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Charles Bösersach

JOURNAL MALADE

 
 

Semaine du 29 avril au 6 mai 2001.

 
 

   

 D29

Régulièrement, J. me redit qu’elle m’aime. Généralement je ne réponds pas, mais j’apprécie, j’apprécie.

Bander en regardant une femme qui ne se sait pas regardée : viol.

Je consomme de l’Internet (aux dépens de J.). Pornographie. Combien de femmes engagées (impliquées ?) dans ce processus ? Pourquoi ? Besoin d’argent pour beaucoup, probablement. Mais — les autres ? Comment penser cette image de soi partout démultipliée, offerte à tous : parents, amis, voisins, employeur… ? C’est très curieux.
Ainsi, des femmes, du corps des femmes, de ce qu’on peut en faire, on connaît tout, et au delà. Pourtant on ne se lasse pas. Quelque chose à voir avec la collection, les preuves. J’avais écrit à ce propos, naguère, ceci :

Cela fait des années que je rassemble des preuves. Je n’ai pas vu passer le temps. Je ne pourrai jamais — personne ne pourra jamais — rassembler toutes les preuves. L’ensemble des preuves pourrait former une évidence. Mais l’ensemble des preuves serait aussi l’ensemble du monde. Ça ne prouverait rien. Outre que je ne sais pas exactement ce que sont supposées prouver ces preuves. Je ne rassemble pas : je collectionne. Si je n’avais pas le dégoût d’utiliser une image, une métaphore éculée je dirais quelque chose comme « je collectionne les grains de sable du désert ». Je collectionne les déserts. Comme si mon épiderme s’épaississait et s’insensibilisait à mesure que croît ma « collection ». Je suis aujourd’hui incapable d’en donner le nombre. Pas plus que la nature. Des — âmes? Des bribes de « vérité », contradictoires, incohérentes. J’examine les preuves, et, souvent, je les détruis. Elles ne servent à rien.
Je n’ai pas tenu de journal. Au début je trouvais qu’il n’y avait rien qui méritât la peine d’être noté. Et aujourd’hui je croule sous les « idées ». Elle me navrent, m’envahissent. Nuisent.
La machine à fabriquer des preuves fonctionne en permanence. Seul je ne pourrai jamais en venir à bout. Combien sont-ils (elles), de l’autre côté, qui inlassablement fabriquent des preuves? Pas même de fausses preuves (à quoi bon?) non : c’est le nombre, la quantité, le volume qui garantissent leur impunité. Tout simplement.

À l’exception des sites « gays », les hommes, le corps des hommes est souvent réduit à un organe, un instrument. Les représentations de « lesbiennes » sont à l’évidence des artefacts destinés aux hommes. (Tout ceci sans intérêt.)

 L30

Les femmes ; classement simple : oui/non. Et les « presque » (revenir ultérieurement sur cet aspect).

Ce « débat » avec E. à propos de Fanny Ardent. Pas du tout son « type ». Moi oui. Comment débattre ? Cette espèce de grand cheval, dit-il en substance. Je n’avais pas envisagé cette dimension. Belle brune, visage osseux, beaucoup d’allure, beau rire [à revoir].

 Ma.1

Dans la « pornographie » jamais (ou très rarement) de ces détails triviaux que sont morve, sueur, cérumen, excréments (tous les rapports anaux sont, par ex., étonnamment, aseptisés, « propres ») — la seule « humeur » consacrée étant le sperme à tel point, comme chacun sait, qu’il est devenu, dans ce type de représentation, inimaginable d’envisager éjaculer dans sa partenaire.

La salive me semble sous-exploitée.

 Me.2

jf rencontrée « en ville » alors que je livrais un miroir ou un pare-brise. elle vient d’arriver en ville, a un accent délicieux et d’emblée je projette de « la sauter ». mais il faudra y mettre les formes et se montrer galant. elle cherche l’endroit où elle va dormir. c’est près d’un café d’étudiants. elle aussi est étudiante : elle vient finir ses études de lettres en france. au bistrot : difficulté à trouver de la place — et ses manières, à elle, quant au choix d’une place. enfin, nous nous décidons pour une petite table en fer au pied d’une falaise, près de la grange où elle va passer la nuit. finalement, elle ne commande rien, ne veut rien. nous parlons de ses études. J’ai justement des exemplaires de baudelaire, rimbaud, verlaine, annotés par les auteurs… je la sens étrange, distante. et son accent m’intrigue. enfin, j’apprends qu’elle est indienne et membre de la secte moon. je m’en vais. je ne la reverrai pas.

 J3

mes parents sont vivants tous les deux et j’habite chez eux. je me lève au milieu de la nuit (soif) mais les réfrigérateurs sont pleins de choses inutiles et périmées. mon père, sérieux, préoccupé, veut me parler mais je l’évite. je cherche du jus d’orange. plus tard, au sommet d’un immeuble : réunion de famille (atmosphère mafieuse) où je retrouve des cousins, des oncles et tantes perdus de vue depuis très longtemps. très vite je m'éprends d’une de mes cousines (c’est J.) et nous nous éloignons pour forniquer sur un talus au bord de la route. mais on n’y arrive pas : elle est trop sèche, serrée. elle finit par me sucer tandis que nous regardons de vieilles et rares photographies de « bondage » en noir et blanc. enfin, je lui demande poliment l’autorisation d’éjaculer sur son visage. elle acquiesce. mais « cela » ressemble à de grosses gouttes de yaourt et je suis vexé. nous retrouvons les autres. des voitures ne cessent de passer.

 V

Quelques jours sans se voir (elle est en « vacances ») : le souvenir de L. s’estompe, fait défaut. Le souvenir de son visage (pas souvenir, non, justement : laborieuse reconstruction) est volatil : tantôt plus belle, tantôt plus laide qu’elle n’est réellement (mais j’ai déjà dit que son corps, lui, est sans défaut, n’étaient quelques cicatrices à la fois disgracieuses et piquantes — et ce corps est remémoré sans peine). Ses traits se recomposent sans cesse, proposent des dizaines de visages successifs, apparemment semblables, plausibles, mais variant du charme au grotesque, de la laideur à la méchanceté — à l’abstraction… Comme un nuage que l’on contemple que l’on scrute qui s’effiloche sans qu’on sache comment. C’est pourquoi le souvenir également de ses fesses est bien plus rassurant (le souvenir de cette expression à propos d’une fille bien faite mais laide de figure : « il faut lui mettre la tête dans un sac » (ou, variante : « sous l’oreiller »)).

 Sam.5

Depuis que nous sommes ensemble, J. a perdu au moins dix kilos. Je lui compte les côtes ; c’est très plaisant. Crête iliaque, clavicules, omoplates, je l’ai déjà dit… Tout ce qui relève de la contrainte la trouble « exquisément ».

— Comment sont tes parents ?
— Gentils. Et les tiens ? tu n’en parles jamais…
Je me tais, je prends un air peiné, presque tragique (alors que je m’en fous). Bien sûr, J. s’en veut de sa question.

Elle se souvient de ses rêveries, de ses fantasmes de gamine : petite armée qu’elle conduisait irrémédiablement au désastre. Puis elle était prisonnière et on la torturait.
— Ils te violaient ?
— Non. Enfin… pas vraiment…
— C'est-à-dire ?
— Je n’avais pas une idée très claire de ce dont il s’agissait. C’était plutôt une atmosphère, des sons. Ils m’attachaient avec des sangles en cuir (je lui fais remarquer qu’elle affectionne toujours cette matière — je sais, fait-elle, un peu sèche).

Pour nos jeux j’ai choisi des bracelets en Velcro, très pratiques. Mais son collier d’étranglement est en cuir, large, épais, avec ce mécanisme ingénieux qui permet de serrer petit à petit — et de desserrer rapidement. Il a coûté fort cher.

 D.6

Je fais semblant d’être jaloux de ses collègues, de ses rencontres — rares. (Moi-même je ne sors guère.) Et ceci la conforte dans cette idée d’une sorte d’amour partagé.

H. me dit « j’aime bien ton journal, mais on n’y croit pas une seconde ». Tant mieux : je vais enfin pouvoir dire la vérité !

Depuis que je suis avec J. j’ai acquis une force. Lorsque je cherche à séduire une (autre) femme j’ai cet atout extraordinaire : le cul de J., ses jambes maigres, sa bouche, son sourire, ses abandons — quelle que soit l’issue de ma tentative, j’ai cette force, cette réserve qui me permettent de ne jamais « être perdant ».

  

 

Charles Bösersach

Charles Bösersach  
    

  
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