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non
rien, bien sûr, oui, rien ne tient mieux que le peu. Dire peu suffit
à toute chose, nul besoin d'aller plus loin, nous n'avons pas été
plus loin en nous. Nous pourrions, mais ce ne serait pas du jeu, ce serait
de la triche, nous serions dupes de nous-mêmes, ce dont nous ne
voulons pas être dupes. Le soleil éclaire notre jour, la
lune suffit à notre nuit, c'est déjà bien assez pour
nous. Vous le savez très bien, nous n'avons pas besoin d'en savoir
plus. Un jour, nous pourrions le savoir mais ce serait inutile, nous n'en
aurions plus l'utilité. Les pieds de notre corps sont faits pour
la marche, les mains de notre corps sont faites pour le travail et la
prise des choses, le sexe de notre corps est fait pour la reproduction,
le cœur de notre corps est fait pour l'amitié et l'amour (et certains
diront que ces sentiments qui portent vers le prochain sont une illusion,
un fantoche), la tête de notre corps est faite pour le penser de
notre cogito : je pense donc je fuis. Pourquoi alors
chercher à vouloir en savoir plus ? Nous savons très
bien qui nous sommes et nous ignorons ce que nous ne sommes pas, et nous
ne cherchons pas à savoir qui nous pourrions être si nous
n'étions pas nous. Nous ne pourrions pas être vous ou lui
ou eux, car nous savons tous que nous ne pourrions exister au même
endroit et au même moment dans un même corps et une même
âme (à condition de croire que nous avons une âme,
ce qui reste incertain, vu l'avancée actuelle de ces choses). Si
nous n'étions pas nous, nous serions du néant, ou dans le
néant, ou peut-être, même, le néant, tout simplement.
À supposer l'existence du néant, ou sa non-existence, puisque
c'est du néant qu'il s'agit, un cas très particulier d'être
qui est du n'être pas. C'est ce que nous supposons, croyez-nous,
et nous ne pouvons penser autrement, sinon, nous ne penserions pas comme
nous pensons et ce ne serait pas nous qui pensons alors pour nous. Nous
ne savons plus très bien, parfois, à dire vrai, quoi penser
de tout cela. Heureusement, le cerveau veille au grain de toute chose.
Nous lui faisons confiance, c'est là une chose très certaine.
Nous nous tenons à carreau : il nous surveille du coin
de l'œil. C'est pour cela que nous n'avançons pas, que nous ne
bougeons pas et que nous n'avons jamais bougé, contrairement à
ce que vous pourriez croire. Car vous croyez, bien sûr. Vous avez
des idées très précises sur le sujet. Nous n'en avons
cure, croyez-le, c'est certain. Le monde bouge sans nous, il fait ça
tout seul, comme un grand, point de mystère caché là-dessous,
c'est une hérésie que de chercher l'exercice de l'influence
humaine sur chaque particule mouvante de l'univers. L'univers existe,
il avance, recule, tourne sur lui-même, explose, se recompose, éructe,
se gratte, va au bal sans notre consentement. Mais, insatisfait perpétuel,
vous cherchez une explication, comme de juste. Vous composez des hypothèses,
émettez des propositions, échafaudez des théorèmes,
renversez la vapeur. Vous avez besoin d'un toit pour vous protéger
ou d'une gouttière pour évacuer la saleté. L'idée
suprême, avant tout, avant vous, en guise d'explication. Votre idée
de la semence originelle. Nous, nous disons : Dieu, ou
quelque chose d'autre qui le remplace, chiffon, brouette
ou cru, ou mulaf-potor, et nous sommes débarrassés
de cette idée. Sans elle, nous serions contraints de passer notre
temps à chercher d'où vient la vérité qui
ne manquerait pas de glisser entre nos doigts tendus si nous voulions
l'attraper. Vous êtes bien embêtés, vous, n'est-ce-pas ?
Les idées nous sont si chères que nous ne saurions en changer,
en trouver d'autres. La nouveauté est une chose absurde, un leurre
évident où bon nombre de sots se croient permis d'aller
voir ; ils ne reviennent jamais, forcément. D'ailleurs,
vous êtes bien naïfs de la chercher ici : elle n'y
est pas, et nous non plus, n'y sommes pas. Vous seuls y êtes. Telle
est l'issue finale, et qu'elle vous suffise.
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