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Un
cadeau empoisonné.
e
crois n’avoir jamais été amoureuse au point de me prostituer
après cette fois là. J’étais allée rencontrer
une voyante afin de connaître l’avenir de notre relation. Elle
m’avait prédit le pire, elle n’avait pas menti. Le soir même
pourtant, Yoshi m’offrit une petite émeraude en gage d’amour
et la passa à mon doigt.
C’est
notre dernier bon souvenir en ce qui me concerne. Lorsque je m’éveillai
quelques heures plus tard je m’aperçus qu’il m’avait anesthésiée
avec l’anneau de la bague. J’étais ligotée à
une table et je le voyais s’appliquer à me découper
les chairs avec un scalpel, les mains gantées comme celles
des chirurgiens. Mon corps fut bientôt couvert de petites scarifications
géométriques, du haut jusqu’en bas. Toujours souriant
il m’apprit qu’il s’agissait d’un alphabet. Puis il rectifia :
« Non, de l’algèbre, oui : plutôt
de l’algèbre ! » Je le crus fou mais, par amour,
me laissai faire. D’ailleurs, à demi comateuse, je ne sentais
presque rien. Rien de vraiment désagréable. En fait
il me plaisait d’être mutilée de ses mains, j’appréciais
qu’il aime ma chair à ce point. J’en étais presque flattée.
Nous
habitions un grand appartement de Kyoto, avec d’immenses baies vitrées
donnant sur le centre de la ville. Lorsqu’il eut achevé son
travail et m’eut nettoyée (mon sang ruisselait autour de mes
seins, de mes cuisses, de mon ventre et mes plaies prenaient une teinte
assombrie) il exigea que je fisse la promotion de son œuvre et m’exhibe
une journée entière devant les vitres froides.
Au
dehors, seuls quelques passants remarquèrent ma nudité.
Ce fut tout d’abord un petit groupe d’écoliers insolents, puis
il y eut un homme qui se permit de me photographier à plusieurs
reprises.
Le
lendemain Yoshi décida de me vendre pour quelques yens. Mon
premier client, recruté par ses soins via Internet et selon
des critères précis mais incompréhensibles, fut
un sourd-muet de la banlieue de Kyoto qui élevait des volailles
dans une ferme. Un type repoussant à face de lune. Dans un
sens je préférais qu’il ne me parle ni ne m’entende,
je préférais le silence. En guise de silence il ne fut
que grognements, petits cris et chuintements hostiles.
Yoshi
l’accueillit avec de grands égards comme s’il fut je ne sais
quel prince fortuné et me laissa seule avec lui. À peine
avait-il fermé la porte que le muet se jetait sur moi et m’enfonçait
son poing dans la gorge.
Bien
qu’il fut brutal et sans charme c’est la mollesse presque enfantine
de sa chair que je détestais le plus en lui. Son ventre élargi
écrasant mon visage, ses fesses sales accroupies sur mes lèvres
et ses propres lèvres qui bavaient autour des miennes en gazouillant,
tout en lui évoquait une espèce de bébé
difforme dans ses langes, imprégné du goût écœurant
du lait.
Le
lendemain j’eus ma première vision : des porcs dévoraient
des filles pourvues d’écailles.
Celui
qui vint après lui, un dentiste récemment licencié,
avait un corps maussade, semblable à celui de ces fœtus monstrueux
qu’on voit, dans leurs bocaux de l’Institut, noyés dans le
formol. Il avait la passion des œufs sans lesquels il s’avérait
incapable de jouir. À chacune de nos rencontres il m’obligeait
à en gober cinq ou six avant de le sucer et nous devions nous
embrasser longtemps la bouche pleine de jaunes. Son souvenir, la nuit,
me fait encore vomir.
Ce
soir-là je vis des hommes sans tête prisonniers de machines
obèses.
Après
chaque client, Yoshi prit l’habitude de m’infliger de nouvelles entailles
correspondant soi-disant à l’acte que je venais de subir et
à la personnalité du client lui-même. Il ne prenait
plus la peine de m’endormir pour opérer.
L’équation
(ainsi parlait Yoshi) était la suivante : une passe
égale une vision plus une mutilation.
Je
ne fus plus bientôt qu’une cicatrice multiple et mes visiteurs
devinrent de plus en plus laids et pervers. Un homme normal, je crois,
aurait répugné à tenir entre ses bras une créature
aussi meurtrie que je l’étais.
Je
me résolus enfin à quitter Yoshi après qu’il
m’a, au terme d’un dîner agité, confié ses « révélations ».
C’était un de ces repas où, après m’avoir couverte
de sushis qu’ils dévoraient à même ma peau, il
s’amusait, avec ses amis, à me faire boire des bols de saké
brûlants puis à rire de ma douleur et des boursouflures
qui naissaient sur mes lèvres.
Une fois rentrés chez
nous, toujours au comble de l’excitation, et bien qu’il se fut promis
de ne rien me dévoiler, il ne put s’empêcher de m’annoncer
la teneur des projets qu’il me destinait.
D’un placard qu’il tenait
habituellement fermé à clé, il extirpa une petite
mallette transparente, l’ouvrit, et en fit surgir un bras articulé
qu’il agita sous mon nez.
- Ce n’est qu’un début ! éructait-il tout exalté.
Ensuite nous remplacerons le reste !
- Mais, c’est une prothèse, objectai-je.
- Oui !
Plus de bras ni de jambes ! Tu seras ma première
femelle androïde !
Ce
soir là je choisis de disparaître de son existence.
J’appris
plus tard qu’il avait décidé de m’amputer du bras droit
dès le lendemain.
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