Michel
Lecamp 10. Massacre des Prétendants. l bandit larc et la corde aussitôt se tendit en silence. Cest alors quil décocha une à une ses flèches sans effort sur mes Prétendants désarmés. Télémaque lassista au massacre ainsi quEumée le porcher dont les avant-bras, après le carnage, dégouttaient dun sang épais (il sen pourléchait les doigts en se tournant vers les murs) et qui, pour les occire, saida du couteau dont il usait pour éventrer les porcs. Lorsque jouvris les yeux tous gisaient sans vie et je vis les mains si douces dAntinoüs qui tremblotaient encore un peu. On massura que cétaient les nerfs, seulement les nerfs. Puis on immola toutes mes servantes sur son ordre sous prétexte quelles furent séduites par certains de mes Prétendants (que leur trouvait-il ? ne valaient-ils pas mieux que lui, eux qui au moins navaient nul besoin de se travestir, de se dissimuler pour paraître, dêtre sans cesse grimé et protégé des dieux, nétaient-ils pas ses semblables ? et navait-il pas agi comme eux sil eut été placé à leur place et dans les mêmes conditions ? dailleurs, et ce pénible souvenir me brûle encor, ne mavait-il pas gagnée au jeu ? un jeu de force et dadresse certes, mais un jeu malgré tout. Et lorsquil mappela «Calypso» certaines nuits quaurai-je donc dû penser ? À cela bien sûr il neut rien à répondre et dailleurs sans doute ne répondrait jamais, trop occupé à consulter les déesses transies auprès de lui.) Quel haut le cur quand je sortis respirer au dehors et que je surpris leurs petits cadavres appendus aux arbres du jardin, leurs chairs blanches dépassant du costume, toutes bleutées par endroits dun bleu de porcelaine et vers lesquelles se précipitaient les corbeaux, menaçants, obscurcissant le ciel de leur fureur. Elles gardaient les yeux clos les petites femmes et leurs nez si fragiles se zébraient de gouttes de sang pâle, jaccourus vers elles, insensée, souveraine, et baisai leurs petits pieds dénudés un à un puis les abandonnai au bourreau qui les décrochait sans un bruit (cétait Eumée à nouveau, le porcher, préposé aux sales besognes, Ulysse, trop lâche, y répugnait sans doute) et me poussait du coude mais sans vigueur ni animosité vers mes appartements chuchotant comme pour lui même ça nest pas digne dune reine, ça nest pas digne (derrière moi jentendais ricaner les corbeaux).
11.
La vie conjugale après la boucherie
À peine mavait-il retrouvée (mais non reconquise ni convertie
à sa cause) que tout miel il réclamait des faveurs spéciales.
Cest à dire ? fis-je, léchine raidie et droite
sur mes jarrets comme courroucée. Eh bien, continua-t-il (il baissait
la tête, bégayait un peu, tordait ses mains le grand gaillard, ne
faisait guère le fier) vous savez bien, vous connaissez le porcher
(cétait drôle quil me vouvoie dans un instant pareil mais
au fond je nétais pas dhumeur à rire sachant à qui il
me destinait) eh bien il faudrait bien le récompenser un peu de sa
fidélité
Fidélité ? répétai-je. Oui
enfin non,
hésitait-il, embarrassé, il conviendrait quil soit honoré ce
brave, quun tribut lui soit accordé, quil fut rétribué
en sorte. Certainement, ai-je répondu, mais comment ? Quordonnez-vous ? Oh
cest peu de chose et cest un lourd sacrifice je le conçois
mais dans lintérêt supérieur du Royaume (je savais quil
ne pensait en vérité quà son organe) jaimerais que vous
lui fassiez laumône de votre couche. Pour une nuit ça va sans
dire. même le jour de mes noces il me suppliait de me mal conduire et me soumettre par exemple, soufflait-il en dardant sa langue dans mes oreilles et sur leurs lobes, ce nest quun exemple comme bon leur semblerait aux outrages des officiers de la garnison, mincitait à me livrer aux pires besognes prétendant quil était dusage dans la Grèce Antique de souiller le lit conjugal de liqueurs séminales adultères pour quil devienne fécond, des fadaises tout cela quil proférait en se goinfrant de fraises à la crème se prenant pour lempereur Néron, sen pourléchant les babines en faisant les bruits les plus obscènes puis il me guettait derrière les parois de la chambre, insinuant son il sur la fente de la porte, encourageant mes assaillants, commentant leurs manières ou ma technique, me conseillant parfois : (il criait quil fallait quimpérativement jenfonce la ficelle ou débraille davantage mes corsets) une fois laffaire terminée il se ruait dans la chambre et louait mes « adorables petits pieds chinois » quil sentêtait à baiser en glissant sa langue entre chacun des orteils carminés il devenait pâle embrassait ma croupe pâlissait à nouveau saccroupissait ombrant le sillon quil navait pas lâché et sy abandonnait en feulant À un moment donné je me suis dit : « il nous faudrait un Prince ». Javais oublié Télémaque, oublié jusquà son existence même au pauvre garçon, mais au vrai à quoi nous servait-il à son père et à moi ? à quel usage était-il destiné ? À cette question jai bien sûr évité de répondre ne voulant ni le blesser ni reconnaître notre échec à en faire un être dexception. À vrai dire je lai toujours trouvé consternant, imitant grossièrement lhabileté et le courage de son père pour en vomir une réplique empesée, désuète, indigeste. Jusque dans ses vêtements. Tout lui était trop large, son costume, son ascendance, son titre. Et toujours si prude et emprunté ! Quel enfant disgracieux avons nous engendré... quelle parodie dhomme... à la mesure sans doute de notre union contre nature, ne nous ressemblant ni à lun ni à lautre il ne ressemble finalement quà ça : notre faillite, notre gâchis. En réalité je pense quil ne possède pas même léclatant dérèglement de notre mariage, ses scandales brillants, ses fulgurances ou sa lumineuse obscénité. Quelle fadeur, Seigneur ! et quel fils insipide ! Mieux vaut ne plus y penser.
12. Détails de campagne. On me rapporta plus tard dautres nouvelles atroces de la campagne Troyenne. Je ne voulus dabord pas y croire et gardai la bouche bée une semaine durant lorsquon mapprit ce que sa cruauté avait fait dAstyanax, à quel état elle lavait réduit le pauvre petit être aux cils si longs si lisses, à la peau si douce des enfants de 5 ans devenu par ses uvres maudites chiffe molle ensanglantée écrasée au bas du mur où Ulysse lavait projeté comme s il se fut agi dun chaton dont on rejette la charge. Jen eus le cur retourné au sens propre, en ma poitrine il se renversa (comme un vase dont on vide les eaux usées) et mes sentiments pour mon époux s inversèrent à leur tour.
Capable du pire, Ulysse ? Certes oui ! Et qui se souvient
aujourdhui du soldat, le plus fidèle de ses hommes, quil
sacrifia sans remords et abandonna, pendant dix longues années, sur
une île infestée de serpents, deel-skins et dindifférentes
punaises, avant que de laller rechercher au seul motif que la
situation lexigeait. Celui-là donc, dont le nom méchappe
puisque plus personne ne le connaît tant il seffaça lui-même
devant son maître, et sans un mot, rendu muet par lautorité
arrogante dUlysse et son absence de cur, celui-là
(quon le désigne ainsi par défaut) , cet homme, ce héros remis
en jeu, Ulysse le vint reprendre sans une excuse comme on reprend
son dû, sûr de son droit, toujours méprisant le prix et le vif de
la chair. « Tous des cadavres avant lheure » tel était
son sordide credo, dans les batailles comme dans la Vie il lemployait
à tout propos. À suivre... |
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