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L.16.IV
Y.
(avant que je n’oublie). Jeune, à peine dix-huit ans. Je logeais
dans un minuscule meublé près du fleuve.
Nous
étions quelques-uns à traîner et à boire,
le soir, sur les quais. Je parlais peu.
Insensiblement,
comme obéissant à une règle immuable, des couples
se formaient. Bientôt, il ne resta plus qu’elle et moi. Il était
tard, le froid venait. La fatigue. Elle n’avait nulle part où
aller (parents abominables : elle préférait
mourir — ça n’avait pas marché). J’ai proposé
qu’elle dorme chez moi.
Y.
était jolie parce qu’elle était jeune. Elle semblait
décidée, elle n’était que butée. Ce soir-là
elle me raconta ses quelques aventures. Je jouis juste après
l’avoir pénétrée, gardant assez d’ardeur pourtant,
pour lui faire plaisir — à défaut de réellement
faire illusion. J’avais à cette époque, entre autres
choses, un problème d’alcool.
J’aimais
son odeur un peu lourde, sa mollesse. Sa complaisance (bêtise).
Chaque geste plus osé était pour elle preuve d’amour.
Elle raffolait des chanteurs de variété. Elle aimait
dessiner des fleurs et écrire son prénom sur les papiers
qui jonchaient mon bureau.
Les
autres semblaient contents de nous savoir ensemble.
Souvent
nous nous couchions tôt. J’étais bien avec elle. Simplifié.
(Langue
dans mon oreille, dans mes narines. Impatient ou distrait — et
fébrile parfois —, je jouissais trop vite. Elle ne se
plaignait pas. Parfois je la prenais le matin, avant qu’elle parte
travailler (obscur emploi ingrat qui l’obligeait à se lever
bien avant l’aube) ; j’étais alors bien plus vaillant
(l’envie de pisser). Elle me disait son plaisir de manière
simple (« elle est grosse » ou « elle
est dure »). Malgré l’agacement que cela m’inspirait,
ces petites phrases avaient le don de me flatter. Elle partait sans
se laver. Sans déjeuner.
M17
J.
mal réveillée. Moi pis. Elle reprend le travail. Elle
se plaint. Quand je lui dis de penser à la bite de ses étudiants,
elle a ce sourire biais que je n’aime pas tellement.
(complément
du lundi) Y. avait la poitrine un peu molle. Y. ne m’a jamais sucé.
Le lui ai fait au moins une fois. Elle s’est persuadée qu’il
s’agissait d’une preuve d’amour irréfutable. J’en fus assez
fâché. Je passai le reste de la soirée à
tâcher de lui expliquer les nuances qui distinguent l’amour
et le désir. Elle pleurait. Nous nous couchâmes tard
et je la pris avec une sorte de méchanceté veule qui
lui valut de jouir bien plus qu’à l’accoutumée. Elle
parla ensuite de mariage, de suicide ; je faisais semblant
de dormir. Les jours suivants je me fis inviter ici ou là.
Il m’arriva également de ne pas répondre quand on sonnait
à ma porte, le soir. J’en concevais cette sorte de mauvaise
conscience dont on tire également de délicieuses satisfactions.
Enfin, je « sortis »avec N. (une grande blonde
délicate dont je me demande encore ce qu’elle pouvait me trouver — hormis
cet « humour »détestable, peut-être).
Y. disparut de ma vie. J’ai oublié son visage, son corps. Pas
son odeur ni certaines de ses caresses. Sa langue surtout : vorace,
chaude ; liquide. Capiteuse mollesse.
J.
me reproche parfois ces amours lointaines. Comme une infidélité.
Je ne lui dois rien. Je lui rappelle que je ne lui dois rien (ce qui
est faux). Je prétends même avoir eu quelques aventures
depuis que nous sommes ensemble (ce qui est vrai).
J’ai
souvent envie de tuer quelqu'un. Personne en particulier. Juste « histoire
de tuer » (rien de sanglant, qu’on se rassure). Je
crois que je ferais un assez bon étrangleur. Althusser nous
a montré, aussi (l’avenir dure longtemps) comme il est
facile d’occire sa prochaine (penser aussi à Buffet Froid).
Je crois que tuer apaise les nerfs. On doit se sentir vide, calme.
Songeur.
Y. :
j’aurais pu la tuer (ou tout au moins la laisser mourir).
Enfin,
je me prends à songer à l’holocauste : ces
millions de spermatozoïdes gâchés chaque jour…
Il
y avait une manifestation rassemblant peu de monde mais aux fenêtres
des jeunes femmes, poitrines arrogantes moulées dans des pulls
aux couleurs éclatantes. Partout, toutes les fenêtres
de la ville. Une musique tonitruante, le soleil, des banderoles. Non,
j’exagère.
Lire
— un livre. Ecouter — la radio. Plaisanter avec une femme.
J.
et moi sommes rentrés tôt, chacun de son côté.
Dans la cuisine, je n’ai cessé de l’importuner (elle préparait
« quelque chose de bon »).
—
Moi aussi j’ai quelque chose de bon répétais-je (très
agaçant).
Couteau
dans la cuisine, à portée de la main. Le fera-t-elle
un jour ?
— Si
tu me mets dehors je viendrai crever sur ton paillasson. Je ferai…
(pas d’idée). On bien je te tuerai.
Pas
envie de manger. Le soir, je me couche avec ma bite. J. dort profondément.
Me
18.
Bruit
de l’ascenseur. Les gens s’amusent (eux !). De toute façon,
je n’ai pas envie de m’amuser. Je ne sais pas m’amuser. « Faire
la fête ». Comme on « fait »
l’Italie, la Corse. Comme on fait — le con.
Mes
amis (?) me prétendent aigri. Cela me plaît beaucoup.
J.
a prévenu qu’elle rentrerait tard (réunion). Du temps
pour penser à H. Ou à L. H. habitait dans un mauvais
quartier. Infirmière. Algérienne. Superbe et vorace.
Et tellement sensible. Elle n’avait semble-t-il pas souvent
l’occasion de baiser ; la première fois j’étais
soûl et elle a abusé. J’ai adoré son « je
te suce si tu veux », et le bruit de sa blouse et l’odeur
un peu âcre de mon appartement (j’en eus rarement de plus sale),
le tout mêlé composant un ensemble parfait.
L.,
que je vois encore. Disponible (parfois). Je crois que J. ne lui plairait
pas : trop compliquée. Avec L., l’amour est un exercice
aussi naturel que boire ou manger. J’exècre cette façon
de penser mais — sa poitrine menue, ses petites fesses
musclées, son rire, ses cheveux. Sa manière évidente
de se déshabiller. Moi je suis le vieil homme malin qui sait
faire semblant d’écouter, faire semblant de comprendre (ses
petites histoires de jeune femme ordinaire). Je sais aussi faire d’agréable
cunnilinctus (semble-t-il). Je pense à Kundera (l’odeur dans
les cheveux — mais moi j’ai bientôt le crâne
comme l’os). J’ai tellement de plaisir à la sucer que bien
souvent je me répands sur le drap. Elle s’en fiche. Mais pas
du genre à y mettre les doigts (comme J.).
J.
m’exaspère : elle me connaît trop bien, m’utilise
contre elle.
J19
Mouvement
pendulaire entre l’ascèse et l’abjection. Et pas grand chose
(d’intéressant) entre les deux : l’habituel bric-à-brac
du quotidien. Comment sortir de là (pas pour « faire
le malin », juste réduire cet ennui, cette fatigue,
intimement liés aux conditions même de l’existence).
Se sortir de l’ordinaire.
Les
femmes, la littérature y peuvent quelque chose. C’est un réel
crétin celui qui écrivit « la chair est triste
hélas et j’ai lu tous les livres ».
Autant
de culs autant de livres. Autant de bouches, d'yeux, de nuques, d’oreilles,
de chevelures. Il n'y a pas que mauvais livres — il n'y
a pas que vilaines femmes…
20
avril
Un
vieux monsieur qui ne sait pas le temps qu’il fait. Se soucier de
régler le chauffage (s’il fait trop froid elle ne sera
pas détendue ; trop chaud : soupçonneuse
et mal à l’aise).
Mondes
en vrac : je suis capable d’échanger des propos brillants
avec des personnages importants. Mais à quoi bon ? « Ayez
surtout le souci de séparer les choses du bruit qu’elles font »
(Sénèque). Soin : j’aurais écrit soin
plutôt que souci.
Elle voulait savoir si j’écrivais sur elle.
Proverbe
Ch.B. : « Même quand tu suces un chien tu dois
être élégante ».
Si
une femme te courtise, laisse-toi faire. Amène-la à
la maison. Tu diras que je suis ton père.
Larges
aréoles : je n’aime pas.
La
chair est triste et j'ai lu tous les livres : impuissant
et prétentieux.
S.
En
juillet l’an dernier cette soirée dont J. prétend ne
pas se souvenir. Deux amis étaient venus dîner.
J’ai préparé des cocktails assez forts avec deux comprimés
de somnifère dissouts dans le verre de J. Nous bûmes
assez. Vers le milieu du repas je vis que J. commençait de
chavirer. Elle bafouillait, riait bizarrement. La conversation avait
également pris un tour particulier. Nous parlions de sexe.
Nous parlions des femmes qui s’offrent à des groupes d’hommes.
Je dis combien j’aimerais que J. se livre, au moins une fois, à
ce genre d’exercice — exercice de style — pour
me faire plaisir. Mais tout ceci paraissait théorique, complaisant…
Nous
étions passé au salon. J. s’était endormie, affalée
sans grâce sur le canapé. Nous bûmes encore. Brusquement,
je proposai à mes amis de profiter de l’état
de J. pour s’amuser un peu. Ils ne répondirent pas.
Gêne. J’écartai les jambes de J., pris sa main et la
glissai dans sa culotte. Je lui demandai de sa masturber. Elle bâilla,
soupira, marmonna quelque chose que nous ne comprîmes pas. Elle
bavait un peu. Elle semblait ne pas entendre. Je répétai
ma demande et J. finit par s’exécuter maladroitement. Je fis
alors glisser les bretelles de sa robe, dénudant sa poitrine.
—
Je ne crois pas qu’elle sera en état de vous sucer, dis-je
à mes deux invités qui restaient silencieux, et c’est
dommage car elle fait ça très bien… Pour le reste, elle
est à vous…
Sa
main remuait faiblement sous le coton blanc, c’était réellement
émouvant. Pathétique.
Je
retirai sa culotte ; elle continua de se caresser. Embarrassés,
les deux hommes se levèrent, me saluèrent à peine
et prirent congé rapidement.
D.
Musique
au loin. Froid. J. dort. Elle a passé une mauvaise nuit (fièvre,
insomnie). Aucun désir. Je la tourne et la retourne comme un
poids mort. Elle tousse. Je pense à ses bronches (ses seins).
En elle quand elle tousse : très plaisant.
Ne
plus toucher à rien (fausse délicatesse).
Elle
a des périodes d’insomnie (moi pas). J’ai fini par la convaincre,
lorsqu’elle ne dort pas et qu’elle s’ennuie, de me tâter : si
je suis en érection, qu’elle me branle, me suce… Ainsi il m’est
arrivé quelques fois d’être réveillé par
la chaude caresse de la bouche de J., le poids de sa tête sur
mon ventre, sa main posée sur mes [testicules /couilles]. Alors
je lui gratte la nuque. Elle avale ; elle finit par s’endormir.
Aimer
et être aimé était plus doux pour moi si je jouissais
aussi du corps de mon amante. Ainsi donc, je souillais la source de
l'amitié avec les ordures de la concupiscence, et j'assombrissais
sa blancheur des infernales vapeurs du désir, tandis que, dégoûtant
et grossier, j'aspirais à passer, dans l'excès de ma
vanité, pour distingué et raffiné. Ainsi, je
m'abîmai dans l'amour où je désirais être
pris. Mon Dieu, ma miséricorde, de combien de fiel, et avec
quelle bonté, vous avez aspergé la douceur que j'y ressentais,
car je fus aimé, et je parvins en cachette au nœud de la jouissance,
et j'étais entravé, heureux, dans de dangereuses étreintes,
finissant par être frappé par les verges de fer brûlantes
de la jalousie, des soupçons, des angoisses, des colères
et des disputes. — Saint-Augustin, Les Confessions, livre troisième.
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