Contemporains

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JOURNAL MALADE

Semaine du 18 au 24 juin 2001.

 lundi 18 juin (férié)

J’étais avec J. dans un car qui roulait trop vite. Arrivé sur les quais il dérape sur une flaque de mazout. Lentement. Le bus tombe dans la mer. J’ai le temps de penser — simultanément — à la meilleure manière de sortir du car (les poignées de secours permettant d’ouvrir la vitre latérale), à prendre ma respiration, à signifier à J. de faire comme moi, à espérer que nous ne serons pas gênés par les autres passagers, affolés ; à me demander si, malgré tout, cela suffira. Je me réveille, contrarié.

 mardi

(M.) Elle a fait une tentative de suicide. Bénigne. Un geste idiot. Elle dit qu'elle en a marre de se faire baiser. Elle crie «Je suis pas qu'un trou». Pourtant, quand les amis sont là, et qu'on boit du champagne, qu'il y a toutes ces choses qu'elle aime, l'ambiance, comme elle dit...
Le soir elle pleurniche de nouveau et parle de sa mère. Incantation.

 mercredi

Quand elle saute un repas (selon ma volonté le plus souvent), en guise de compensation, elle passe sous la table de la cuisine pendant que je mange ce qu’elle a préparé. Elle suce, avale. Si je dis « reste » elle sait que je vais uriner, qu’elle devra essayer d’avaler le plus possible avant de nettoyer ce qui aura débordé sa bouche, qu’elle vomira peut-être pendant que je finirai de dîner. Enfin, pantelante, elle sera de nouveau devant moi, dans la cuisine. « Je suis trop excitée. »
— Va te branler, répondrai-je, faussement indifférent, en finissant de manger.
Je l’entendrai manipuler ses instruments. J’ai horreur de ces objets laids, vulgaires, bruyants.

 j.21

Herpès (éviter d'embrasser les nouveau-nés, les rapports sexuels « oro-génitaux » ; de partager du linge et objets de toilette (gant, serviette, brosse à dents...) ; d'humidifier les lentilles de contact avec la salive ; après la toilette du mort, de se frotter les yeux avec le même coin de drap de bain utilisé pour sécher la bouche, etc.).
Toilette du mort ? lire « toilette du visage ».

Cris bizarres des mouettes.
Puis : cris bizarres des pies.

(le piège du sommeil)

 vendredi

Frein doré : les jeunes mules apprécient également.

M. parle sans cesse de se tuer ou répète qu'elle veut travailler. «Je veux gagner ma vie.» J'ai demandé pourquoi faire. Elle a haussé les épaules : «Je sais pas, avoir une vie normale...» Une demi-heure après on est au lit et elle fait sa petite pute. Elle oublie vite, mais ça revient. Ça revient sans arrêt.

Malgré tout le mal que nous leur faisons, ces femmes minuscules s’avancent vers nous avec une confiance émouvante (souffrance exquise des poupées).

 s.23 juin

Devant J., S. me prend un doigt, le suce, le mordille. J. fait semblant de ne rien remarquer.

(ailleurs — les deux bruits qui m’ont réveillé : les miaulements du chat, le freinage plaintif d’un vélo dans la descente)

S. impitoyable avec les autres femmes : elle voit tout (les « défauts », les imperfections, les fautes de goût) ; elle est de surcroît d’une bonne foi inébranlable (moi qui croyais en une sorte d’esprit de corps féminin).

Ce n’est pas si simple que ça de trouver encore plus sordide que ce qu’on a sordidifié la veille — P. Guyotat, Explications.

 dimanche

Ce jour : quelques nouvelles de la mort.

  
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