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Charles Bösersach

JOURNAL MALADE

 
 

Semaine du 8 au 15 avril 2001.

 
 

  

 8 avril (2001)

Il ne s’agit que de fiction, écrira l’auteur faussement retors (pensera le lecteur farouche). Il s’agit d’abord d’écriture.
J’ai décidé de tenir ce journal pour en finir (si cela est possible). Comprenne qui pourra.

 Dimanche (8.IV)

Je devrais commencer par le commencement. Impossible. Il n’y a jamais de commencement. L’idée même de commencement est une imposture. Chaque jour avec J. est une épreuve qui nous oppose et nous distille, aussi, d’amères satisfactions. Ainsi ce dimanche. Pluvieux. Maison silencieuse (nous ne nous parlons guère). Difficulté d’évoquer sans « vulgarité » une existence qui, elle…
(Certaines filles, comme J., savent si bien se cambrer… Certaines femmes, aurais-je dû écrire.)

Elle cherche, semble-t-il, le moyen de ma rédemption (« Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle, gna gna gna. »). Idiote. Présomptueuse. Elle sait pourtant bien comment cela se termine la plupart du temps. Piéta modique (mais ce corps !). Non pas « le corps de J. » mais « J., corps », comme on décline son identité. Corps complaisant (ainsi tôt ce matin je la réveille je la secoue elle s’assoit dans la pénombre je lui dis simplement ce que d’elle j’attends, ce qu’elle a deviné (« tiens », ou « vas-y », je ne sais plus). Elle répond qu’elle a sommeil mais elle ouvre la bouche. La bouche, pas les yeux. Ensuite elle se recouche. Elle avale, se rendort. Je la borde gentiment. La pluie n’a pas cessé).
C’est écrire qui me fait bander. Le reste… fugace. La pluie, le vent, les bruits de la maison. Tristesse habituelle. Je passe mon temps à essayer d’arranger les choses. J. aussi, à sa manière.
Les pies, dehors.

 Lundi (9. avril).

J’ai trop écrit hier. Cela ne convient pas. Ne me convient pas.

J. est en vacances. Je lui ai demandé de sortir, d’aller faire des courses, n’importe quoi. Je veux rester tranquille, traîner.
(elle est blonde en ce moment, porte des vêtements bleus un rouge à lèvres fatigant ; « délicieusement vulgaire » ; mais elle ne comprend rien)
« Fascinée par mon goût pour la pornographie ». Goût ? Fascinée ?
Je l’encourage ( ?) à écrire de petits poèmes crus. J’insiste. Elle me les lit avec un air idiot.

« Mon cul
Ton doigt dans mon cul
Tes doigts
doigts dans mon cul
Dans la rue
cul dans la rue (du cul)
Seule avec
Tes doigts (dans la rue) »

etc. Elle écrit ça pour me faire plaisir. Ça me ressemble trop. Narquois, je lui ai suggéré d’envoyer ces poèmes à des revues (il y en a des pages). Ecrit par une femme, lui dis-je, ce type de « texte » plaît. Il arrive que je prononce les guillemets.
Elle ne veut pas. Elle craint des ennuis. L’idée d’utiliser un pseudonyme ne la rassure pas. Je garde le cahier : « si tu n'es pas sage, je le montrerai à tes amis ». Elle rit nerveusement. Elle est toujours très sage. Elle n’a pas d’amis.

Musique triste : enterrement (photographies).

J. gagne assez bien sa vie et je ne coûte pas cher. Je reste à la maison, je regarde par la fenêtre. Temps maussade. Je fais le malin. Je vieillis assez mal.

 MA.10.

Ecrire aux cabinets (j’aime le niais connoté de ce mot. si j’avais mis « écrire aux toilettes » ou « écrire aux WC » c’eut été plus digne sûrement ; plus froid aussi). Pendant que je trace ces lignes, l’étron se détache de moi. Adulte enfin, il va vivre sa vie.

J. vaque dans l’appartement. Je l’évite. Je reste longtemps — aux cabinets. Bruits de plomberie, sonnerie de téléphone dans un appartement voisin, souffle organique de la « VMC ». Ventilation Mécanique Contrôlée ! Tout un poème.
Je voulais évoquer notre rencontre (une fastidieuse « lecture de poésie » à laquelle je n’avais pas eu la dignité de me soustraire), son pantalon en cuir noir, son visage joliment discordant (dissymétrique). Ses cheveux courts. Beau cul, bonnes manières. Pas d’alliance.
Nous nous sommes plu, semble-t-il (et pour être bien sûr je fis mon numéro, qu’elle ne soit pas déçue — dans un sens ou dans l’autre). Déplaisant ; antipathique. Hantipathique.
Nous marmonnions à l’écart au milieu des artistes. Les livres.
Alors, vous m’invitez à dîner ? ai-je conclu, bougon, presqu’agressif. Ah oui, elle m’invita. (Me souvenir de la soirée. D’elle. Pas jolie, peut-être belle. Cheveux : très courts oui ; châtain clair ? ces yeux (qu’elle a toujours, tellement fatigués) et ces mains, fines, délicates. Elle prétendait « connaître mon travail ».)
Dans le taxi qui nous ramenait chez elle après un dîner médiocre bien arrosé, mains fines délicates, elle me branlait à travers le pantalon. D’écrire ces lignes m'émeut encore. M’émeut : me fait bander. Je l’avais incitée (j’avais pris sa main comme par mégarde, j’avais caressé distraitement ses doigts quelques secondes puis — à-Dieu-vat — l’avait posée sur ma braguette). Elle sourit (je mens : dans l’obscurité je ne pouvais le voir ; je l’ai sentie sourire) et se montra aimable. Et si la course avait duré quelques minutes de plus, j’aurais joui, comme cela. Comme un puceau (mais pourquoi cette idée ?). Je sus ensuite que le vin blanc y était pour beaucoup.

[…] cette jeune femme que « j’écoute », absent (ce n’est pas J.), raconter ses malheurs… simplement je me demande combien de temps pour l’amener au lit, persuadée que je l’aime, animée par ce désir que suscite mon désir supposé… je la désire oh oui ; en pièces détachées. Sa bouche, ses cheveux. Ses jambes peut-être. Le reste de son corps échappe à mon entendement.

Il devrait y avoir, partout, des endroits pour écrire.

Oui oui, dis-je à l’homme qui cherchait à m’entraîner, je cherche des choses un peu spéciales : la mort, la viande ; la tristesse. Le repos. Découragé, il hochait la tête et s’éloignait de moi.

Le sexe, c’est un orteil (ou bien une fille toute maigre avec un sourire triste entre les mains de quelques brutes).

Parfois je dors très peu. Parfois je dors beaucoup. C’est toujours convenable (je n’aime pas le bruit).

« Tu es vraiment un obsédé », me dit-elle parfois. C’est inexact. Cela ne m’obsède pas. C’est là, simplement. Tout le temps. Dès qu’on ouvre les yeux, dès que l’on tend la main.

 me 11.

Bavard, bavard. Le bavard silencieux. Décevant.
Corps lourd. Les os qui restent droit, la chair s’affaisse tout autour.

Vieux con, vieux con, vieux con (moi, moi, moi).

Voyage en bus. Agréable inconfort. Voisinage agréablement déplaisant. Cargaison. J. est à la maison. Elle « m’attend ». Je ne sais pas si j’ai faim ou si j’ai la nausée. Ventre, sous-vêtements « sexy ». Lamentable. Types en civil avec des talkies-walkies. C’est toujours la guerre, toujours.

 jeudi 12

À la recherche de quelque chose : « viens jouer au docteur ».Cela m’agace. Elle est assise sagement. A travers le chemisier j’écoute le cœur, les bronches. J’examine ses yeux, sa bouche. Elle tire la langue. Dans la minute qui suit elle est sur le lit, main dans l’ombre de ses jambes ouvertes. Ma main. Son sourire hésitant (elle sait que je n’aime pas ça).
Rien d’autre (comme souvent). Je préfère… (Strindberg, Journal occulte).
Grève des bus, dégoût du jour. Je traîne dehors, par les rues. Peu d’argent en poche. Peu de tentations (hormis toutes ces femmes qui arpentent la planète).
J’ai, comme dit le cuistre, « tout ce qu’il faut à la maison » : une jeune femme complaisante qui a — presque — vingt ans de moins que moi. Mais la tristesse — que cela ne chasse pas, ne dissipe pas. Que cela entretient (quand on croyait que ce serait remède), attise.

Clavicules, côtes, crêtes iliaques.
Journal, gageure idiote. Je ne tiendrai pas deux mois.

Chercher à se punir des erreurs que nous n’avons pas commises.

 V13

J’ai très vite compris que J., contrairement à d’autres (Y. par exemple — penser à noter plus tard l’histoire de Y.), n’était pas idiote. Rien à voir avec sa profession : je connais des idiotes plus diplômées. Mais par sa manière, son style. Complice de ce qui la tourmente.
— Très vite je me suis mis à la frapper. J’ai vu sa gratitude. Je m’y emploie régulièrement. Protocole implicite également : pas de marques visibles. Ainsi : peu de gifles. De petits rites méchants rappelant l’école primaire (une école primaire inventée de toutes pièces) ou les jeux secrets d’enfants perturbés : coups de règle sur les doigts, piqûres, strangulation, boissons infectes, allumettes. Paysage de fantaisie.
Comme je le souhaite, elle fait le ménage presque nue (gants en caoutchouc rose). Elle s’approche, je la touche. Main au cul. Elle se dérobe. Je hausse le ton. A quatre pattes sur le carrelage avec sa serpillière malpropre. Je suis derrière elle. Je me. Puis je pisse sur elle. Sur le sol. Qu’elle nettoie. Je retourne me coucher (il fait froid : cette manie d’aérer). Pas un récit de rêve.

 S14

Je voulais simplement te regarder dormir. Tu n’es pas morte n’est-ce pas ?
Le désir s’amenuise. La jouissance… Je lui demande de « s’occuper de ses affaires ». Je lui demande également de se masturber. A table, ou près de moi lorsque j’écris. Ou lorsqu’elle est à son bureau et qu’elle travaille.
À la maison, quand il ne fait pas trop froid, ne porter qu’un tee-shirt. Pas trop long. Lorsqu’il fait froid je lui demande de faire un effort. Elle finit par se lamenter (pour une vilaine robe de chambre).
J’aime lorsqu’elle est malade, moiteur du lit, moiteur dans le lit, son corps mou presque mort. Je prends sa température. Lui fais avaler des tisanes douteuses. Lui porte gentiment une bouillotte bien trop chaude. Notre numéro est au point. Elle n’ira pas travailler. Elle dort. Elle abuse des somnifères. Alcool également. Lorsqu’elle a ce sommeil déplaisant je peux jouer. Ce jeu s’appelle « abuser d’elle sans la réveiller ». Je peux la remuer doucement, la tourner. Je peux mettre les doigts et même la prendre gentiment. Si je l’encule : elle se réveille. Perdu. Mais un doigt dans le cul, un seul doigt introduit lentement (doucereusement), ne la réveille pas. Ça se termine souvent sur son visage/sa poitrine. Ses cheveux. Les draps. Cela non plus ne la réveille pas.

 D15

Se laver les mains avec de la merde…

Temps mitigé, humeur mitigée. Froid. Nous regardons la télé. Je la caresse machinalement. Comme si je lui devais ça.
Comment lutter contre l’ennui qui, très vite, s’installe dès qu’on atteint une sorte d’équilibre ? On ne peut pas tout démolir tout le temps. Pas moi. Même pas moi. J’aimerais dormir davantage. C’est impossible. Même dormir m’ennuie. Dès que j’ouvre un œil, dès que la tête se met en route, je m’insupporte, dans ce lit, dans cet état d’hébétude. J. dort scrupuleusement. Je l’envie.
Cœur qui bat, bite tendue dans le slip trop petit (c’est mieux que le contraire). Cœur qui bat, couteau, large couteau toujours là, posé à portée de la main.
Pour qu’il y ait humiliation il ne faut pas consentement. De là mes contrariétés. Mes aigreurs.
— J., obéissante, est contrariante.

   

 

Charles Bösersach

Charles Bösersach  
    

  
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