» &, pire ! de leur principe, même , bien peu en mesurent tant linsurmontable drôlerie que limplacable justesse théorique. * Cest quil ne sagit pas, seulement, ni même essentiellement, dattenter au prestige de valeurs un peu trop sûres & sures... , il sagit, vaste ambition ! de reprendre, là où les Romantiques lavaient noyé sous les visqueuses déclamations dune « culture du moi » qui (pour détourner quelque peu le propos de Rrose Sélavy) risque fort, au bout des contes, de nêtre que « moiteur du cul », le principe même de la modernité, qui est aussi bien celui, selon Rimbaud, de la «poésie objective» celle qui sera, comme on sait, «en avant» de «laction» & qui (cest la même pensée) ne peut «avoir pour but» que «la vérité pratique». Aussi ajoute-t-il, coupant dans le même mouvement les branches mortes &, ô combien ! encombrantes le mythe Maldoror nest pas près de séteindre... de ce qui fut, juge-t-il, sa propre compromission (sous un autre nom) avec ce Romantisme-là : « Jy corrige en même temps 6 pièces des plus mauvaises de mon sacré bouquin. » Or, cela sappellera, précisément : Poésies, «publication permanente» & ne ressemblant à rien (quoique «plagiant», nécessairement, tout !) de ce quon sattendait alors &, ne nous leurrons pas, de ce quon sattend toujours le plus souvent la poésie séteindra, que le mythe de la Poésie nen aura pas fini de se repaître de ce charnier natal & fatal & dy prendre la pose du Maudit, aux rodomontades dÊtre... à trouver, sous une telle dénomination. Autrement dit : la poésie, ce nest pas ce que vous & moi, trop préoccupés de notre pauvre individu, ou de notre idéal du moi, avions imaginé que cétait ; il est temps de renverser la vapeur ou ce quil en reste, je donne le branle, entrez-y, il ny a ni commencement ni fin ! Ou encore : La poésie doit être faite par tous. Non par un. Rien à voir avec la démagogie. Rien à voir avec lexaltation de chaque subjectivité singulière : « Tics, tics, et tics. » La poésie serait, dans le langage, cet espace jamais sûr où sexpérimente le seul véritable principe démocratique : celui dune co-énonciation intersubjective. Seule voie qui permette un jour au poète dêtre « plus utile quaucun citoyen de sa tribu ». Ainsi le «Livre» de Mallarmé, qui, « autant quon sen sépare comme auteur », « a lieu tout seul : fait, étant. » Mais lIdéalisme sy conjugue avec lhypostase de la négativité, doù ce nihilisme aristocratique qui caractérise, justement, lauteur tant celui des Divagations, que des Poésies, & du Coup de Dés. Ainsi le «chantier» de Rimbaud qui (cest le plus vraisemblable & tout semble lattester), sil na jamais eu vent ni de Lautréamont ni de Ducasse & lon sait avec quelle constance, lui & Mallarmé signorèrent , nen énonce & nen met pas moins en uvre le même programme : Si les vieux imbéciles navaient pas trouvé du Moi que la signification fausse, nous naurions pas à balayer ces millions de squelettes qui, depuis un temps infini, ont accumulé les produits de leur intelligence borgnesse, en sen clamant les auteurs ! Ce quil vise, donc, cest le refus, ou lincapacité, des «Modernes» revêtus des oripeaux romantiques, parnassiens ou positivistes, à prendre en compte cette dimension de négativité dont nulle authentique Modernité ne saurait faire léconomie (ni un absolu : nihilisme !), sauf à sitôt se convertir en une risible & obscurantiste hypostase de ce «Moi» qui, en tant que subjectivité critique, devrait précisément en être la cheville ouvrière ; &, à linstar de Ducasse, il naura de cesse de «plagier» (lui aussi !), de détourner, de «corriger» donc au sens, inclusivement, de «donner une raclée»... , les uvres des uns & des autres le cas le plus célèbre &, cependant, le plus ambigu, étant celui de Banville dans Ce quon dit au poète à propos de fleurs (pour lequel il recourt à une «autre» signature : « Alcide Bava. Pardon »), mais aussi : Léon Dierx dans Le bateau ivre, Balzac (Le père Goriot) dans Une saison, & maint autre à travers les pièces de l«Album zutique» (également signées d«autres noms», cest-à-dire, à chaque fois, en loccurrence, dun des noms de «lautre»...), à condition, toutefois, quon sabstienne de les marginaliser ou, purement & simplement, de les ignorer (comme on le fait, encore aujourdhui ! un peu trop souvent, montrant par là combien on se trompe sur le projet de Rimbaud comme sur celui de Ducasse) , sans oublier, non plus, de «corriger» quelques-uns de ses propres poèmes, ce quil fait, explicitement, dans Une saison coupant, lui aussi, les branches mortes de ce qui fut, juge-t-il, sa propre compromission avec «la vieillerie poétique»... * Voilà donc, soyons clair, ce quest pour nous la poésie si une pareille chose peut véritablement exister (cest-à-dire, se soutenir, se justifier). En un mot : la poésie, cest la critique &, en tout premier lieu, la critique de la poésie.
* On peut voir cela dans La collectionneuse, film dÉric Rohmer, 1966, « Deuxième prologue : Daniel ». ** Dans le film, Alain Jouffroy. |
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