XI
Ô
dadas de bagne ! Bulles de savon ! Pantins en baudruche ! Ficelles usées
!
Isidore
Ducasse
Alors,
j’écrivis. J’écrivais pour tuer le temps, trop suspendu.
Je remplissais des étiquettes de dessins, de mots, de phrases.
J’accumulais ces signaux bouillonnants. Ça voulait sortir.
L’étalement,
l’un après l’autre, des fragments prit quelques minutes. D’un ton
neutre, chuchotant à découvert, butant sur les hésitations
de mon écriture, tracée à la dérobée,
je les lus.
Oppressé,
impatient d’en finir pour enfin commencer, je les rassemblai et composai
laborieusement cette première tentative, qui désignait tout
en les dénudant ses propres symptômes :
Taquiner
le groin des secrets boursouflés qu’un employé a rangés
dans du carton d’emballage (il vient tous les soirs à la même
heure, contrôle les paquets, caresse le tigre du vigile, méthodiquement).
Se
déchirer dedans le beige
Cocons
suspendus par de maigres ficelles
Et
moi à l’intérieur
(C’est
son imagination trépidante
son
complexe d’Œdipe ? Dedans c’est du vide)
La
grande cavité (la solitude) que l’on bourre de mauvaise graisse,
malodorante, fille de mariage d’égouts.
Touche-à-tout
balaie l’escalier (cela goutte et la semelle glisse). La connivence de
ces choses le laisse coi pantois si le zèle s’impose.
Revient
la hantise du suppositoire.
À
n’importe quel moment de la journée, deux hommes entraient sauvages
dans la salle de jeux, me chopaient les poignets jusqu’au visage et me
traitaient de peau rouge.
Dehors,
la rue (la rue n’est que dehors) est courtisée par de lumineuses
pervenches, pour lesquelles on ne peut guère s’aventurer, même
priapique. Elles sont de sapience naturelle, générées
à l’intérieur du bas-pays par des jardiniers à couvre-chef
et bottes. Ce sont des images, bien sûr.
Je
ris très fort, à en irriter les chiens du voisinage, animaux
jaunis, comme les vieux journaux oubliés au grenier. Une fillette
lèche la fenêtre, la croisée surtout – tamanoir.
Le rire du jour levant, des dents blanches, le rire parodique sous
un ciel de sifflet.
J’agis
en mon nom propre (à la poubelle l’existentialisme ! tache
grise qui souille le linge, les mouchoirs à carreaux, à
même la peau parfois). Une tunique de désœuvrement est mon
seul vêtement, une tunique qui suinte sous les abribus, nerf ouvert
sur le soleil. Je portais la pénitence en moi, la nourrissais et
la bordais. Et il y a une petite voix qui s’élève, humide
comme le sein tété, la voix : Te saupoudrer le
vit de méchanceté ! Fini, tu ne t’en serviras
plus, na ! Rien de tel que la méchanceté du mercurochrome !
Si
ces souvenirs cessent leur va-et-vient, Je préfère me supprimer,
me dissoudre, me liquéfier sur le parquet ciré. Que quidams
de tous acabits viennent humer ma douce odeur d’encaustique ! Néanmoins,
il y a toujours un garçon aux extrémités pusillanimes
pour me garder de l’emporte-pièce ; un giton à
la peau-monotype, à os découverts, face insuline.
Les
diarrhées de la nuit passée, folles (épouvantail
j’étais, le fion grand ouvert, larguant de vastes paquets liquides
de crotte, absolument neutres).
Sur
la table de la cuisine, le jambon, microcosme poreux, énigmatique,
un autre naufrage. Pantagruel désossé en conserves, la faute
aux éléments (bonshommes vindicatifs et sans failles, des
mercenaires). Macchabée émouvant entre deux chariots, ce
fut une femme. Flaques noirâtres (menstrues posthumes ?).
Je
tends le pied très doucement (le sol s’est cristallisé brusquement
et il ne ferait pas bon l’ébrécher d’un seul coup de talon.
Sinon, reste des miettes.)
Le
rachis hypnotique ! Je l’ai vu se trémousser. Tu as vu ? Il
a perdu la boule, il se comporte comme un mirliton !
Je
suis un petit garçon abstrait ouvert au ciel. J’ai fait dans ma
culotte une prodigieuse Gestalt. S’il n’y avait la présence du
concierge, je m’enfuirais pour très longtemps. Il suffirait de
l’estourbir et en avant ! C’est trop au-dessus de moi. On m’attend
au tournant et tous le savent, péril en tête.
Il
y a longtemps, j’ai lu qu’on pouvait être habité par un livre.
Depuis, je me méfie.
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