Michel Lecamp L'envers d'Ulysse.
Ulysse
on fit toujours grand cas et commentaires toujours plus élogieux,
vantant ses exploits et ses fameuses « mille ruses » quon
accola à son nom comme une enseigne lumineuse; delle au
contraire on ne sut que louer la constance. La fidèle Pénélope ! Comme
si ce fut là mon seul mérite, le seul quils aient daigné mattribuer
à voix basse. Pour le reste, pas un mot, pas une syllabe. Mais quen
savait-il donc ce mystérieux Homère ? Où avait-il les yeux pour
voir si mal ? On murmura souvent quil fut aveugle
et quil écrivit ses récits au gré de sa fantaisie davantage
quil ne les rapporta.
I SON ODYSSÉE
1. Naissance de lamour.
Notre première rencontre eut lieu dans un
cirque et ce présage aurait dû mavertir des farces sans fin
quil me jouerait.
Je me souviens de ses paroles lorsquil
étrenna ma porte. Il me voulait « consumée » cest
à dire leste, animée, vicieuse. Je devais minsinuer la plus
mauvaise réputation tandis que jétais en vérité la plus innocente.
Je tâchai de lui faire entendre raison mais il répondit avec humeur : Je suis véritablement entrée chez lui les yeux bandés je veux dire que réellement il me bâillonna et fut fouillée toute la nuit par des mains que je supposais siennes et dont je doute aujourdhui quelles lui aient toutes appartenu.
Je pensai jétais forte déjà : Sa sur Odyssée, à plusieurs reprises, lavait dans le passé accusé de la regarder se baigner à travers la haie ou par un trou quil avait creusé dans la porte des toilettes. De ces accusations on lavait aussitôt blanchi mais quand elles me revinrent en mémoire en cette Nuit de Noces et que je les considérai à la lumière de son comportement nuptial, je dus convenir quelles nétaient certes pas sans fondement. (Je crois quil massombrit plus quil ne méveilla aux voluptés. Cest plus tard que, seule, aidée de quelques amants mais surtout de servantes promptes au plaisir, je devins femme tout à fait cest à dire sensuelle, gaie, lumineuse et exquise et fus par elles surnommée la chère toujours acquise.) Quand la Guerre quil avait appelée de ses vux bien quil tentât de sy dérober nous sépara, je lui avais donné un fils, Télémaque, que nous chérissions tous deux. À cette époque mon amour pour lui ne connaissait pas de nuage. Je laimais, mon beau héros. Si bien que lorsque son départ me fut connu je meffondrai, plus affligée encore quAndromaque devant la mort dHector, cessai tout commerce avec la musique (je me destinai auparavant à chanter au music hall) et répugnai même à lidée dassister au récital du ténor Phémios que je portais aux nues deux jours plus tôt.
2. Les tours dune veuve.
Lorsquil eut disparu derrière la barrière des flots (notre peuple de marins sévertuait à voir périr les siens au fond des vaisseaux les plus vétustes, faisant le plus souvent office de sombres tombeaux) et quon meut conté son agonie, la nuée des Prétendants entendant la nouvelle sabattit sur moi tel un essaim de mouches enivrées. Il en pleuvait partout. Où que je me trouve, au plus profond de mes appartements, aux lieux daisance ou dagrément, il sen tenait toujours un ou deux à portée de bras et cherchant à men ceindre sans vergogne. Parmi eux jen distinguai de fort jolis dont la séduction aguerrie sut parfois matteindre mais un oracle bien avisé mavertit quUlysse vivait encore. Aussi inventai-je certains stratagèmes habiles à les écarter de ma couche, du moins de manière provisoire mais durable. Je prétendis ainsi je parlais fort, dressée sur la dernière marche de lescalier trônant dans la grand salle, madressant à la foule des soupirants avinés, mécoutant à moitié, tout occupés à flétrir et flatter les robes de mes servantes (dont certaines, victimes du courroux dUlysse, périrent atrocement, mais plus tard) devoir écrire une lettre, un mémoire récapitulant en détail le patrimoine du maître de Laerte afin quon puisse en disposer et rendre possible la possession de ses biens. Cet argument sut les convaincre mieux quaucun autre, tant il flattait leur cupidité insondable. Tout le jour et longtemps jécrivis ce catalogue, feignant davancer la succession, mais de ma plume ourlée dor coulait une encre sympathique disparaissant la nuit au creux du papier et ce que je tissais le jour la nuit le défaisait si bien quaprès trois années et moroses, où je me morfondis tant, fatiguée dobserver sans sévir la débauche des servantes le travail navait pas avancé dune lettre.
3. Trahison de laccorte servante.
Cest alors que Mélantho me vendit. Cétait une jolie servante à la chair languide mais chaude et grasse tant que mes tourmenteurs se la disputaient ardemment chaque nuit et quelle devint bientôt lenjeu de paris insensés. À tous elle cédait sans paraître se rendre et savait, dans les pires transports, garder un visage de nymphe étonnée. Elle me surprit donc à mon ouvrage et révéla mon stratagème aux guerriers endormis. Les prétendants Antinoüs à leur tête sinstallèrent à demeure au palais, festoyant sans répit, égorgeant mes troupeaux et mes porcs, épuisant patiemment ma fortune dans dinterminables orgies. Mon fils Télémaque prit alors (sans toutefois mavertir ni me consulter) la maisonnée en main et mécarta un peu plus de mes biens (que devins-je alors sinon belle monnaie vivante ou produit quon achète, objet de luxe ou sceptre convoité ?). Voila où ma vertu me jeta : en pâture aux appétits les plus immondes, le seul bénéfice à ma conduite fut dêtre reléguée comme un jouet de chair derrière une vitrine.
Alors, au dessus de lescalier, tandis
que Télémaque se prenant pour son père tout juste pubère fait
son discours, je mapproche au plus près de la rambarde sculptée
du buste dAphrodite et pose une jambe en avant dans un bruissement
délicat de dentelles, tenant les volants de ma robe de satin noire de
tout temps les hommes chérirent et convoitèrent les endeuillées dune
main, tandis que lautre se tient en arrière et découvre le galbe
onctueux dun mollet gainé de soie, et plus il parle plus le
tissu souvre et se poussant du coude ou clignant des yeux les
Prétendants, lil égrillard, sapprochent pas à pas
et se postent écarquillés sous mes jupes « quel
spectacle mieux quau théâtre ou dans les cabarets » comme
entre deux rideaux dont on tire savamment les cordons devinent la
culotte et les cuisses graciles, supposent la toison ou quelque place
assombrie (ce quinsensément je nommais « mes entrevoiles »; je
lai dit : nous fûmes un peuple de marins) et tout
humides forment un rêve. À suivre... |
Avertissement
solennel
Les textes littéraires en ligne sur ce site restent la propriété de leurs auteurs.
Vous ne pouvez en aucun cas en faire un quelconque usage sans leur
autorisation, pas plus que vous en inspirer de trop pour vos propres productions.
Les contrevenants s'exposent aux pires et garanties avanies, une fois leur forfait
découvert.