Contemporains |
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Favoris (Les) |
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Paroles de la mamelle. |
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abitez-moi, dit-elle entre deux soupirs, mais ne me sabotez pas. Jai lavé, habillé, nourri, désaltéré ce corps pendant un certain nombre dannées. Je me suis efforcé de le faire jouir régulièrement, de le soustraire aux gifles, aux querelles, aux accidents. Je lai promené sur les continents, dans les airs, sur les océans. Je lai cultivé, rempli de phrases, de musique, dimages, de sensations. Maintenant, je suis fatiguée, je voudrais me reposer, mais ce travail dune vie, quel dommage de le vouer au gâchis ! * Je cherche la formule, dit-elle, la solution parfaite, le moyen ultime de me faire comprendre de tous sans me sentir trahie. Je traque léquilibre, la nudité, la forme inébranlable de la force. Jusquici, jai continuellement échoué. Trop de fleurs, trop de peinture, ont affirmé certains. Si jy parviens enfin, il sera trop tard : ils nauront plus le souci de la différence, se seront résignés. Et qui sait, peut-être jugent-ils déjà mon combat impossible ? Seul le souffle naura pas menti. * Arrosez-moi, dit-elle, inondez mon jardin, cest délicieux, oui, enfouissez bien toute cette matière en miettes, je saurai laccepter. Droite, plate, la foule qui sommeille surgira à nouveau, jusquà la prochaine jachère. Les élégantes et les tueurs, les rapiécés et les vomies, les salies et les envahissants, les comédiens et les froissées, reviendront tenter une nouvelle vie. Moi seule, je demeure intacte, vierge, épargnée de toute transformation. * Les beautés de ce monde ne sont pas de ce monde, dit-elle, cest pourquoi nous sommes acculés au regard. Dressant lil, nous finissons par ladapter à notre bulle et à y trouver, forcément, de lacceptable, voire du clinquant. Et tout le reste de lattelage suit * Changez-moi en homme, dit-elle, et je saurai ainsi ce que ressent un enfant qui nest pas né. * Je sais déjà qui je suis, dit-elle, celle quon regrette davoir vue avant même quelle ne se montre. Dussè-je picorer comme un poussin, racler de la mâchoire le sol ou minvaginer, je sais que le spectacle ne sera pas de mise : la surprise est peau morte de nos jours. À peine si la fin de lunivers sera accueillie dun bâillement. * Le froid me glace, la neige me colle au squelette, dit-elle, bien fait, je navais pas à mettre le pied dehors. Si confortable, si étouffante, la cabane, passés quelques siècles, quon ne tient plus. On tente la sortie, et place au fantôme. Aussitôt gris sur blanc, ça ne pardonne pas, on fait tâche dans le paysage. * Une lettre, rien quune lettre et je rampe, dit-elle, je me soumets, je mavilis, je me prostitue. Cette chose est la seule qui me fasse rêver depuis laube des temps : une nouvelle, véritable, une nouvelle qui mémerveille, qui me ressuscite. Je patiente. Jexamine, chaque matin. Rien, jamais. Aurait-il renié son origine ? * Je couds, dit-elle, je couds mes cris. Pour laisser libre cours à mes chuchotements. * Je nai pas besoin de crieur, dit-elle, personne ne doit étaler la pleurnicharde amitié quil éprouve pour moi. On aime à corps perdu pour mieux haïr à son corps défendant. * Aujourdhui est un jour de tarissement, dit-elle, peu despoir de laisser éclore la moindre trouvaille. Dailleurs, du grand four qui moccupe la plupart du temps, rien ne sort, hormis de la fumée, quelques jets de cendre, quelques flammèches. Je brûle, je brûle jusquà ne plus avoir à brûler. Et le brasier gronde, rugit, sa faim ne se calme pas. Faut-il que jy jette mon propre corps pour en retirer quelque chose, cette fois ? * Encore une évasion ratée, dit-elle, encore. |
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