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juin
On
les contraint à s’entre-dévorer. Les plus habiles ont
une tactique infaillible : captieuses, elles attirent les
autres, les prennent sur leurs genoux après les avoir gentiment
déshabillées, les bercent, les endorment en les embrassant.
Une morte qui dort — étrange n’est-ce pas ?
Ce n’est pas le sommeil c’est : paupières et bouche
close, mutisme. Enfin, aux baisers, à la langue suave succèdent
les grignotements puis, une fois acquis cet abandon de grandes filles
trop sages, le groin et les canines font ce qu’ils ont à faire.
M.
me raconte que ses frères la battent tout le temps. Elle me
montre les ecchymoses. Cela m’intrigue. J'essaie d'en savoir plus,
en vain. Mais j'imagine... M. me décrit sa mère, cette
vie idyllique qu'elle aimerait mener avec elle (en fait, il semble
qu'il s'agisse d'une épouvantable mégère).
Calliphora
vicina, la grosse mouche bleue à viande, arrive la première.
La femelle pond des œufs au niveau des plis et des orifices naturels
humides du cadavre. Si la présence de Calliphora vomitoria,
espèce champêtre, est constatée sur un cadavre
trouvé dans une maison, penser à un déplacement
du corps.
mardi
Je
note ce qu’elle dit : « c’étaient de petits
personnages schématiques… une armée inexpérimentée…
ils allaient de gauche à droite, toujours. J’avais acquis une
dextérité, une habitude… et les bonshommes s’étaient
simplifiés. Je commençais doucement (mais j’étais
déjà très troublée). C’était comme
une envie de faire pipi. Je me tortillais, je serrais les jambes.
Et puis cela commençait : ils tombaient dans un ravin
(ils avançaient comme des lemmings)… j’ai joué à
ça avec des graviers aussi, depuis le pont au-dessus de la
rivière : pousser tout doucement les petits cailloux,
qui étaient des prisonniers. J’étais sans pitié,
une sorte de Dieu mauvais. Tout ce que je pouvais concéder
c’était de ralentir le processus : pousser très
lentement, laisser le petit caillou en équilibre instable sur
le bord du parapet… je les regardais tomber, c’était délicieux,
délicieux, je ne me lassais pas… »
À
la belle saison, la deuxième escouade (Sarcophaga, Lucilia
et autres diptères) surgit très rapidement lorsqu’une
odeur prononcée se fait sentir et repousse les Calliphora : les
fermentations sont à leur apogée. La fermentation butyrique
rancit les graisses ; elle est réalisée essentiellement
par des bactéries anaérobies strictes : les
Clostridium. Il se dégage des acides gras volatils, dont l’acide
butyrique, à l’odeur nauséabonde.
me.6
Elle
(M.) a de nouveau fugué. L'ai rencontrée « par
hasard », sur la presqu’île. Passive, docile. Elle a l'air
abrutie. Me raconte une histoire d'argent de poche très embrouillée.
Elle me suit sans problème à l'hôtel puis veut
que je la paye. Ne lui ai rien donné. RV demain « à
la maison » (J. ne sera pas là).
Elle
me parle de ses frères. Ils sont toujours malades. Son père
boit. Aurait abusé d’elle (mais elle aurait été
plus ou moins consentante, voire pis). Elle dit qu'elle se prostitue.
Au
lit : très docile. Elle fait tout sans problème.
(Sa
gueule d'ingénue).
Les
dessins (J., le soir).
—
Les dessins c’était mieux : il y avait le ravin,
les sables mouvants, le feu, les flèches, les exécutions
(pendaisons, décapitations, écartèlement…). Décapitation : à
la hache. La guillotine, c’était trop long à dessiner.
Je dessinais de plus en plus vite à mesure que cela s’aggravait.
Personne n’a jamais vu ces dessins je crois. Je les détruisais.
J’avais honte. C’était… une sorte de… de pornographie…
—
Ça a duré des années. Ça a commencé
quelques temps après la mort de ma sœur. Je devais avoir six,
sept ans, et jusqu’à mes douze ans peut-être…
(Les
émanations attirent une faune nouvelle – la troisième
escouade, composée essentiellement d’insectes amateurs de graisses
animales rancies – et n’attirent plus la précédente.
Environ trois mois se sont alors écoulés depuis le décès,
mais la décomposition peut varier considérablement selon
les conditions climatiques.)
jeudi
7
Un
jeune séduit une adolescente, flirte éventuellement
avec elle, avant de l'attirer — avec ou sans violence —
dans une cave, un parking, un local à poubelles pour l'« offrir »
à ses amis. Parfois, les agresseurs violent la victime à
deux ou à trois en même temps ; ils appellent
cela « la doublette » ou « la triplette ».
Il
vit dans un bureau, il n’a besoin de rien. Quelques mètre carrés,
un mobilier sommaire, de la lumière sans excès. Il ne
se nourrit pas, il ne boit pas. Ne se lave jamais. Il ne sue ni ne
s’use. La barbe ne pousse plus, ni les ongles : il est mort ; il
est déjà mort. C’est ainsi que le monde préfère
ses éléments : sans besoins excessifs. Son
travail ne l’intéresse guère mais il n’a rien d’autre,
il n’y a rien d’autre pour occuper son temps. Jamais il n’a franchi
la porte de son bureau (et il soupçonne que dehors, au delà
de la porte : néant ou pas grand chose ; une
vaste blague, fort ennuyeuse : cendres et grumeaux
où l’on marche avec peine, restes du monde, si monde il y eut
— parce qu’avec le temps on n’en est plus très sûr —
où l’on pourrait errer, longtemps, en vain, sans pouvoir même
retrouver — la porte du bureau. Ennui donc, mais un ennui plus
grave, plus essentiel que celui du bureau par exemple).
Ainsi
il continue de vaquer tranquillement, scrupuleusement mais tranquillement,
à la recomposition de Dieu, en assemblant les preuves
qu’il aura pu se procurer, et qui continuent de lui parvenir, comme
par magie. Cet embroglio le déprime. Il a (des preuves) déterminé
quelques modes de classement mais il n’est pas sûr de lui : ce
choix, comme tout autre d’ailleurs, lui semble insupportablement arbitraire.
Mais il ne voit pas, sauf à laisser tout en vrac, comment faire
autrement.
Suit
la destruction des matières protéiques, signalée
par une forte odeur ammoniacale. Elle est le résultat de la
fermentation dite caséique, parce qu’elle attire des mouches
dont les asticots se nourrissent de fromages.
À
la « maison » (chez J.) : M. me raconte comment
elle s'est fait racketter, au collège. Histoires de
cul. Elle suçait des garçons les uns après les
autres dans une cave. Elle a, effectivement, une certaine pratique : aucune
fantaisie, mais très efficace.
Nous
sommes allés voir un film pornographique dans une petite salle
du quartier. Elle bâillait. Ça ne l’intéresse
pas.
Je
lui reproche (à tout hasard) d'être cachottière,
impulsive. Elle réplique en pleurnichant. Je l'ai frappée.
Elle a eu une lueur dans le regard, comme une joie. Frappée : une
gifle!
Elle
a quitté la pièce en courant et j'ai eu peur de quelque
chose.
L'ai
retrouvée blottie au fond du lit (et j’en ai profité).
Le
soir J. a bien dû remarquer quelque chose : le lit
défait (taché ?), les mégots dans les cendriers.
Elle n’a rien dit.
vendredi
Nous
nous évitons. Elle part de bonne heure, je fais mine de dormir.
Je sors au moment où elle doit rentrer. Le soir je parle peu,
elle encore moins. Harassée. Je me couche, très tard,
sans éviter de la réveiller.
—
Le dos…
Elle
me caresse le dos, gratte, griffe.
—
Tu as réfléchi ?
Elle
ne dit rien. Sa caresse m’excite. Couché sur le côté,
je lui tourne le dos. Je me masturbe. Elle s’excite un peu (semble-t-il).
En pure perte : je dors.
Plus
tard (de quatre à huit mois), les substances volatiles libérées
par la fermentation ammoniacale de la dépouille passablement
décomposée attirent la cinquième escouade. De
toutes petites mouches (Ophyra, Phora...) s’affairent aux côtés
d’un certain nombre de coléoptères (Necrophorus, larves
d’Œceoptoma, Hister). Plusieurs mois (de l’ordre de six à douze)
après l’attaque des premières larves, la série
des fermentations s’achève. Chaque fermentation a attiré
sélectivement des familles d’insectes. Dès que se produit
un changement chimique de la matière organique, l’odeur devient
répulsive pour les espèces en place et attractive pour
les espèces suivantes qui, alors, interviennent.
samedi
9
Pubis
osseux, renflé — la marque de l’élastique du slip.
Nombril (et dessous : intestins, matières). Salive
sur son ventre. J., couchée sur le carrelage, terriblement
nue et absente — absence presque ironique. Le sol est froid,
elle est malade. Il ne s’est rien passé, avant (rien qui vaille
la peine, soit : les simagrées habituelles — je
la brusque, elle fait mine d’en souffrir, cela nous excite suffisamment
pour chercher à mal faire (bras levés, le soutien-gorge
remonté, les côtes, les grains de « beauté »)
— d’où : de ses jambes entrouvertes suinte un
fin filet de glaires).
(Jolie
petite poubelle.)
La
dessiccation déjà fort avancée de la dépouille
se poursuit quand arrivent, souvent fixées sur des insectes
qui les transportent, de nombreuses espèces d’acariens microscopiques
détriticoles. Cette sixième escouade d’arachnides (ce
ne sont donc pas des insectes) finit d’absorber les humeurs qui imprègnent
encore le cadavre. La septième escouade se met en place avant
la totale disparition des acariens sur la carcasse complètement
desséchée.
dimanche
10
Pour
ce qui concerne les choses dont vous m'avez écrit, je pense
qu'il est bon pour l'homme de ne point toucher de femme.
Toutefois, pour éviter l'impudicité, que chacun ait
sa femme, et que chaque femme ait son mari.
Que le mari rende à sa femme ce qu'il lui doit, et que la femme
agisse de même envers son mari.
[…]
J’aime
bien l’expression « vide-couilles » (à propos d’une
jeune femme complaisante) mais elle est peu précise : les
spermatozoïdes, après leur maturation, sont libérés
à l'intérieur des tubules séminifères
et vont être stockés dans l'épididyme où
ils vont terminer leur maturation (acquisition de la mobilité).
Lors de l'éjaculation, les spermatozoïdes (ainsi que les
sécrétions de l'épididyme) vont passer dans les
canaux déférents, se mélanger avec les sécrétions
des vésicules séminales puis de la prostate ce qui permet
la formation du sperme. Le sperme passe ensuite dans l'urètre
et est éjaculé vers l'extérieur au niveau
du gland.
Des
insectes, parents de ceux qui s’attaquent aux lainages et aux fourrures,
découpent les pièces sèches du corps maintenant
momifié. Lorsque la mort remonte à approximativement
une année ou davantage (selon le lieu et le climat), une huitième
et dernière escouade s’active sur le corps réduit à
ses os. Des coléoptères (Tenebrio, Ptinus...) font disparaître
les débris organiques laissés par leurs prédécesseurs.
Ils achèvent de nettoyer la charpente osseuse, consomment la
poudre de tissus et les dépouilles d’insectes des escouades
antérieures (téguments larvaires, coques nymphales).
Lorsqu’elle
commence à le sucer, l’homme est saisi d’une expression extraordinaire
— comme saisi de stupeur.
[…]
La femme n'a pas autorité sur son propre corps, mais c'est
le mari ; et pareillement, le mari n'a pas autorité
sur son propre corps, mais c'est la femme.
Ne vous privez point l'un de l'autre, si ce n'est d'un commun accord
pour un temps, afin de vaquer à la prière ; puis
retournez ensemble, de peur que Satan ne vous tente par votre incontinence.
Paul, 1 - Corinthiens 7:1-5
Dans
le bus. Je me détourne pour éternuer. J’éclabousse
la vitre.
Le
soir : agacé, j’ai rangé mon parapluie qui traînait
dans l’entrée depuis des jours.
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