Michel
Lecamp
7. Retour (et remords) dAntinoüs.
ls mangèrent goulûment, me laissèrent à peine deux bouchées puis disparurent un à un, comme une nuée dinsectes en un soupir et moi, ensevelie mais pâle, alourdie par leffroi et la puanteur quoique toujours captive jécartai les lèvres en soufflant «Antinoüs» (déjà dans le sentier bruissant il paraissait, sanglé de cuir et transpirant, maculé du sang de ses victimes, poisseux des poissons quil tenait à la main et dont la peau cognait à sa poitrine). Je lentendis répondre sa voix, ce petit tonnerre, grinçait sur les roseaux «jolie». Suspendue tout étonnée du reste naspirant plus quaux vastes hôpitaux, je laccueillis sur la rocaille, la salive lui encombrait la gorge tant elle était sèche de victoires, bel Ulysse saturé de batailles il peinait à mappeler Pénélope et susurra à peine « sois ma Circé » comme si, esclave fraîchement affranchie, jeusse accompli des miracles ou réveillé les morts. Je pensai, tandis quil suçotait des raisins qu il ne serait pas impossible quil mait entrevue besognée sur le canot par Eurymaque qui cognait si fort à cingler mes fesses et dont je crus un moment quil sen allait chavirer la barque et nous verser tous deux dans les marais peut être se tenait-il en retrait derrière les broussailles haletant exorbité avide de femmes vénales ou profanées dont il put à loisir vérifier lindécence et quil lui plaisait assurément dimaginer possédées par dautres bras prises et rabaissées pourquoi pas séduites et abandonnées par la meute des galants. Cet Ulysse là, en ma personne, livra Circé aux pourceaux qui laccompagnent. Sen retournant vers les autres et la bouche pleine décailles, il me supplia de choisir un époux dès le lendemain doutait-il une seconde que je le choisisse lui, malgré ses rudes manières et les tourments quil me fit subir ?
8. Le Retour dUlysse.
Cest alors quil reparut, et pis quun voleur. Demblée donc, jeus cette intuition. Ensuite évidemment jai remarqué sa petite cicatrice à la cheville quil sétait faite avec la pointe dune flèche le jour de nos noces dont javais léché la plaie sous les cris et les hourrah des convives, la langue arpentant le sillon saignant de lentaille peu profonde mais si nette, si franche quon y vit un prodige là où il ny avait que maladresse. Il vint et ses mains étaient nues. Son alliance, où lavait-il fourrée, dans quel jus poisseux lavait-il plongée ? Circé ? Et pourquoi pas les Nymphes et les Sirènes ? Comment le croire à présent ? (Mais ce disant il menflait de désir tandis que je pensai lavoir oublié et partout ma chair tremblait à son contact, criait de ne pouvoir ramper jusquà son ventre, touiller sa chevelure où quelle eût traîné.) Elle devait avoir fière allure Circé, dans ses tenues de cuir et ses fourrures argentées. Y pensait-il à cet instant ou sentait-il son corps se tendre vers moi ? (je crois bien quil flanchait et que ses jambes fléchissaient dès quil levait les yeux sur sa Reine). Jeus envie de lui montrer mes seins si onctueux, nourris de crèmes et donguents anisés, lui mettre sous les yeux leurs bouts qui durcissaient et quil nommait jadis par jeu ses « petits bouchons ». Je nen fis rien et attendis seulement. Tandis quil prêchait je mamusai à le voir défaillir à chaque regard porté sur la chaînette dor que je portais à la cheville et quil ne me connaissait pas (malicieusement javançais négligemment une jambe, la repliais, la déployais à nouveau dans un dévoilement permanent). Dans lAntiquité et jusque sous le règne dAuguste les jeunes esclaves destinées au plaisir portaient pour quon les distinguent une chaîne nouée aux chevilles. On les appelait les gourmettes car les philosophes prétendaient quelles sagrippaient aux bras des hommes lesquels ne voulaient dès lors plus sen séparer.
Il feignit la mendicité avec grâce, mentit plus effrontément
quaucune femme le fit jamais, contant chaque fois de nouvelles
fables, toujours plus invraisemblables et qui réclamaient à mesure
davantage de talent et dastuce (mais layant reconnu tout
son boniment seffondra comme château de sable et ses mots sonnèrent
plus creux que dordinaire, pour un peu je laurais trouvé
touchant tant ses mensonges paraissaient ceux dun enfant des
rues désignant les causes les plus extravagantes à son inconduite,
expliquant que ce nest pas lui qui brisa le vase mais un chat
qui passait par là tandis quon la vu, jouant à la marelle,
qui renversait en trébuchant la vaisselle en question). Je nétais bien sûr pas la seule : le porcher, la nourrice, Télémaque son fils et certaines de mes servantes le reconnurent aussi sans quil eut à se nommer et certains partirent dun rire bien franc lorsquil se présenta devant eux ainsi déguisé, « Seigneur » sexclamèrent-ils « sommes-nous donc jour de carnaval ? vous sentez vous si vieux ? ». On le vit se renfrogner il boudait presque le Roi dIthaque et continuer un moment son numéro dacteur. Moi seule le laissais parler et à mon tour me parais du costume de candide. Ainsi me crut-il la plus aimante, la plus fidèle, la plus confiante épouse (et sans doute en éprouva-t-il quelque fierté).
9. Épreuve de larc.
À lissue de lun de ses récits imaginaires, il mincita
(sur les conseils avisés dAthéné), afin de me désigner un époux
(nous navions plus dargent et quant à moi je redoutais
revivre lhumiliation de la civelle en attisant limpatience
des Prétendants) dinstituer lépreuve de larc. À suivre... |
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