ÉPILOGUE
Je
connus Molly tout d’abord de réputation.
Sur
l’île de G., des rumeurs clandestines évoquaient les égarements de
cette « Reine de sabbats » (...). Je la découvris au hasard des
rues et à simplement croiser son regard, je sus qu’elle m’était présentée.
L.,
son mari, aimait la surprendre en compagnie d’hommes qu’il choisissait
soigneusement, selon des critères précis d’âge, de poids, de nombre
et de couleur. Bien vite il organisa de petits spectacles où elle
apparut baillonnée, ennivrée ou complaisante, au choix du Roi,(...).
Plus que la trahison, il souhaitait qu’elle incarnât l’innocence pervertie,
ce dont elle s’acquittait admirablement.
Il
ne se contenta bientôt plus d’observer ses mises en scène et décida
de photographier chacune d’elles. C’est, je crois, ce qui poussa Molly
à rédiger ses courtes confessions et ainsi préserver cet espace secret
que L. lui voulait arracher.
Il
usa de la caméra et multiplia les dérèglements mais, dans les scandales
et les orgies, et malgré le nombre de ses amants, Molly sut rester
insolemment fidèle à son corrupteur. Ce n’est que lorsqu’elle le crut
double et insincère qu’elle se déroba à ses griffes et rejoignit le
continent.
Des
malles qu’elle fit alors vinrent choir ces quelques feuillets, qu’elle
souhaita perdre sans avoir le coeur de les détruire. Elle les remit
à son frère qui, n’en ayant cure, me les confia sans même les lire.
C’est le caractère contraint
de ses révélations qui me fonde à risquer leur dispersion par
le monde. Aussi restreinte puisse-t-elle paraître, elle leur restitue
la qualité d’objet rare ; comme elle oiseau ou perle rare.
Je
dispose aujourd’hui d’une photographie de la collection privée de
L., qu’il voulut bien me céder. Ce cliché ordonne, depuis que je le
possède, mon désir et sa résolution.
3.
Or
quelques uns métamorphosèrent Molly.
Débarquée
fille vierge à l’île de G., elle s’en exila 417 jours plus tard abusée,
insultée, agonie mais femme, adorée, accomplie, achevée, triomphante
Reine
de sabbats noyée d’hommes clignant les yeux, couverte d’ogres, noirs,
vieux, gros ou jeune fauve qu’un coq castra à demi, tous empressés
de saillies
avide
de leurs désirs démesurés puis repentante ou menteuse
double
et triple, enfin sortie du vide
Tout
à la fois agenouillée dévote aux marches de l’autel & catin docile
prêtée aux valets
double
et triple et coupée sous les yeux aveugles du père
La
voilà la chair changée, tranverbérée, retournée tel un gant
ajouré,
ses
pures fesses très hautes sont des pommes de Cézanne et
son
sexe dénudé précipite les liquides et ses lèvres, dans les voitures,
embrassent à pleine bouche leur zélé corrupteur
les
genoux écorchés d’avoir trop frotté ses ébats sales promènent sa frêle
silhouette d’enfant nubile
« Laisse-moi
boire avec les lèvres ! »
Revenue
à la ville flanquée d’escarpins ustensiles comme Hélène elle cède
à son ravisseur sous des portes cochères et on la nomme Molly la
louve
|