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D29
Régulièrement,
J. me redit qu’elle m’aime. Généralement je ne
réponds pas, mais j’apprécie, j’apprécie.
Bander
en regardant une femme qui ne se sait pas regardée : viol.
Je
consomme de l’Internet (aux dépens de J.). Pornographie. Combien
de femmes engagées (impliquées ?) dans ce
processus ? Pourquoi ? Besoin d’argent pour beaucoup, probablement.
Mais — les autres ? Comment penser cette image de soi
partout démultipliée, offerte à tous : parents,
amis, voisins, employeur… ? C’est très curieux.
Ainsi,
des femmes, du corps des femmes, de ce qu’on peut en faire,
on connaît tout, et au delà. Pourtant on ne se lasse
pas. Quelque chose à voir avec la collection, les preuves.
J’avais écrit à ce propos, naguère, ceci :
Cela
fait des années que je rassemble des preuves. Je n’ai pas
vu passer le temps. Je ne pourrai jamais — personne ne pourra
jamais — rassembler toutes les preuves. L’ensemble des
preuves pourrait former une évidence. Mais l’ensemble
des preuves serait aussi l’ensemble du monde. Ça ne prouverait
rien. Outre que je ne sais pas exactement ce que sont supposées
prouver ces preuves. Je ne rassemble pas : je collectionne.
Si je n’avais pas le dégoût d’utiliser une image, une
métaphore éculée je dirais quelque chose comme
« je collectionne les grains de sable du désert ».
Je collectionne les déserts. Comme si mon épiderme
s’épaississait et s’insensibilisait à mesure que croît
ma « collection ». Je suis aujourd’hui incapable d’en
donner le nombre. Pas plus que la nature. Des — âmes?
Des bribes de « vérité », contradictoires,
incohérentes. J’examine les preuves, et, souvent, je les
détruis. Elles ne servent à rien.
Je
n’ai pas tenu de journal. Au début je trouvais qu’il n’y
avait rien qui méritât la peine d’être noté.
Et aujourd’hui je croule sous les « idées ». Elle
me navrent, m’envahissent. Nuisent.
La
machine à fabriquer des preuves fonctionne en permanence.
Seul je ne pourrai jamais en venir à bout. Combien
sont-ils (elles), de l’autre côté, qui inlassablement
fabriquent des preuves? Pas même de fausses preuves (à
quoi bon?) non : c’est le nombre, la quantité,
le volume qui garantissent leur impunité. Tout simplement.
À
l’exception des sites « gays », les hommes, le corps des
hommes est souvent réduit à un organe, un instrument.
Les représentations de « lesbiennes » sont à
l’évidence des artefacts destinés aux hommes. (Tout
ceci sans intérêt.)
L30
Les
femmes ; classement simple : oui/non. Et les « presque »
(revenir ultérieurement sur cet aspect).
Ce
« débat » avec E. à propos de Fanny Ardent.
Pas du tout son « type ». Moi oui. Comment débattre ?
Cette espèce de grand cheval, dit-il en substance. Je
n’avais pas envisagé cette dimension. Belle brune, visage osseux,
beaucoup d’allure, beau rire [à revoir].
Ma.1
Dans
la « pornographie » jamais (ou très rarement) de
ces détails triviaux que sont morve, sueur, cérumen,
excréments (tous les rapports anaux sont, par ex., étonnamment,
aseptisés, « propres ») — la seule « humeur »
consacrée étant le sperme à tel point, comme
chacun sait, qu’il est devenu, dans ce type de représentation,
inimaginable d’envisager éjaculer dans sa partenaire.
La
salive me semble sous-exploitée.
Me.2
jf
rencontrée « en ville » alors que je livrais un miroir
ou un pare-brise. elle vient d’arriver en ville, a un accent délicieux
et d’emblée je projette de « la sauter ». mais il
faudra y mettre les formes et se montrer galant. elle cherche l’endroit
où elle va dormir. c’est près d’un café d’étudiants.
elle aussi est étudiante : elle vient finir ses études
de lettres en france. au bistrot : difficulté à
trouver de la place — et ses manières, à elle,
quant au choix d’une place. enfin, nous nous décidons pour
une petite table en fer au pied d’une falaise, près de la grange
où elle va passer la nuit. finalement, elle ne commande rien,
ne veut rien. nous parlons de ses études. J’ai justement des
exemplaires de baudelaire, rimbaud, verlaine, annotés par les
auteurs… je la sens étrange, distante. et son accent m’intrigue.
enfin, j’apprends qu’elle est indienne et membre de la secte moon.
je m’en vais. je ne la reverrai pas.
J3
mes
parents sont vivants tous les deux et j’habite chez eux. je me lève
au milieu de la nuit (soif) mais les réfrigérateurs
sont pleins de choses inutiles et périmées. mon père,
sérieux, préoccupé, veut me parler mais je l’évite.
je cherche du jus d’orange. plus tard, au sommet d’un immeuble : réunion
de famille (atmosphère mafieuse) où je retrouve des
cousins, des oncles et tantes perdus de vue depuis très longtemps.
très vite je m'éprends d’une de mes cousines (c’est
J.) et nous nous éloignons pour forniquer sur un talus au bord
de la route. mais on n’y arrive pas : elle est trop sèche,
serrée. elle finit par me sucer tandis que nous regardons de
vieilles et rares photographies de « bondage » en noir et
blanc. enfin, je lui demande poliment l’autorisation d’éjaculer
sur son visage. elle acquiesce. mais « cela » ressemble
à de grosses gouttes de yaourt et je suis vexé. nous
retrouvons les autres. des voitures ne cessent de passer.
V
Quelques
jours sans se voir (elle est en « vacances ») : le
souvenir de L. s’estompe, fait défaut. Le souvenir de son visage
(pas souvenir, non, justement : laborieuse reconstruction)
est volatil : tantôt plus belle, tantôt plus
laide qu’elle n’est réellement (mais j’ai déjà
dit que son corps, lui, est sans défaut, n’étaient quelques
cicatrices à la fois disgracieuses et piquantes — et
ce corps est remémoré sans peine). Ses traits se recomposent
sans cesse, proposent des dizaines de visages successifs, apparemment
semblables, plausibles, mais variant du charme au grotesque, de la
laideur à la méchanceté — à
l’abstraction… Comme un nuage que l’on contemple que l’on scrute qui
s’effiloche sans qu’on sache comment. C’est pourquoi le souvenir également
de ses fesses est bien plus rassurant (le souvenir de cette expression
à propos d’une fille bien faite mais laide de figure : « il
faut lui mettre la tête dans un sac » (ou, variante : « sous
l’oreiller »)).
Sam.5
Depuis
que nous sommes ensemble, J. a perdu au moins dix kilos. Je
lui compte les côtes ; c’est très plaisant.
Crête iliaque, clavicules, omoplates, je l’ai déjà
dit… Tout ce qui relève de la contrainte la trouble « exquisément ».
—
Comment sont tes parents ?
—
Gentils. Et les tiens ? tu n’en parles jamais…
Je
me tais, je prends un air peiné, presque tragique (alors que
je m’en fous). Bien sûr, J. s’en veut de sa question.
Elle
se souvient de ses rêveries, de ses fantasmes de gamine : petite
armée qu’elle conduisait irrémédiablement au
désastre. Puis elle était prisonnière et on
la torturait.
—
Ils te violaient ?
—
Non. Enfin… pas vraiment…
—
C'est-à-dire ?
—
Je n’avais pas une idée très claire de ce dont il s’agissait.
C’était plutôt une atmosphère, des sons. Ils m’attachaient
avec des sangles en cuir (je lui fais remarquer qu’elle affectionne
toujours cette matière — je sais, fait-elle,
un peu sèche).
Pour
nos jeux j’ai choisi des bracelets en Velcro, très pratiques.
Mais son collier d’étranglement est en cuir, large, épais,
avec ce mécanisme ingénieux qui permet de serrer petit
à petit — et de desserrer rapidement. Il a coûté
fort cher.
D.6
Je
fais semblant d’être jaloux de ses collègues, de ses
rencontres — rares. (Moi-même je ne sors guère.)
Et ceci la conforte dans cette idée d’une sorte d’amour partagé.
H.
me dit « j’aime bien ton journal, mais on n’y croit pas une seconde ».
Tant mieux : je vais enfin pouvoir dire la vérité !
Depuis
que je suis avec J. j’ai acquis une force. Lorsque je cherche à
séduire une (autre) femme j’ai cet atout extraordinaire : le
cul de J., ses jambes maigres, sa bouche, son sourire, ses abandons — quelle
que soit l’issue de ma tentative, j’ai cette force, cette réserve
qui me permettent de ne jamais « être perdant ».
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