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II
L’EXPLORATION
D’UNE REINE.
13.
La Reine disgraciée.
es familles
des Prétendants et toute la cour m’accablèrent bientôt de sarcasmes.
Parodiant la devise d’Icarios, mon père bien aimé : « je
touche » (il l’avait choisi en hommage raccourci à
la tirade « à la fin de l’envoi, je touche » qu’il
affectionnait tant) ils insinuaient que la mienne fut plus trivialement
« je couche ». J’acquis ainsi la plus mauvaise réputation.
Tombée en disgrâce, je souhaitais qu’on
m’élargisse, au figuré.
14.
Épisode de la Reine élargie.
Mon Roi, pris d’une soudaine lubie (folie
serait plus juste), et fouillant incontinent l’essentiel de mes
linges (et des plus intimes cela va sans dire car quoi d’autre,
n’est-ce-pas, pourrait bien motiver sa curiosité en la matière ?)
extirpa bientôt tel un trophée porté bien haut une mienne culotte
cachée parait-il sous une pile et recelant, à l’entendre, de
sombres indices. « Tu n’es pas une oie blanche »
voulait-il dire, « loin s’en faut, les preuves de ton ignominie
s’affichent un peu partout en ce lieu à commencer par ici ».
Au bout de son doigt tendu et pointé vers le ciel appendait l’objet
du délit (l’ayant retourné et reniflé un certain nombre de fois
il soutenait qu’en son centre se trouvait une trace ocre révélant
certain passage indécent, quant à moi, rougissante à moitié, je refusai
obstinément d’y porter le moindre regard et d’attester de
sa supposée bonne foi).
Aussitôt, comme s’il poursuivait une
enquête en moralité ou se trouvait à l’affût de quelque découverte
d’importance, il souleva mes jupes sans un mot (et n’attendez
pas qu’il demande seulement la permission, ces manières-là lui
sont étrangères) et les troussa à la recherche de je ne sais quel
joyau ou lettre compromettante. Puis il fit davantage, me dénuda le
derrière et —faisant fi de mes protestations, invariablement
sourd à ma supplique— m’inclina les reins en avant s’étant
mis en tête d’inspecter mes plis un à un, fronçant les sourcils
en parodiant celui qui débusque un coupable au terme de longues perquisitions
méticuleuses, fouillant mes chairs exquises plus que de raison mais
fit chou blanc.
Refusant de lâcher prise (« je suis
Roi et entends être obéi » répétait-il sans que dans cette affaire
quiconque lui ai jamais désobéi mais par pure routine) il me fit surveiller
par ses gendarmes (c’est le nom que, plaisantant à demi,
il leur donnait, à moi il évoquait les souvenirs d’enfance et
les punaises rouges et noires courrant sur les graviers). Ceux-ci
prirent bientôt des libertés extravagantes sur lesquelles il préféra
fermer les yeux et, prétextant d’incongrus contrôles, m’administrèrent
lavements et clystères, cherchant des preuves d’on ne sait quel
crime mais toujours les mains (quand il ne s’agissait que d’elles !)
perdues à l’intérieur.
Cette histoire ridicule prit un tour effrayant
lorsque devant ses sbires —comment les nommer autrement ?—
il m’affubla des pires sobriquets parmi lesquels celui de Poule
au Pot n’était pas le moins cuisant. Comme il se piquait
de cuisine (l’expression « grand chef » l’avait
visiblement impressionné depuis qu’il l’avait entendu employée
dans la bouche de Circé) il ordonna qu’on me dispose sur sa table
les fesses relevées afin de pouvoir (après que les gendarmes ont inspecté
le conduit) déguster, pincé entre elles, un œuf à la coque dont
le jaune, sur le sillon, dégoutta à peine (bien entendu je m’efforçai
de ne pas entacher ou fendiller la coquille tant je savais qu’il
en ferait l’exploration, son repas achevé). J’eus beau protester,
invoquer ma qualité de Reine pour m’exonérer de celle de coquetier
il m’objecta sans rire que toute coquette contenait un coquetier
dont il entendait user et que j’étais Poule au Pot avant
que d’être Reine. C’est lors du même repas qu’il prescrivit
à mon endroit un remède à base de lait —et en quantité remarquable : pas
moins de deux bons litres, tiède et bouilli— que ses valets —riant
sous cape et piaffant certainement— m’injectèrent sans précaution
ni ménagement.
La folie de mon Maître connut quelque repos
(du moins le croyais-je) pendant lequel ses gendarmes continuèrent
leur ouvrage, remplaçant bien souvent (à ce qu’il me sembla)
les clystères de bois et d’étain par d’autres plus suaves.
L’accalmie dura deux jours à l’issue desquels le Roi —il
voulait, parfois, qu’on le nomme Henri IV— reparut, armé
d’un nouveau caprice.
« Je me suis égaré » commença-t-il
(à cet énoncé mon cœur s’emplit prématurément de joie et
déjà j’imaginai à nouveau cacher ma nudité et voiler mes attraits
très précieux sous les tissus les mieux parés) « tu n’es
point Poule au Pot, ma Reine, (là encore mon titre reconquis
je sentis mon visage esquisser un sourire), non, pardonne mon égarement,
tu n’es point Poule au Pot mais bien Poule aux œufs
d’or ce dont assurément ton slip portait la trace ! » (qu’il
emploie ce mot —slip— (encore inconnu d’Ithaque
et de Sparte) voila bien qui signait sa folie et sa condition d’insensé).
Je crus m’évanouir mais n’en eus
pas le loisir car déjà des bras puissants prenaient mes cuisses en
tenaille. J’implorai la Providence, qui ne m’entendit point
et, impuissante, assistai à ma mise au bûcher.
Tous me couvrirent de noms de volailles,
d’oiseaux de basse cour : « poule ! dinde ! oie
sauvage ! ». L’un d’entre eux, prénommé Donatien
—quelle ivresse l’avait donc gagnée ?—, me donna
même de la « pintade ! » ! Cette dernière saillie
m’arracha un rire et, contre ma volonté, je vessai sous leurs
quolibets salaces.
Je me sentis déchirée, écartelée, prête de
défaillir sous la douleur. De quel genre d’instrument s’agissait-il ? Quelle
machine infernale avaient-ils inventée ? Je ne reconnus
en effet ni le caoutchouc de la poire, ni la souplesse de la canule,
pas plus que la douce rigueur des sondes de tailles différentes qu’ils
employaient d’habitude. Je supposai donc qu’ils se servaient
à présent d’un de ses instruments barbares dont usent les chirurgiens
lors d’accouchements difficiles et qu’on nomme fort justement
écarteurs.
« Montre-nous ton trésor ! »
braillait le Roi « où le caches-tu scélérate ? où fabriques-tu
ton or ? »
Il scrutait mes entrailles le fol animal ! fouillant
du regard mon souterrain à la recherche d’œufs dorés. « Ce
fondement nous rendra riches » et, ce disant, il éclairait l’orifice
d’une lampe à huile, avide d’explorations, de plongées souterraines.
Je compris qu’à la lettre il avait faite sienne l’équivalence
freudienne.
15.
L’ Oracle de Delphes (Pénélope
en Pythie).
Après plusieurs mois d’essais et tâtonnements
nous découvrîmes certain régime alimentaire —c’étaient fèves
et chocolat— me permettant de pondre (ce n’est pas là le
mot juste mais je ne sais comment dire autrement sans que le rouge
me vienne aux joues) à heure fixe.
On abandonna bien vite le speculum et l’endoscope,
non qu’ils m’occasionnassent les souffrances les plus atroces,
mais plutôt qu’ils m’empêchassent d’évacuer proprement
et qu’ils s’affirmassent donc contraires aux volontés du
maître. Je retrouvai ainsi peu à peu ma dignité et, maîtrisant la
production des matières, on m’affranchit tout à fait des sangles
et courroies qui me maintenaient figée dans d’improbables positions.
Il suffisait à présent que je me présente sur le pot à l’heure
dite et que rien de l’expulsion ne soit dissimulé au public.
Le Roi eut en effet l’idée, fort plaisante,
d’organiser des visites auxquelles il convia tout d’abord
de hauts dignitaires étrangers, ses hôtes de marque ainsi que certains
voyageurs de commerce (pourquoi s’était-il donc entiché de ceux-ci
au point qu’ils jouissent d’un tel privilège, c’est
ce que je ne parvins à éclaircir). C’était à coup sûr renouer
avec la tradition héritée a posteriori du Roi Soleil et du
spectacle de sa royale défécation.
Je vis donc bientôt défiler dans mon dos
les bataillons des enfants des écoles accompagnés de leurs maîtres.
Installés sur de petits tréteaux, disposés en arc-de-cercle, ils notaient
certaines choses dans des cahiers. Quels croquis griffonnaient-ils
donc ? Et quelle matière prétendaient-ils étudier ?
Paradant devant eux et désignant ma croupe
offerte j’entendis Ulysse qui glapissait :
- « Contemplez la fabrique ! Et les apparitions !»
Et les maîtres, fort doctement commentaient
mes fumées, glosant sur leurs forme et consistance, critiquant
leur couleur, débattant de leur fragrance dont ils tiraient de forts
savantes exégèses et les développements les plus inattendus. Selon
qu’elles fussent bien moulées ou non ils en déduisaient des postulats
incomparables ou les réfutaient sans retour.
Une science naquit bientôt de cet
exercice, entraînant avec elle son cortège de mages et d’experts.
Des assemblées entières se réunirent autour de mon derrière et on
crut, de son observation, pouvoir prédire l’avenir. Les plus
grands savants, mandés par le Roi, posèrent les principes d’un
art divinatoire dont je devins (bien par devers moi) l’Unique
Augure, si bien que je me vis bientôt consultée à tout propos et que,
par souci de rigueur et soif d’analyse, ils étendirent leurs
explorations à toute ma personne. Chacune de mes réactions fut dès
lors enregistrée, mesurée, comptabilisée, mes sécrétions (et leurs
origines) dûment répertoriées, archivées, mes orgasmes consignés,
numérotés, je devins la Clé de toutes choses, l’Universel Passe-partout,
l’unique objet scientifique auquel toutes les disciplines aboutissaient
sans exception et qui constituait leur seul fondement.
Rien ne leur échappa sinon l’essentiel : mon
secret d’alcôve, celui qui s’évanouit dès qu’on le
croit percer, le mystère d’une femme (« les ferrets de la
Reine » plaisantaient-ils sans se douter qu’ils brûlaient)
qu’on croit gésir à son intérieur de par sa nature intime mais
ne s’y trouve nullement. Je connais de ces esprits rudes qui
confondent secrets et sécrétions et dont la sottise est insondable.
Mon Roi fut de ceux-là et ses savants (Diafoirus et autres hommes
de cabinet) s’égarèrent à sa suite. Ils ignoraient que la clé
tient en une lettre. Et que toute ma passion s’y trouve
plus encore qu’au tréfonds de mes entrailles. L’envers d’une
femme, en sorte, celui d’une Reine en tous cas, consiste en une
lettre dérobée, un tissu ou un voile porté, mais ne s’y révèle
qu’à demi. Le reste doit demeurer illisible.
Fin.
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