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Avertissement !
ce texte  peut choquer les âmes sensibles et est contre-indiqué, dans la plupart des législations, aux personnes mineures. Évitez-le si vous êtes dans l'un ou l'autre cas !

 

 Charles Bösersach

  Petit conte.

 
 

charles bösersach

 
 

   

on est resté un moment à errer, ouvrant et refermant les tiroirs métalliques. On en voulait une grosse, avec des cheveux vraiment longs. Sur les deux ou trois qui semblaient convenir, on discuta un bon moment. Raoul préférait celle-ci, moi celle-là, et Marcel s’en foutait, ou il faisait semblant. Il a fallu graisser la patte du collègue, bien sûr. Il se demandait ce qu’on allait bien en faire ou plutôt, il ne se le demandait pas du tout. Égrillard, le frère. Nous, on le plaignait un peu de devoir rester là, ce soir, précisément. Il nous a aidés à la rouler dans une bâche qu’avait apporté Raoul. Marcel est venu se garer à cul côté cour. On est rentré. Avec le froid qu’il faisait, il n’y avait pas un chat dehors. On a roulé pépère et on est arrivé sans encombres. On était excité comme des puces. On l’a posée sur la table. Elle portait seulement une longue chemise en coton grisâtre. Raoul a retroussé la chemise, et il a rigolé : tiens, elle a été opérée de l’appendicite, comme moi. Tout de suite on s’est mis à s’agiter. On se demandait de quoi elle était morte : on ne voyait rien de précis. Quelques hématomes, mais qui n’étaient peut-être dus qu’au transport... Marcel voulait d’abord qu’on mange, mais Raoul et moi on voulait se mettre au boulot sans attendre. On a commencé par les cheveux. Les teindre en vert, sans en mettre partout. On était vert jusqu’aux coudes, nous aussi, et ça nous faisait bien rigoler. Raoul nous a fait le coup des martiens, et il nous a raconté pour la énième fois l’histoire de la pompe à essence. Après il fallait que les cheveux prennent la forme voulue. On avait acheté un tube de gel mais c’était pas pratique. Marcel, qui bougonnait de plus en plus parce qu’il avait faim, disait qu’on aurait dû acheter du verni en bombe, ou un truc comme ça. N’empêche, ça commençait à avoir de la gueule et on était pas mécontent. Là, Marcel nous emmerdait tellement qu’on s’est arrêté pour casser la croûte. On a mangé vite fait, et pas mal picolé. Raoul a manqué tomber parce qu’il était sur un tabouret et qu’il se croyait sur une chaise. Alors quand il a voulu s’adosser...

     On est retourné dans le salon. On a étendu par terre une grande toile cirée et on s’est mis au boulot. Raoul pensait qu’il fallait l’empaler par le cul. Marcel et moi on pensait que par devant ça serait plus pratique. Raoul rouspétait comme quoi on était des gâcheurs et qu’empaler c’est par le cul sinon ça s’appelle pas comme ça. T’es un puriste, finalement, a lâché Marcel...

     Raoul était vraiment contrarié mais on était deux voix contre une. On lui a enlevé sa chemise, en faisant attention de pas bousiller sa coiffure, Marcel lui a ouvert la chatte avec les doigts et moi j’essayais d’enfoncer le pieu qu’on avait taillé en pointe. Pas tellement facile. A voir comme on s’emmerdait, Raoul a finalement concédé que par le cul ç’aurait forcément été pire. On voulait pas trop l’esquinter, non plus. On se demandait de combien il fallait enfoncer le poteau. On s’est dit que le mieux serait de l’enfoncer au maximum. En tout cas, le type de la morgue n’avait pas menti : elle ne saignait pas. A ce qu’il nous avait dit, ils les saignent pour éviter que ça s’abîme trop vite, ou un truc comme ça. Marcel donnait de petits coups de maillet, toc toc, et, l’air de rien, ça s’était enfoncé de pas loin d’un mètre. Quand on l’a redressée, pour la faire tenir debout, ça a été une catastrophe : le pot qu’on avait prévu était pas assez lourd, il a fallu aller dans le jardin ramasser des parpaings en vitesse, des trucs lourds, entasser ça dans le pot, coincer le poteau, un vrai cirque! Mais ça tenait. On était assez déçu : elle pendouillait lamentablement. Ses bras, ses jambes, sa tête. Ça ne ressemblait pas à ce qu’on avait imaginé. On s’est assis pour boire un coup et, éventuellement, réfléchir. Marcel s’est levé. Il est allé chercher du fil de fer au garage. On a planté des clous dans la cloison, et avec le fil de fer, on est arrivé à lui faire prendre plus ou moins la position qu’on voulait : jambes écartées formant un L, les bras pareil, et la tête bien droite. Raoul disait qu’il aimait pas bien l’odeur alors on l’a arrosée d’après-rasage et après Raoul a encore plus gueulé quand il a vu que c’était son après-rasage qu’on avait pris! On sentait que ça prenait forme. Maintenant, a dit Marcel... puis il est allé à la cuisine et est revenu avec le petit couteau qui coupe bien. Il restait devant la nana, perplexe. Nous on restait en arrière, on n’osait plus rien dire.

     — Je vais lui faire une césarienne, il a dit.

     Il a ouvert le ventre, horizontalement. Les boyaux sont aussitôt sortis. Ça s’est mis à puer d’un coup et il y avait des caillots, et de la merde. Marcel avait enfilé les gants en caoutchouc et bricolait les boyaux. Il déroulait l’intestin.

     — Je coupe?

     On préférait pas. Il a dû se débrouiller comme ça, un vrai casse-tête. Mais au bout d’un moment, c’était pas mal arrangé et ça ressemblait de plus en plus à ce qu’on voulait. Marcel avait artistement déroulé et disposé les intestins sur la gonzesse. Pour que ça tienne, il plantait ici et là, avec des gestes de couturière, de grosses aiguilles de seringue, des trocarts. C’était pas mal, ça brillait. Mais qu’est-ce que ça puait. On n’avait pas prévu ça, l’odeur...

     — Tant pis : on aérera un maximum, et quand il arrivera, on lui fera regarder ça de loin...

     Le trou derrière la maison était prêt depuis trois jours. Marcel tournait en rond, l’air embêté. Il manque quelque chose... On voyait pas bien comment faire mais Raoul a eu l’idée de récupérer les ampoules du vélo, et de les brancher sur une pile. On a récupéré aussi l’ampoule de la lampe torche et celle de ma mobylette... Là c’était vraiment joli. Marcel a mis une petite pomme rouge dans la bouche de la nénette. On a eu un mal de chien à lui faire ouvrir la mâchoire comme on voulait et après, bien sûr, ça voulait plus se refermer. Ça devenait de plus en plus délicat et on avait la trouille de tout foutre en l’air. J’ai regardé l’heure et on a vu les phares de la bagnole. Raymond s’est garé au fond près du hangar, comme il faisait d’habitude. C’était sa place. Marcel qui s’était lavé les mains en vitesse est sorti pour l’accueillir et le baratiner un peu. Raoul et moi on plaçait les cadeaux. Raymond est arrivé dans la pièce les yeux fermés, guidé par un Marcel radieux. Raymond a fait une grimace en demandant ce qui puait pareillement. Raoul a rouspété : ça fait deux ans qu’on t’a pas vu et c’est tout ce que tu trouves à nous dire? Raymond a rigolé. J’ai éteint la lumière, branché la pile et Raymond a ouvert les yeux. Quand il a vu ce qu’on lui avait préparé, les cadeaux au pied du sapin de Noël bricolé par Marcel, il n’a pas su trouver ses mots.

     Il a bégayé. Il s’est approché du sapin, l’a regardé longuement, a apprécié le boulot de Marcel puis s’est retourné vers nous avec un rire immense, on voyait plus que ses dents et le blanc de ses yeux. Les cadeaux, c’était plus classique : cravate, Armagnac, chaussettes en soie. Il se relevait sans cesse pour regarder le sapin. C’est pas croyable, qu’il répétait, c’est pas croyable. Après, il est resté devant et, malgré qu’il tenait à peine debout, vu ce qu’on avait éclusé, nous a improvisé, avec une voix de basse sensationnelle, une version absolument tordante de « Mon beau sapin », on était écroulé.

 

Charles Bösersach

     
Bösersach  

  
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